Intervention de Annie David

Commission des affaires sociales — Réunion du 25 juin 2014 : 2ème réunion
Conséquences de la crise économique sur le système de protection sociale espagnol — Compte rendu de la mission d'information

Photo de Annie DavidAnnie David, présidente :

Situées en première ligne des difficultés sociales, les municipalités tentent, tant bien que mal, d'atténuer les conséquences de la crise (à travers, par exemple, la mise en place « de bourses de réfectoire » à Tolède ou d'aides alimentaires d'urgence à Parla - où le taux de chômage s'élève à 50 % de la population). Mais leur gestion sociale est rendue très difficile par l'étroitesse de leurs marges de manoeuvre et la diminution des fonds attribués par les communautés autonomes. Dans ce contexte, les communes se montrent particulièrement préoccupées par le vaste plan de rationalisation des compétences territoriales mis en oeuvre par l'Etat central, qui envisage de leur retirer les quelques compétences résiduelles détenues en matière sociale pour les transférer intégralement aux communautés autonomes.

Les nombreuses spécificités évoquées ne nous autorisent à établir des comparaisons, notamment avec la France, qu'avec une grande prudence. Je souhaiterais néanmoins formuler sous cette réserve deux observations avant de conclure.

Il convient tout d'abord de revenir quelques instants sur les caractéristiques particulières de la structure des dépenses sociales en Espagne, que la crise a eu pour conséquence d'accentuer.

Compte tenu des grandes difficultés rencontrées en matière d'emploi, la part relative des prestations chômage s'avère élevée et a tendance à croître : de l'ordre de 12,5 % en 2006, elle s'établit aujourd'hui à 14,6 %, contre 5,6 % pour la moyenne européenne.

La part des pensions de vieillesse dans le total des prestations sociales (44 %) est légèrement inférieure à la moyenne européenne (45,7 %) mais augmente régulièrement avec le vieillissement de la population.

En revanche, les prestations familiales, qui représentent 5,4 % du total des dépenses sociales contre 8 % en moyenne dans l'Union européenne, ainsi que les allocations logement et les dépenses consacrées aux autres prestations de lutte contre l'exclusion sociale (1,7 % en Espagne contre 3,6 % en moyenne dans l'UE) apparaissent relativement peu étendues et leur part relative a diminué au cours de la crise.

Dans ces conditions, comme nous l'a confirmé la directrice de l'enfance et de la famille au ministère des affaires sociales, pour qui la France fait encore figure de modèle, les mesures prévues risquant néanmoins d'y porter atteinte, la crise a conduit à une réactivation des solidarités familiales et de proximité, dont l'une des manifestations est le retour du phénomène de cohabitation intergénérationnelle.

Notre interlocutrice soulignait en outre que les subventions allouées par l'Etat aux organisations non gouvernementales (ONG) représentaient le seul poste budgétaire de sa direction dont le niveau avait augmenté au cours de la crise. A cet égard, les associations que nous avons rencontrées ne remettent bien sûr pas en cause la légitimité de leurs missions - dans lesquelles les citoyens espagnols placent une grande confiance - mais elles estiment être trop souvent mobilisées pour pallier les carences des pouvoirs publics.

En tout état de cause, alors même qu'il avait atteint une certaine maturité pour affronter de nouveaux défis, comme le vieillissement démographique, le système de protection sociale espagnol voit son développement fortement contrarié par la lenteur avec laquelle se résorbent les déséquilibres, et sans doute aussi par les mesures d'économie drastiques mises en oeuvre.

Pourtant, les représentants de la majorité politique et des organisations d'employeurs considèrent que la société espagnole a aujourd'hui surmonté les difficultés les plus importantes générées par la crise et placent de nombreux espoirs dans les premiers signes de reprise économique apparus depuis le troisième trimestre de l'année 2013. Une croissance positive est attendue pour 2014 (+ 0,6 % selon les prévisions du FMI) et la Commission européenne a jugé que les efforts structurels demandés avaient été réalisés pour assainir le secteur bancaire.

Nous pouvons cependant craindre que la situation sociale du pays ne profite pas de ce frémissement de reprise et que la population espagnole attende encore avant de connaitre une amélioration de leur protection sociale, et de fait de leurs conditions de vie. L'endettement privé reste important puisqu'il atteignait 215 % du PIB en 2012 (contre 161 % en France). Surtout, malgré les premiers signes de reprise, le taux de chômage demeure toujours aussi élevé, atteignant 25,8 % à la fin du premier trimestre de cette année, soit un niveau qui place le pays en seconde position après la Grèce.

La persistance d'un taux de chômage élevé compromet à court terme la possibilité pour le système de protection sociale espagnol de retrouver les ressources sur lesquelles il avait pu fonder son essor. Il nous paraît donc que l'optimisme affiché par les autorités nationales doive être accueilli avec circonspection.

En effet, et à titre plus personnel, il me semble que cet éclairage du système de protection social espagnol doit nous interroger sur les avantages mais aussi les limites d'un système autant décentralisé, au regard notamment des responsabilités de chacune des collectivités en présence et parfois des antagonismes entre elles, de la mission unique du ministère de la santé qui est de fixer les grandes orientations des politiques sociales à travers l'adoption de plans et de schémas pluriannuels dans les différents domaines concernés et des inégalités d'accès que cela induit ; cela a déjà été dit mais l'Espagne est aujourd'hui classée deuxième la pauvreté des enfants... car, oui, cet affaiblissement du système de protection sociale aggrave les inégalités.

Tels sont, mes chers collègues, les remarques que je souhaitais partager avec vous et les principaux éléments d'information et d'observation que nous voulions, avec mes trois collègues, car j'associe Gérard Roche, vous livrer au terme de cette mission très dense.

Je veux, pour terminer, souligner l'accueil très chaleureux qui nous a été réservé par nos hôtes, la parfaite information qu'ils ont su nous procurer ainsi que le concours particulièrement actif de notre ambassade de Madrid pour l'organisation et le bon déroulement de notre mission.

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