Intervention de Michelle Meunier

Commission des affaires sociales — Réunion du 25 juin 2014 : 2ème réunion
Protection de l'enfance — Examen du rapport d'information

Photo de Michelle MeunierMichelle Meunier, rapporteure :

Nous en arrivons au troisième niveau du dispositif, la prise en charge, qui nous offre l'occasion de nous arrêter quelques instants sur la notion d'intérêt supérieur de l'enfant, primordiale à nos yeux.

Pendant très longtemps, les structures de protection de l'enfance ont exercé leurs missions sans associer les familles au travail éducatif mis en place. La famille était en effet considérée comme défaillante, incompétente, toxique, ou responsable des troubles de l'enfant. C'est donc par la séparation et l'éloignement du milieu familial que l'évolution de l'enfant était envisagée. Les années 1980 marquent un véritable changement de paradigme en voyant émerger une nouvelle conception de la place de la famille, selon laquelle les parents sont responsables et non plus coupables et doivent dès lors être associés aux mesures de protection mises en oeuvre pour leur enfant. Cette approche, centrée sur un travail de coconstruction avec la famille, a prévalu et s'est même amplifiée jusqu'aux années 2000, faisant dire à certains que le système de protection de l'enfance avait basculé dans « le familialisme ». C'est dans ce contexte polémique que la réforme de 2007 s'est donné pour objectif de rétablir un certain équilibre entre la protection due à l'enfant et la place de la famille, autrement dit entre droits de l'enfant et droits des parents.

Bien que la notion d'intérêt supérieur de l'enfant irrigue désormais tout le droit de la protection de l'enfance, nos auditions et déplacements ont montré que le système français reste profondément marqué par une idéologie familialiste, qui donne le primat au maintien du lien avec les parents biologiques. Cette conception, que certains professionnels n'hésitent pas à qualifier de dogme, s'exprime d'abord à travers les représentations sociologiques de la famille. En France, il est très difficile d'envisager un aménagement voire une rupture du lien familial biologique. Preuve en est, par exemple, l'injonction qui est souvent faite aux assistants familiaux de ne pas s'attacher aux enfants qu'ils accueillent. Or, certaines situations nécessitent assurément de libérer les enfants de la tutelle de leurs parents, lorsque celle-ci ne peut plus s'exercer dans des conditions raisonnables, est néfaste, ou ne repose sur aucun lien affectif durable.

L'idéologie familialiste imprègne ensuite les pratiques sociales. Par leur formation, les travailleurs sociaux attachent beaucoup d'importance à l'adhésion des parents, à leur accompagnement et à leurs facultés de progression. Bien sûr, cette démarche est parfaitement louable et doit être mise en oeuvre dans la majorité des situations. Mais dans certains cas, les plus difficiles (délaissement, maltraitance), elle peut être préjudiciable à l'enfant en retardant la prise de décisions, qui seraient pourtant bénéfiques à son développement (l'éloignement, par exemple).

Le dogme du lien familial perdure également au sein de l'institution judiciaire. Les condamnations de parents maltraitants (hormis les meurtres et l'inceste) sont généralement d'une moindre sévérité que si les actes incriminés avaient été perpétrés par un étranger à la famille. En outre, il est assez rare que le retrait de l'autorité parentale soit prononcé. Par exemple, un père ayant violenté la mère de ses enfants peut conserver l'autorité parentale sur ceux-ci ; un père abuseur recouvre parfois son autorité parentale au terme de sa peine.

Enfin, même la loi n'est pas exempte de référence à cette idéologie puisque la protection administrative qui, depuis 2007, prime sur la protection judiciaire, doit chercher à obtenir l'adhésion des parents, ceci parfois au risque d'un allongement des procédures préjudiciable à l'enfant. Pour autant, il serait exagéré de parler de la loi de 2007 comme d'un texte familialiste ; ce sont davantage les mentalités et les pratiques professionnelles qui restent imprégnées par « le maintien du lien familial à tout prix ».

Au final, nous estimons fondamental que l'intérêt supérieur de l'enfant soit replacé au coeur du dispositif de protection de l'enfance. Ainsi que l'a expliqué très justement le docteur Daniel Rousseau, pédopsychiatre à Angers, lors de son audition, « en protection de l'enfance, le principe de précaution devrait toujours bénéficier en priorité à l'enfant et non aux parents comme cela est encore trop souvent le cas ».

Comment, concrètement, veiller à ce que l'intérêt de l'enfant soit le principe directeur de toute prise en charge ? C'est précisément la raison d'être de l'obligation légale d'élaborer un PPE. Or, nous l'avons dit, le PPE est aujourd'hui mis en oeuvre de manière très inégale selon les départements. Cette situation, sept ans après l'adoption de la loi, n'est pas acceptable : l'absence ou l'application partielle du PPE dans certains territoires signifie en effet que des enfants ne bénéficient pas d'une prise en charge pluridisciplinaire et coordonnée. Qui plus est, lorsqu'un PPE est élaboré, celui-ci s'apparente trop souvent à un document administratif classique, mentionnant toutes les données relatives à l'organisation du suivi de l'enfant mais sans référence à son projet de vie.

Nous formulons donc plusieurs propositions pour systématiser la mise en oeuvre du PPE et en faire un instrument au service de l'intérêt et des besoins de l'enfant : encourager tous les départements, à l'image de la Charente, de la Dordogne, de l'Isère ou du Loiret, à élaborer, d'ici fin 2015, un « PPE-type » applicable à l'ensemble des mesures de protection ; rationaliser les documents de prise en charge en intégrant, pour les enfants accueillis en établissement ou service social ou médico-social, le document individuel de prise en charge (DIPC) au PPE ; faire du PPE un outil de prise en charge globale de l'enfant en veillant à ce qu'il traite de toutes les dimensions de son développement (sociale, médicale, éducative, affective, etc.) et privilégie une approche en termes de parcours de vie ; développer la pratique, expérimentée en Loire-Atlantique, consistant à désigner, pour chaque PPE signé, un référent ASE exclusivement chargé de son suivi et de son évaluation.

Nous ne pouvons conclure cette partie sans évoquer la prise en charge psychique des enfants protégés. Dans la très grande majorité des cas, ces enfants ont subi des traumatismes qui, en fonction de leur degré de gravité, affectent plus ou moins fortement leur développement psychique à court et à long terme. Seuls des soins adaptés et prolongés, prodigués le plus tôt possible, peuvent permettre de limiter le risque de séquelles. En protection de l'enfance, la santé mentale est un enjeu d'autant plus important que, de l'avis de nombreux professionnels, l'ASE accueille de plus en plus d'enfants ou de jeunes adultes présentant des troubles du comportement ou de structuration de la personnalité.

Cependant, l'offre de soins en pédopsychiatrie ne permet pas aujourd'hui d'apporter une réponse satisfaisante aux besoins de ces enfants et de ces jeunes. Même si d'importantes disparités territoriales existent dans ce secteur également, le constat global est celui d'une démographie médicale déclinante, de délais d'attente excessifs pour une prise en charge en ambulatoire, d'un manque de places en hospitalisation et en établissements spécialisés (instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques - ITEP - et instituts médico-éducatifs - IME -). Certains départements estiment même que l'ASE, en accueillant des enfants aux profils de plus en plus complexes, qui relèveraient davantage d'une prise en charge sanitaire psychiatrique, est devenue « la variable d'ajustement de la pédopsychiatrie ».

Nous souhaitons donc, par notre travail, alerter aussi sur les difficultés de la pédopsychiatrie française qui ne sont pas sans rejaillir sur le système de protection de l'enfance.

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