Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 2 juillet 2014 à 15h00
Projet de loi relatif à la délimitation des régions aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral — Adoption d'une motion référendaire

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

Vous verrez, et vous verrez vite !

Ce projet est aussi contradictoire, parce que, si j’ai bien compris, vous souhaiteriez confier à de grandes intercommunalités des responsabilités sociales exercées par les départements. En effet, la logique de cette réforme– à supposer qu’elle en ait une ! –, c’est la mutualisation des moyens ; or, si l’on retire aux départements leurs compétences en matière d’action sociale pour les confier à une pluralité d’intercommunalités, on fait l’inverse d’une mutualisation !

Autre contradiction : si demain les politiques sociales sont fonction de la richesse de l’intercommunalité chargée de les mettre en œuvre, c’est le degré zéro de la solidarité départementale ! La fracture territoriale ne pourra que s’en trouver aggravée.

La deuxième fracture est une fracture démocratique.

Je crois qu’il y a une sorte de loi de la gravitation universelle de la démocratie. Ce sont les Grecs qui l’ont découverte lorsqu’ils ont inventé la Cité, le civisme, la citoyenneté, qu’ils ont créé la démocratie. Ils l’ont créée dans un espace relativement restreint, où les relations s’établissent de visage à visage, de regard à regard. En effet, pour qu’une minorité accepte la loi de la majorité, il faut des liens, une proximité spatiale, il faut que la personne à qui est confié un mandat soit, si j’ose dire, « à portée d’engueulade » – les élus en essuient plus qu’ils ne reçoivent de félicitations !

C’est donc dans la proximité que s’élabore ce sentiment démocratique, que se fait l’apprentissage de la démocratie, et la démocratie nationale n’est qu’une projection de notre pratique et de notre expérience de la démocratie locale.

Par conséquent, plus vous éloignez les élus des administrés, au sein de grandes régions ou d’intercommunalités, qui d’ailleurs ne sont pas vraiment des institutions démocratiques – elles ne le sont qu’au second degré –, plus vous allez distendre ce lien.

Relisez Fractures franç aises de Christophe Guilluy, dont la sensibilité est sans doute plus proche de la vôtre que de la mienne, et vous constaterez que c’est dans cette France des oubliés, cette France des invisibles, cette France périurbaine, rurale, qui se considère comme abandonnée par la mondialisation, que le Front national réalise ses scores les plus élevés ! Dans l’euro-région Ouest, j’ai calculé que le vote protestataire recueillait sept points de plus en milieu rural et périurbain.

Voilà la fracture démocratique ! Voilà ce que vous allez aggraver si, demain, vous remembrez la France avec d’immenses régions et supprimez les corps intermédiaires territoriaux !

Fracture territoriale, fracture démocratique, mais aussi fracture identitaire.

Pour rebondir sur les propos de Ronan Dantec, qui est un voisin breton – tribu voisine ! –, je dirai que j’ai une grande considération pour l’identité. Pour être profondément Français, mais aussi Vendéen, je sais ce que l’identité peut apporter comme moteur de développement, à condition qu’elle soit une « identité heureuse », pour paraphraser un académicien, c’est-à-dire tournée vers les autres et vers l’avenir.

Mettons en perspective cette réforme avec ce qu’est fondamentalement notre pays. Vous le savez, la France a depuis longtemps, avant la République et l’Empire, dès le temps de la monarchie, l’obsession de son unité. Cette obsession a traversé les siècles, les générations et les régimes. Toutefois, la République a vite compris que l’unité nationale ne pouvait pas s’opérer sans une respiration territoriale. Aussi, dès la fin du XIXe siècle, le génie français a réalisé en quelque sorte l’acte premier de la décentralisation. Celle-ci date non pas de 1982, mais plutôt de la loi de 1871 sur les départements et surtout de celle de 1884, avec la charte municipale qui a instauré la clause de compétence générale pour les communes.

Cette invention française est donc là pour faire respirer les territoires dans un État très centralisé, encore très jacobin. C’est notre histoire. Tout le mouvement de décentralisation qui s’est ensuivi et dont je salue les instigateurs, Gaston Defferre mais aussi Jacques Chirac, Jean-Pierre Raffarin, ici présent, et d’autres, incarne cet effort de synthèse entre la diversité et l’unité. En d’autres termes, il s’agit de penser la diversité, la décentralisation dans cette unité républicaine et française.

Vaclav Havel, un auteur que j’aime beaucoup, a dit quelques mois avant sa mort que les grandes nations occidentales et postmodernes sont menacées par un dilemme mortifère : d’un côté, l’uniformisation, la standardisation liée à la mondialisation ; de l’autre côté, le repli identitaire.

J’ai lu l’étude d’impact, et cela ne m’a évidemment pris que peu de temps, hélas ! M’adressant à tous ceux de nos collègues qui n’ont d’autre horizon pour le pays que les comparaisons internationales, qui voudraient finalement que la France se vide de sa propre substance, qu’elle évacue son histoire et sa géographie, pour ne ressembler qu’à un État moyen totalement abstrait, conçu à partir de statistiques européennes, je rappellerai certaines réalités sur ces forces centrifuges que sont les dynamiques identitaires : l’Écosse en Grande-Bretagne, la Flandre en Belgique, la Vénétie en Italie, la Catalogne en Espagne… Nous n’avons pas de leçons à recevoir des autres pays, qui ont leurs propres traditions. L’Allemagne a une tradition fédérale – en dehors la parenthèse du nazisme –, mais l’Allemagne est l’Allemagne, et la France est la France !

Vous avez fait, monsieur le ministre, une grave erreur, qui n’est pas seulement de méthode, en mettant la charrue avant les bœufs. En dissociant et en commençant par la carte plutôt que par les responsabilités et les compétences

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