Je suis très heureux de témoigner devant la délégation. Ce qui m'a frappé, lors de notre première rencontre avec les cinq inspecteurs généraux qui ont travaillé avec nous sur cette mission, c'est leur affirmation d'une méconnaissance du fonctionnement des institutions par l'administration centrale, ainsi que de la méfiance qui existe entre les différentes strates des collectivités territoriales. À titre personnel, je suis président de conseil régional depuis seize ans, mais je n'ai jamais accueilli une mission d'administration centrale ou une mission parlementaire. Cela me paraît incroyable, dans une république décentralisée, que l'on n'aille pas voir comment fonctionne le pays. De nombreuses difficultés, y compris en termes de compréhension, viennent de là. Par exemple, lors de la préparation de son rapport, M. Peretti est à peine resté une demi-journée. J'avais également proposé à M. Balladur d'accueillir pendant plusieurs jours trois administrateurs chargés de l'aider à rédiger le rapport afin de leur montrer de manière un peu plus approfondie le fonctionnement d'une collectivité territoriale.
Nous connaissons tous le constat : le nombre de collectivités territoriales est très élevé et nous n'avons fait aucune réforme pour en diminuer le nombre, au contraire de pays proches de nous. En France, pour 100 000 habitants, il y a en moyenne 58 communes, et 2 au Danemark. Aux Pays-Bas, le nombre de communes a été divisé par quatre ; en Suède, il a été divisé par dix. Il y a eu des mouvements un peu partout. En outre, il existe une autre singularité française : le principe d'interdiction de tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre, qui pose des problèmes d'organisation territoriale - on le voit aujourd'hui dans le débat sur le département. En Allemagne, les Kreis, ou, en Espagne, les Provinces, sont des structures intermédiaires entre la région et la collectivité de base, avec un pouvoir de tutelle.
Par ailleurs, l'imbrication des compétences est ressentie de manière très forte. Elle entraîne des flux de financement croisés. Illustration de ces flux : lors de l'inauguration d'une réalisation modeste à laquelle je participais, il y avait sept paires de ciseaux sur les coussins d'inauguration, et sept discours ont été prononcés ; il y avait sept financeurs...
Le premier enjeu est de clarifier le partage des compétences pour suivre et rationaliser la dépense par politique et par territoire avec une préoccupation : prendre en compte la diversité des territoires et des collectivités. Les besoins des milieux ruraux ne sont pas ceux des villes. Cette clarification nécessaire doit commencer par l'État. Dans un certain nombre de domaines non régaliens, la compétence résiduelle de l'État ne constitue ni un facteur d'équité, ni un facteur de pertinence. On constate un décalage entre la présence de l'État autour de la table et sa très faible participation financière, en matière culturelle ou en termes d'aide économique.
En outre, il faut redéfinir le partage des compétences entre les acteurs locaux. Premièrement, une compétence ne doit se retrouver qu'à un ou deux niveaux ; deuxièmement, la clause générale de compétence doit être supprimée et les textes qui fondent les compétences des collectivités doivent être toilettés. Par ailleurs, la décentralisation doit être achevée en transférant les moyens d'intervention dans les domaines où les collectivités territoriales interviennent de manière notable. Enfin, il faut diminuer le nombre de satellites et démembrements des collectivités territoriales.
S'agissant des régions, elles doivent être dotées des moyens de leur ambition. Il faut leur transférer un certain nombre de compétences, notamment le volet économique, aujourd'hui mené par la DIRECCTE, leur confier le pilotage de l'économie touristique ainsi qu'une partie de l'action culturelle qui ne relève pas des pouvoirs régaliens, de l'action sportive ou encore du domaine du patrimoine, l'État ne conservant alors plus que le contrôle des normes et le niveau national.
En termes d'impulsion et de coordination, les pouvoirs de la région doivent être renforcés. Il faut pour cela rendre opposables les principaux documents régionaux, comme le schéma régional économique ou le schéma régional d'aménagement et de développement du territoire. En effet, l'élaboration de ces schémas nécessite une vaste concertation, ils ne doivent pas rester un voeu pieux. Toutefois, se pose aujourd'hui le problème de la tutelle. Mais il existe des décisions qui, prises au niveau local et avalisées par l'État, s'imposent à tout le monde. C'est le cas pour la gestion de l'eau, avec les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux, qui s'imposent aux collectivités locales, aux agriculteurs, aux pécheurs, aux utilisateurs de canoës. Les régions doivent également disposer d'une taille critique suffisante.
S'agissant du département, des évolutions sont nécessaires mais doivent être différenciées. Certaines compétences de l'État doivent être transférées à l'échelon départemental, par exemple les routes nationales, car il reste aujourd'hui 9 000 km de routes nationales, soit moins que ce que gèrent certains départements. En outre, dans le domaine social, le transfert des compétences doit être achevé en ce qui concerne la gestion des pupilles de la Nation ou la prise en charge de l'enfant handicapé. Une tarification des prestations sociales du département est nécessaire. Deux pistes ont été évoquées : soit le département dispose d'une marge de manoeuvre pour exercer une vraie compétence décentralisée - nous avons en effet constaté l'existence d'inégalités de traitement d'un département à l'autre - soit on recentralise cette compétence et le département devient simplement un guichet au compte de l'État, mais sans responsabilité financière.
S'agissant du conseil général, il est possible de le faire évoluer de deux manières : Dans les territoires urbains - et on prenait l'exemple de ce qui se passe dans le Rhône -, là où une métropole englobe la quasi-totalité du territoire et prend le pouvoir du département, que reste-t-il de ce dernier ? Soit les territoires non inclus restent d'une superficie et d'une population suffisantes pour continuer à former un département, soit encore les communes restantes pourraient être réparties dans les départements voisins, soit enfin, comme dans les territoires ruraux de moins de 200 000 habitants, la piste d'une transformation du conseil général en une fédération d'intercommunalités pourrait être étudiée.
Nous proposons également un renforcement de l'intégration au sein des intercommunalités, avec un élargissement des compétences obligatoires transférées. À horizon de six ans, nous proposons qu'au moins 60% des dépenses soient faites au niveau intercommunal. Nous reprenons également l'idée d'attribuer la dotation globale de fonctionnement à l'intercommunalité afin qu'elle la redistribue aux communes selon des règles préétablies. Cela éviterait de nombreux allers et retours entre l'intercommunalité et les communes. Enfin, le nombre de syndicats doit être réduit, car on en dénombre aujourd'hui plus de 10 000.
Je passe le témoin à Alain Lambert pour évoquer les nouveaux outils susceptibles de redresser les finances publiques.