Dans ma propre famille politique, je ne reçois pas seulement des louanges ou des soutiens, car je suis un homme libre. Nous bouleversons une organisation territoriale qui existe depuis des décennies. Ne rien faire serait une erreur, mais il faut réfléchir aux meilleures modalités pour renforcer la démocratie locale. Cette réforme intervient dans les pires conditions économiques et sociales. Si, comme en 1981, elle avait été présentée dans les cent premiers jours de la mandature, les choses auraient été plus simples. Avec le retard accumulé, les groupes de pression se sont mis en marche, le compromis est devenu plus difficile à atteindre - même si des avancées ont d'ores et déjà été enregistrées.
Les deux volets de la réforme sont liés. Je suis même allé plus loin que certains d'entre vous, en liant réforme de l'État et Europe - la tribune du président de la République ne comportait que deux lignes à ce sujet, pourtant essentiel. La confiance des Français à l'égard de leur administration territoriale atteint 84 %, alors qu'elle n'est que de 52 % vis-à-vis de l'administration d'État. Nous avons fait la preuve de notre efficience sur le terrain, même si certains nous font encore des procès d'intention parfaitement injustes.
J'ai donné mon point de vue sur la carte des régions. Les conclusions du rapport Krattinger-Raffarin étaient excellentes. L'ADF ne peut toutefois proposer d'amendements : ce droit n'appartient qu'aux parlementaires. D'aucuns proposent que l'on modifie la carte pour donner à certains départements en bordure de région la possibilité d'en rejoindre une autre. Ce serait parfois cohérent, comme pour les deux départements de Charente, plus proches de la Gironde que de la grande région centrale, ou l'Oise, davantage dans l'orbite parisienne que picarde, comme le souligne M. Yves Rome. Le lien entre Loire-Atlantique et Bretagne prête aussi à débat. Or on n'a pas demandé leur avis aux collectivités territoriales. Un découpage plus précis s'impose.
M. Mézard me demande si j'approuve le report des élections départementales. On a d'abord cru qu'il n'y aurait plus d'élections, puisque la suppression des départements devait intervenir au 1er janvier 2016. Nous nous réjouissons qu'elles se tiennent finalement en décembre 2015, mais sommes hostiles à tout transfert de compétences des départements vers d'autres collectivités territoriales. Prenez les collèges : ce sont d'abord des établissements publics de proximité, plus proches des écoles primaires et maternelles, tandis que les lycées sont plus proches de l'enseignement supérieur. Nous nous opposons en tout cas à la dévitalisation des départements.
Sur les aspects financiers : j'ai été le premier à demander publiquement au président de la République et au Premier ministre de commander à la Cour des comptes, dont la crédibilité est unanimement reconnue, une étude chiffrée des économies de dépenses escomptées. L'Élysée et Matignon m'ont dit leur accord, mais nous attendons toujours. L'ADF avait publié une telle étude en 2009 : nous avons demandé au cabinet qui l'a réalisée de l'actualiser, mais la meilleure solution reste de solliciter les magistrats de la rue Cambon, afin de faire taire les nombreux médias qui propagent des contre-vérités parfois insupportables sur ce sujet.
La France est le seul pays d'Europe à avoir refusé les fusions de collectivités. Avant le dernier élargissement de l'Union européenne, la moitié d'entre elles se trouvaient en France - nos 36 000 communes représentent désormais près de 40 % du total. L'invention de l'intercommunalité visait à remédier à cet émiettement, en évitant la création d'un niveau supplémentaire. La loi sur les métropoles n'a créé qu'une seule nouvelle collectivité : la métropole de Lyon. Certains parlementaires proposeront d'en créer de nouvelles... Le découpage du territoire au gré des volontés des uns et des autres est une méthode choquante. Ancien président du Comité des régions, je suis acquis au principe de subsidiarité. Je suis également favorable au principe de spécificité : les caractéristiques démographiques, économiques, sociales des différentes régions exigent que l'on procède différemment, par exemple en Ile-de-France et en Rhône-Alpes.
Le rapport Balladur prédisait « l'évaporation des communes et des départements », et voyait dans la communauté de communes « la commune du XXIème siècle ». Les intercommunalités sont aujourd'hui de trois types : communauté urbaine, communauté d'agglomération et communauté de communes. La loi Mapam du 27 janvier 2014 entendait conférer aux métropoles les compétences des départements. Le président de l'Association des communautés urbaines n'y est toutefois pas favorable, car les communautés urbaines sont spécialisées sur la formation supérieure, les enjeux économiques et stratégiques, et les départements, eux, sur la politique sociale. Or il ne peut y avoir une action sociale des villes et une action sociale des campagnes. Je ne plaide pas pour autant pour une parfaite homogénéité, car elle serait contraire à la liberté politique locale inhérente à la décentralisation.
Monsieur Longuet, l'équilibre entre les hommes et les espaces est un exercice difficile. Voyez le débat sur le mode de scrutin cantonal : certains plaidaient ici pour un écart de population de plus ou moins 30 % entre cantons d'un même département, et non de 20 %. Dans les futures régions, il faudra trouver le meilleur équilibre entre les espaces, sans oublier qu'un espace vit, ses habitants bougent.
Monsieur Doligé, si j'étais pour la suppression des départements, que ferais-je à la tête de l'ADF ? Je crois beaucoup à cette collectivité de proximité. Ce serait la première fois que l'on supprimerait une collectivité dont les représentants sont élus au suffrage universel...
Monsieur Dantec, la France n'est pas un État fédéral, mais un État unitaire décentralisé, ainsi qu'en dispose la Constitution depuis 2003. Je ne voudrais pas que l'on substitue à un État jacobin des régions qui deviendraient à leur tour de petits États jacobins.
C'est la première fois qu'une loi de décentralisation ne transfère aucune compétence de l'État en faveur des collectivités territoriales. J'y vois un texte de clarification plus que de décentralisation. J'aurais voulu que l'on discute enseignement supérieur, santé, double autorité du préfet et du président de région sur le service public de l'emploi... De nombreux sujets ne sont pas abordés, comme si nous avions peur des collectivités territoriales, de leurs élus et de leur administration. Or nous ne nous en sortirons que si nous décentralisons davantage. La France est au dix-septième rang au sein de l'Union européenne en matière de décentralisation, loin derrière les autres États les plus peuplés. Autrement dit : nous sommes les derniers de la classe. Nos choix sur cette question conditionneront la lutte contre le chômage, le développement de nos territoires et des entreprises.