Rappelons, avant d'entrer dans le vif du sujet, que l'institution d'un Etat-Providence en Espagne constitue un fait historique relativement récent par comparaison avec d'autres pays européens comme la France ou le Royaume-Uni. Dans sa forme actuelle, le système de protection sociale espagnol a en effet été mis en place à partir de la seconde moitié des années 1970 avant d'être consolidé à la fin des années 1980 concomitamment avec l'adhésion de l'Espagne à l'Union européenne en 1986. Il s'est ainsi développé à la faveur des trente années de croissance économique qui ont suivi la transition démocratique (1977-2007).
Quelles sont ses principales caractéristiques ? Il présente, par rapport à la France, deux spécificités majeures : d'une part, les partenaires sociaux n'interviennent pas directement dans la gestion de la sécurité sociale. Ils sont néanmoins associés aux réformes, en particulier dans le cadre du consensus établi par le Pacte de Tolède de 1995 qui définit les modalités d'évolution du système de retraite ; d'autre part, le périmètre de la sécurité sociale n'inclut pas les dépenses de santé. Celles-ci ne sont pas financées par les cotisations sociales mais quasi-exclusivement par l'impôt et leur gestion relève des dix-sept communautés autonomes.
L'ensemble de la protection sociale espagnole se fonde d'ailleurs sur une structure institutionnelle et territoriale fortement décentralisée qui tire les conséquences de l'organisation du pays en « Etat composé » conformément aux principes de la Constitution de 1978. Celle-ci prévoit que l'Etat détient une compétence exclusive pour définir « la législation fondamentale et le régime économique de la sécurité sociale, sans préjudice de la mise en oeuvre de ses services par les communautés autonomes ».
Dans ce cadre, le rôle de l'Etat est de fixer les grandes orientations des politiques sociales à travers l'adoption de plans et de schémas pluriannuels dans les différents domaines concernés. Pour assurer sa mission de gestion de la sécurité sociale, il recourt à des organismes de caractère public placés sous sa tutelle : la Trésorerie générale de la sécurité sociale (TGSS) ; l'Institut national de la sécurité sociale (INSS) ; le Service public pour l'emploi de l'Etat (Sepe) ; l'Institut national des personnes âgées et des services (Imserso).
Les communautés autonomes, dotées de l'autonomie budgétaire et d'une capacité propre à légiférer, élaborent, financent et mettent en oeuvre leurs politiques sociales dans le respect des grandes orientations ainsi fixées au niveau national. Au-delà d'un certain seuil démographique, les communes ont elles aussi une compétence en matière de promotion et d'insertion sociale.
Les modalités de partage des compétences varient ainsi selon le champ de l'action sociale.
Relèvent entièrement de l'Etat la prise en charge des prestations chômage, le versement des pensions de retraite et de réversion ainsi que les prestations servies en matière d'incapacité et d'accident du travail ;
En ce qui concerne la famille, l'Etat fournit à travers l'INSS un certain nombre d'allocations, comme par exemple pour les familles nombreuses, tandis que les communautés autonomes servent des prestations dites « de base » telles que les aides à domicile ou les prestations pour les enfants de moins de trois ans (offre de garde par exemple) ;
En matière de handicap, l'Imserso a délégué aux communautés autonomes la délivrance de prestations sur la base d'un budget alloué à la sécurité sociale par l'Etat ;
S'agissant de la prise en charge de la dépendance, une loi de décembre 2006 a créé un dispositif national de prise en compte de la perte d'autonomie censé garantir une couverture universelle ainsi que l'égalité d'accès aux droits ; sa mise en oeuvre relève des communautés autonomes ;
Enfin, ces dernières sont responsables, en coordination avec les municipalités, de la lutte contre l'exclusion sociale par la mise en place de revenus minimaux.
Quant au système national de santé (SNS), qui a vu le jour en 1986, sa mise en oeuvre est entièrement assurée par les communautés autonomes depuis la dernière vague de décentralisation intervenue en 2002.
L'Etat, à travers l'Institut national de gestion sanitaire (INGS), a pour mission de garantir l'égalité d'accès aux soins et leur uniformité. Il définit pour ce faire un catalogue de soins qui dresse la liste des services gratuits, lesquels incluent en particulier les consultations en médecine générale et spécialisée, les services d'urgence, les transports sanitaires ainsi que les soins dans les hôpitaux publics.
Dans le respect de ces principes d'universalité et de gratuité, les communautés autonomes sont chargées d'organiser l'accès aux soins. L'assuré peut librement choisir son praticien (médecin généraliste, pédiatre ou dentiste) dans la zone où il réside et ne paie pas d'honoraires. Le personnel du SNS relève d'un statut particulier de la fonction publique régi par la législation nationale mais le recrutement et la rémunération relèvent de chaque communauté autonome dans le respect des principes généraux définis au niveau national. Une coordination a minima est prévue dans le cadre d'un « Conseil interterritorial du SNS » qui rassemble le ministre chargé de la santé et les conseillers des communautés autonomes en charge de la santé.
L'Etat conserve quant à lui la compétence exclusive de la politique du médicament et des formations sanitaires et sociales.
Au total, le système de protection sociale espagnol constitue un système « mixte » combinant, depuis 1986, de forts éléments de type « beveridgien » avec une conception assurantielle plus ancienne.
Il repose sur une répartition des compétences complexe - voire conflictuelle - régulée s'il le faut et en dernier recours par le Tribunal constitutionnel.