Notre système de protection de l'enfance donne la priorité à la politique de soutien à la parentalité, qui consiste à « aider les parents à être parents », l'éloignement du milieu familial n'étant envisagé qu'en dernier recours.
Malgré les différentes aides qui peuvent leur être apportées, certaines familles, pour des raisons diverses, ne sont pas ou plus en mesure d'assurer le développement et l'éducation de leurs enfants dans des conditions favorables. D'autres, à l'origine de faits pénalement répréhensibles, sont de facto considérées comme nocives. Les enfants concernés par ces situations sont alors placés à l'ASE pendant une période généralement longue, qui peut durer jusqu'à leur majorité.
Leur prise en charge se heurte aujourd'hui à deux problèmes majeurs : la trop grande instabilité de leur parcours, qui se caractérise par des changements fréquents de lieux d'accueil, et l'absence de perspective quant à une possible évolution de leur statut juridique, qui leur permettrait de bénéficier d'une « seconde chance familiale ». Il est donc impératif, en tenant compte des besoins propres à chacun de ces enfants, de sécuriser leur parcours et d'envisager des alternatives au placement long, voire définitif, afin de leur offrir l'accès à un autre projet de vie.
La sécurisation du parcours passe par l'instauration de garanties au profit à la fois de l'enfant et des adultes qui le prennent en charge. La première d'entre elles consiste à renforcer le suivi de l'enfant en cours de procédure afin de vérifier, à échéance régulière, si la mesure dont il bénéficie a répondu à ses besoins, s'il convient d'y mettre fin ou si, au contraire, il est nécessaire de la prolonger ou de lui substituer une autre mesure. Un outil de suivi existe, le rapport annuel établi par le service de l'ASE, mais les remontées de terrain montrent qu'il se limite le plus souvent à une description partielle de la situation de l'enfant, sans se référer à l'ensemble de ses besoins, ni aborder la question de son avenir. Reprenant la préconisation formulée par plusieurs rapports publics, nous proposons d'enrichir son contenu par une analyse de l'état de santé physique et psychique de l'enfant, de son développement, de sa scolarité, de sa vie sociale, de ses relations familiales, et par une référence à son projet de vie.
La deuxième garantie réside dans une meilleure représentation des droits de l'enfant. Le juge a la possibilité de désigner un administrateur ad hoc, c'est-à-dire une personne qui se substitue aux représentants légaux de l'enfant mineur pour protéger ses intérêts et exercer ses droits. Cette possibilité est cependant insuffisamment exploitée en raison de la pénurie d'administrateurs ad hoc, si bien qu'au final, nombre de conseils généraux sont désignés par défaut. Cette solution de substitution n'est toutefois pas satisfaisante car elle crée une confusion entre la mission générale de protection de l'enfance qui incombe au conseil général et la mission plus particulière de représentation de l'enfant qui doit échoir à une personne « extérieure ». Il nous semble donc nécessaire de procéder en deux temps : d'abord, réformer le statut de l'administrateur ad hoc afin de rendre cette fonction plus attractive et mettre en place une formation obligatoire pour les personnes qui y sont candidates ; puis, systématiser la désignation par le juge des enfants d'un administrateur ad hoc, indépendant des parents et du service gardien, pour représenter l'enfant mineur dans la procédure d'assistance éducative.
Enfin, la troisième garantie concerne le placement en famille d'accueil, premier mode d'hébergement des mineurs et jeunes majeurs confiés à l'ASE. Elle repose, d'une part, sur une amélioration du statut des assistants familiaux, d'autre part, sur une sécurisation des liens entre l'enfant et sa famille d'accueil.
Malgré la loi du 27 juin 2005, qui poursuivait un objectif de meilleure professionnalisation du métier d'assistant familial, de nombreux freins persistent : procédure d'agrément encore fragile, formation inégalement mise en oeuvre, manque d'intégration au sein des équipes pluridisciplinaires, absence d'accueil « relais », conditions de travail souvent précaires, etc. N'oublions pas que ces difficultés doivent être appréhendées au regard de l'intérêt des enfants confiés car cette réforme visait aussi à renforcer la qualité de leur accueil. Nous demandons donc qu'une concertation nationale soit lancée sur les moyens d'améliorer la mise en oeuvre de la loi de 2005 et de remédier à ces insuffisances. Cette concertation serait aussi l'occasion de réfléchir à des évolutions concernant les prérogatives des assistants familiaux en matière d'actes usuels de la vie quotidienne de l'enfant accueilli.
Par ailleurs, il est indispensable d'encadrer davantage les décisions de changement de famille d'accueil. Il arrive en effet que l'ASE confie l'enfant à une nouvelle famille, alors que ni lui, ni sa précédente famille d'accueil ne souhaitaient cette modification. Si une telle décision peut être motivée par des raisons légitimes, il arrive qu'elle ne le soit pas. En tout état de cause, elle n'est pas sans conséquence pour l'enfant et la famille d'accueil qui, avec le temps, ont tissé des liens affectifs parfois très forts. C'est pourquoi nous adhérons à la proposition du groupe de travail « Protection de l'enfance et adoption », consistant à conditionner la modification du lieu d'accueil d'un enfant, confié depuis plus de trois ans à la même famille, à l'avis du juge à l'origine de la mesure de placement.
Au-delà de cet enjeu de stabilisation des parcours, il convient de questionner le statut des enfants placés sur le long terme. Pour se construire, ces enfants, durablement voire définitivement éloignés de leur famille d'origine, ont besoin de développer une relation d'attachement et d'appartenance à une autre famille, qui peut être une famille d'accueil, un tiers digne de confiance ou une famille d'adoption. Si, en France, l'accueil familial demeure la solution privilégiée, l'adoption en tant que modalité de protection de l'enfance est insuffisamment entrée dans les mentalités, encore moins dans la pratique. Elle permettrait pourtant de construire des projets de vie adaptés à la situation de certains enfants.
L'encourager, c'est agir sur trois leviers :
- premièrement, mieux reconnaître le délaissement parental afin que les enfants qui en sont victimes puissent être admis en qualité de pupille de l'Etat et faire éventuellement l'objet d'un projet d'adoption plénière.
Nombre d'experts et de professionnels en conviennent, il est urgent de mieux repérer et de constater plus rapidement les signes caractéristiques du délaissement parental, qui est une forme de maltraitance psychologique. Une telle évolution dans les pratiques professionnelles suppose d'une part, d'élaborer un référentiel national d'aide à l'évaluation des situations de délaissement parental, d'autre part, de développer la formation des professionnels de l'ASE à leur repérage.
A cela s'ajoute la nécessité, comme l'ont déjà souligné plusieurs rapports, de réformer la procédure de la déclaration judiciaire d'abandon, qui est l'étape préalable à l'admission de l'enfant en qualité de pupille de l'Etat et à son adoption éventuelle, mais dont les insuffisances expliquent la faible mise en oeuvre ;
- deuxièmement, développer le recours au retrait total de l'autorité parentale pour que les enfants accueillis à l'ASE par cette voie puissent eux aussi être admis en qualité de pupille de l'Etat et éventuellement faire l'objet d'un projet d'adoption plénière.
La rare utilisation de cette procédure s'explique principalement par la réticence des professionnels à envisager une rupture du lien de filiation biologique. D'où l'importance, une fois encore, de faire évoluer leurs pratiques par le biais d'actions de sensibilisation et de formation, à l'image de ce qu'a mis en place le département du Pas-de-Calais ;
- troisièmement, promouvoir l'adoption simple, qui permet aux enfants dont les parents sont profondément carencés, mais avec lesquels des liens perdurent, de bénéficier d'une « seconde famille ».
Cette forme d'adoption, aujourd'hui essentiellement de nature intrafamiliale, est très peu employée au profit d'enfants placés en raison principalement de sa révocabilité et du maintien des relations avec la famille d'origine qu'elle prévoit. Or, elle peut correspondre aux besoins de certains enfants et à l'attente de certains candidats agréés pour l'adoption. Nous avons identifié quatre préalables à son développement : former les travailleurs sociaux ; repérer les enfants qui pourraient en bénéficier ; sélectionner des candidats agréés pour l'adoption susceptibles de s'y engager ; réfléchir à une modification des règles de révocabilité.
En favorisant l'adoption, plénière ou simple, comme mesure de protection de l'enfance, il ne s'agit en aucun cas de faire des enfants placés la « variable d'ajustement » du désir d'enfant non satisfait des candidats à l'adoption ou du recul de l'adoption internationale, mais de permettre à ces enfants d'acquérir un véritable statut qui réponde à leurs besoins fondamentaux et de grandir dans un environnement affectif et éducatif sécurisé.