La crise économique et financière a mis un coup d'arrêt brutal à l'extension de la couverture sociale à de nouveaux risques et catégories d'assurés.
Dans un premier temps, les prestations sociales ont connu une certaine amélioration dans le cadre du plan de relance du gouvernement Zapatero (2009-2010). Mais sous les effets conjoints de ce plan de relance massif (évalué à 7 points de PIB), de la chute des ressources fiscales, de l'augmentation mécanique des dépenses liées à la crise et du coûteux sauvetage du système bancaire, le niveau de la dette publique espagnole a considérablement augmenté, passant de 36 % du PIB en 2007 à plus de 68 % en 2011. Après une décennie d'excédents (1999-2009), les comptes sociaux ont connu une détérioration rapide à partir de 2010.
Dans un second temps, les politiques d'austérité amorcées sous le gouvernement Zapatero et poursuivies par celui de Mariano Rajoy après l'alternance politique de l'automne 2011 ont donc mis en oeuvre un programme drastique d'assainissement budgétaire.
Quelles que soient leurs fonctions et leur appartenance politique, tous nos interlocuteurs en Espagne ont insisté sur l'ampleur et la gravité des réductions mises en oeuvre. Aucune branche de la protection sociale n'a en effet été épargnée et le Gouvernement est revenu sur de nombreuses avancées qui avaient vu le jour dans les années d'avant-crise. Les communautés autonomes, qui représentaient environ la moitié des dépenses publiques et les deux tiers du déficit public espagnol en 2011, ont elles aussi été contraintes de revoir leurs politiques sociales pour tenir compte des coupes budgétaires imposées au niveau central. Les élu-es rencontré-e-s ont dénoncé les conséquences dramatiques de choix ainsi imposés concernant notamment les centres de santé, les hôpitaux de proximité avec des listes d'attente pour les opérations d'urgence qui deviennent exponentielles. Conséquences tout aussi dramatiques sur la cohésion sociale, le « mieux vivre ensemble. »
Permettez-moi de détailler quelque peu les principales mesures adoptées.
S'agissant du marché du travail, plusieurs réformes successives - mises en oeuvre par des lois de septembre 2010, juin 2011 et février 2012 - sous couvert de simplification des règles de licenciement - ont considérablement réduit la protection des salarié-es. Outre l'introduction de procédures plus rapides, les indemnités de licenciement ont été fortement réduites, passant de 45 à 33 jours par année d'ancienneté, voire à 20 jours par année d'ancienneté dans le cas d'une entreprise déficitaire.
Les modalités d'indemnisation du chômage ont également été rendues plus restrictives en 2012 avec notamment : la réduction de 10 % des prestations à partir du septième mois d'indemnisation pour les nouveaux entrants. A compter du 181e jour d'indemnisation, le montant de la prestation a ainsi été ramené de 60 % à 50 % du salaire de référence ; le resserrement des conditions d'accès au revenu actif d'insertion : le bénéficiaire doit avoir épuisé tous ses droits aux prestations chômage contributives et non contributives, n'avoir refusé aucune offre d'emploi, ni participé à des actions de formation ou de reconversion professionnelle au cours de l'année écoulée ; la suppression d'une allocation spécifique qui existait pour les personnes de plus de 45 ans et la réduction des prestations non contributives pour les personnes de plus de 52 ans ; la suppression de la prise en charge par le Sepe de 35 % des cotisations sociales dues par le bénéficiaire durant la période de chômage.
Comme nous l'a précisé le directeur général de la sécurité sociale, dans le domaine des retraites, les mesures adoptées sont à la fois paramétriques et structurelles.
Pour limiter le dynamisme des dépenses à court terme, l'indexation des pensions a été suspendue en 2011 (sauf pour les pensions non contributives et les pensions minimales) et la revalorisation limitée à 1 % en 2012 et 2013, puis 0,25 % en 2014.
Pour garantir la soutenabilité des régimes de retraite à un horizon de plus long terme, la réforme Zapatero entrée en vigueur le 1er août 2013 prévoit le recul de l'âge légal de départ en retraite de 65 à 67 ans d'ici à 2027, l'augmentation du nombre d'annuités de référence pour le calcul du montant de la retraite de 15 à 25 ans d'ici 2022 et enfin une hausse de 2 ans de la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein (de 35 à 37 ans). Cette réforme concerne à la fois les salariés et les fonctionnaires et s'accompagne d'un durcissement des conditions d'accès aux retraites anticipées ou partielles.
A la fin de l'année dernière a en outre été adoptée une loi prévoyant l'entrée en vigueur en 2019 d'un facteur de soutenabilité et d'équité intergénérationnelle destiné à réguler de manière automatique les pensions versées pour tenir compte des contraintes budgétaires et des évolutions de l'espérance de vie. Il sera calculé de sorte qu'aux revalorisations près le montant théorique touché pendant la retraite reste constant au fil des générations.
Un nouveau mécanisme de revalorisation des pensions, qui tient compte de l'écart entre la croissance des recettes de la sécurité sociale et la croissance des dépenses de pension, est par ailleurs entré en vigueur dès 2014.
Dans le domaine des prestations familiales, les mesures adoptées ont consisté à revenir sur un certain nombre d'avantages consentis en 2009 : suspension en 2010 du prolongement du congé parental porté de 13 à 20 jours entre 2007 et 2009 ; suppression en 2011 de la prime de 2 500 euros versée lors de la naissance ou l'adoption d'un enfant sous forme de crédit d'impôt ou de prestation.
Derrière la froideur des chiffres, se dessinent des drames humains ou pour le moins des situations individuelles et familiales fragilisées car plus précarisées !
En ce qui concerne la prise en charge de la dépendance, le Gouvernement a sensiblement réduit en juillet 2012 la portée de la réforme entrée en vigueur en 2007. Celle-ci prévoyait la mise en place d'un niveau minimum de protection financé et garanti par l'Etat, d'un deuxième niveau cofinancé par l'Etat et les communautés autonomes et d'un troisième niveau facultatif laissé à la discrétion de ces dernières. Se référant au coût plus élevé que prévu de cette réforme, le Gouvernement a progressivement augmenté la participation financière des bénéficiaires (de 10 % à 15 %), supprimé la prise en charge par l'Etat des cotisations sociales des aidants familiaux et réduit le montant maximal des prestations financières versées à ces derniers.
Dans le domaine de la santé, la réduction de l'effort public s'est notamment traduite par une plus grande participation des assurés au coût du médicament ainsi qu'aux transports sanitaires non justifiés par l'urgence, qui risquent de devenir purement et simplement un transport payant. Suite à un décret royal adopté en 2012, qui a remplacé le système de santé universel par l'assurance de santé publique, le ticket modérateur est compris entre 40 % et 60 % du prix du médicament en fonction des revenus de l'assuré. Les retraités, qui étaient auparavant exemptés de toute participation, doivent aujourd'hui contribuer à hauteur de 10 % de ce prix.
Le Gouvernement a également cherché à préciser l'accès au SNS en le conditionnant à la qualité d'assuré social. Les personnes non assurées ou n'ayant pas la qualité d'ayant droit voient leur accès maintenu moyennant le paiement d'une contribution financière. Les étrangers en situation irrégulière n'ont quant à eux plus accès au SNS sauf s'ils sont mineurs, en cas de maternité et en cas d'urgence.
S'agissant par ailleurs des mesures portant sur les recettes de la sécurité sociale, l'assiette des cotisations sociales a été élargie par l'intégration de l'ensemble des éléments de rémunération, y compris en nature (comme les tickets restaurant ou les prestations sociales directement prises en charge par l'employeur).
Toutes ces mesures qui visent à assurer la réduction des dépenses publiques de santé engendrent des inégalités de plus en plus importantes.
A cela s'ajoute la remise en cause du droit à l'avortement, dans la logique d'une Europe qui glisse fortement du droit des femmes à disposer librement de leur corps à l'idée de « droit à la vie ».