Premier niveau du dispositif, la prévention est l'un des axes majeurs de la loi de 2007, l'objectif étant d'agir le plus en amont possible de la dégradation des situations familiales. En pratique, cette ambition n'a pu être pleinement suivie d'effets en raison tant de l'insuffisance des moyens attribués à la PMI et à la santé scolaire que d'un manque de portage politique.
Compte tenu de la situation critique qu'ils traversent depuis maintenant plusieurs années, les services de PMI peinent en effet à remplir le rôle que leur attribue la loi de 2007. Comme vous le savez et ainsi que nous l'ont rappelé plusieurs départements, les difficultés auxquelles ils font face pour recruter leurs professionnels ne leur permettent pas d'assurer une couverture optimale des besoins et les contraignent à concentrer leur action sur la gestion des urgences. Aussi, de l'avis général, la mission de prévention de la PMI est-elle passée au second plan.
Nous ne sommes malheureusement pas les premières à dresser cet état des lieux. Dans son rapport public annuel de 2012, la Cour des comptes réitérait déjà le constat établi six ans auparavant sur la couverture très inégale du territoire en services de PMI et insistait sur le « besoin d'une réaffirmation de son rôle et de ses missions ». Cette situation est d'autant plus préoccupante que la médecine de ville et les hôpitaux ne sont pas en mesure de se substituer aux carences de la PMI et que le contexte de plus grande précarité sociale, d'évolution des structures familiales et d'isolement croissant de nombreux foyers nécessiterait des moyens d'actions accrus.
En outre, comme le relevait la Cour des comptes, il n'existe aucune politique nationale incitative ou régulatrice pour définir les orientations de la PMI et accompagner leur mise en oeuvre. Nous sommes pourtant convaincues que celle-ci dispose d'atouts reconnus qui devraient lui permettre de jouer pleinement son rôle de digue face aux situations de danger les plus graves : un bon ancrage local permettant une accessibilité géographique, financière et culturelle, ainsi qu'un positionnement à la charnière du sanitaire et du social, de l'individuel et du collectif, du préventif et de l'éducatif. C'est pourquoi nous en appelons à la fois à une réaffirmation du rôle central de la PMI dans la politique de protection de l'enfance et à un renforcement de son attractivité afin de garantir une couverture des besoins sur l'ensemble du territoire.
Deuxième acteur de la prévention, la santé scolaire connaît des difficultés non moins importantes. Sans pouvoir trop développer ce sujet, rappelons simplement que les bilans de santé prévus par la loi de 2007 pour les enfants du primaire et du collège n'ont pas pu être systématisés, faute là encore de moyens suffisants. La médecine scolaire reste en outre marquée par de fortes disparités entre les académies, selon qu'elles se situent ou non dans des zones sous-médicalisées.
Au-delà de la PMI et de la médecine scolaire, la première des préventions est l'acquisition par tous les acteurs de la protection de l'enfance d'une formation adaptée et opérationnelle. Bien que la loi prévoie une obligation générale de formation initiale et continue à destination de l'ensemble des professionnels concernés, le bilan est pour le moins limité, en particulier s'agissant des médecins et des travailleurs sociaux. Ce constat nous conduit à formuler cinq propositions : introduire dans les facultés de médecine un enseignement obligatoire consacré à la protection de l'enfance d'une amplitude horaire proportionnée à l'importance des enjeux soulevés par cette problématique ; développer pour les externes en médecine les stages professionnels chez les praticiens libéraux afin qu'ils puissent in situ apprendre à reconnaître les signes caractéristiques de maltraitance ; rendre effectives les sessions de formation interdisciplinaires par la signature et la mise en oeuvre des conventions prévues à cet effet dans le code de l'éducation ; confier aux ODPE la double mission de réaliser un bilan annuel des formations délivrées dans le département et d'élaborer un plan pluriannuel des besoins en formation des professionnels intervenant dans le champ de la protection de l'enfance ; prévoir pour les travailleurs sociaux des cycles de formation continue sur le modèle de ce qui existe aujourd'hui pour les cadres de la protection de l'enfance.
Venons-en à présent au deuxième niveau du dispositif : le repérage des situations de danger. Le système de recueil, de traitement et d'évaluation des IP, piloté par la Crip, est l'une des avancées majeures de la loi de 2007. Il est, en effet, unanimement reconnu que cette nouvelle organisation, plus rationnelle, a permis d'améliorer le repérage des enfants en danger ou en risque de l'être : des situations, qui seraient restées inconnues des services de l'ASE dans le système précédent, sont désormais traitées et évaluées. Pour autant, des marges de progression existent afin de rendre le dispositif plus performant.
La première consiste à accroître la participation du secteur médical au dispositif de transmission des IP. Les professionnels de santé, plus particulièrement les médecins (généralistes, pédiatres, pédopsychiatres, urgentistes), sont un maillon essentiel de la protection de l'enfance car ils sont les acteurs de proximité les plus à même de détecter les signes de maltraitance. Or les réponses au questionnaire montrent la très faible part que représente le milieu médical (hôpital, médecine de ville) dans les sources émettrices d'IP. Celui-ci arrive quasi-systématiquement derrière tous les autres intervenants (éducation nationale, autorité judiciaire, secteur médico-social, association, membre de la famille, source anonyme...). Ce constat a été corroboré par nombre de personnes auditionnées, y compris par les représentants des médecins eux-mêmes. Plusieurs freins expliquent cette faible participation du corps médical : le manque de formation initiale et continue aux problématiques de l'enfance en danger, une méconnaissance des procédures mises en place à l'échelle du département, un certain isolement professionnel (pour les médecins libéraux), la crainte des poursuites judiciaires (pour dénonciation calomnieuse notamment).
Concernant l'hôpital, une vigilance particulière doit être portée sur les urgences car elles sont un lieu de passage privilégié et parfois l'unique lieu de soins des victimes de maltraitance. Deux mesures proposées par le groupe de travail « Protection de l'enfance et adoption » ont retenu notre intérêt : la mise en place d'un outil informatique dédié à l'accueil des urgences permettant l'analyse systématique du nombre de passages et des motifs de venue ; le développement d'une formation spécifique aux problématiques de la protection de l'enfance à destination des professionnels des services des urgences.
S'agissant des médecins libéraux, leur participation au dispositif de repérage dépend tout d'abord du niveau de connaissance et du degré de pratique professionnelle qu'ils ont acquis dans ce domaine. Nous réitérons donc notre proposition de renforcement de leur formation initiale et continue. Il convient ensuite d'encourager des échanges réguliers entre les médecins et les autres acteurs de la protection de l'enfance, au premier rang desquels les services du conseil général. Il est, à ce titre, indispensable que chaque conseil départemental de l'ordre des médecins soit partie prenante au protocole interinstitutionnel relatif aux IP. D'une manière générale, ces conseils ont un rôle important à jouer pour développer les partenariats et le travail en réseau.
Une autre piste de réforme consisterait à désigner, dans chaque service départemental de PMI, un médecin référent « protection de l'enfance » chargé d'établir des liens de travail entre les services départementaux (PMI, ASE), les médecins libéraux du département (plus particulièrement les médecins généralistes et les pédiatres), les médecins de santé scolaire, et les praticiens hospitaliers s'occupant d'enfants (urgentistes, pédiatres, ORL...). La désignation de ce médecin référent permettrait à la fois de rompre avec l'isolement du médecin exerçant en secteur libéral et d'améliorer la coopération entre l'ensemble des professionnels de santé, dans l'objectif d'une prise en charge plus précoce et mieux coordonnée des enfants en danger.
La deuxième marge de progrès concerne le fonctionnement des Crip. Bien que celui-ci soit jugé globalement satisfaisant par les départements interrogés, plusieurs améliorations pourraient lui être apportées afin de l'optimiser : inciter les services de l'ASE à mettre en place un référentiel permettant une évaluation harmonisée des IP à l'échelle du département grâce à des critères précisément définis ; encourager les départements à développer le caractère pluridisciplinaire et concerté du processus d'évaluation des IP ; encadrer strictement la procédure de prise de décision concernant les IP lorsque celle-ci relève des services territorialisés de la Crip ; développer, dans chaque Crip, une permanence médicale assurée par le médecin de PMI référent « protection de l'enfance » ; garantir, dans chaque département, la continuité du service de recueil des IP en organisant un dispositif prenant le relais de la Crip en dehors de ses heures d'ouverture ; conforter le rôle d'avis et de conseil des Crip en permettant à l'ensemble des acteurs de la protection de l'enfance de s'adresser à elle directement (par exemple, via un numéro d'appel mis à leur disposition).