Intervention de Marie-Françoise Marais

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 2 juillet 2014 : 1ère réunion
Lutte contre le piratage commercial des oeuvres culturelles sur internet — Audition de mmes marie-françoise marais présidente de la haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet hadopi et mireille imbert-quaretta présidente de la commission de protection des droits de la hadopi

Marie-Françoise Marais, présidente de la Hadopi :

Je veux avant tout remercier très sincèrement la commission d'avoir organisé cette audition. Le contrôle du Parlement représente le corollaire indispensable de notre indépendance ; les occasions de rendre compte de notre action devant la représentation nationale sont donc essentielles. Ce moment d'échange constitue également une opportunité de soumettre à votre examen les enseignements que nous tirons de notre expérience et les pistes d'évolution que nous explorons. Ce partage est précieux : il nous permet de prendre du recul sur les actions que nous conduisons quotidiennement.

Nous tirons deux enseignements majeurs de nos quatre années d'expérience : d'une part, la procédure de réponse graduée fonctionne et, d'autre part, la lutte contre le piratage passe aussi par le développement de l'offre légale. Le législateur a élaboré une loi d'équilibre qui repose sur ces deux piliers et l'expérience de terrain que nous avons acquise conforte cette analyse.

D'abord, la procédure de réponse graduée a un effet certain sur les usages. Selon les données dont nous disposons, sa mise en oeuvre s'est révélée dissuasive sur la fréquentation des services pair-à-pair : ils ont vu leur audience baisser d'un tiers environ entre l'automne 2010 et l'automne 2011 et demeurent sous contrôle depuis, à un niveau assez faible. Il semble également que cette diminution n'ait pas entrainé de report massif, comme certains voudraient le laisser entendre, vers les autres modes d'accès aux oeuvres comme le streaming et le téléchargement direct.

Ensuite, le développement d'une offre légale riche, diversifiée et accessible demeure la meilleure façon de limiter le piratage sur Internet. Cette analyse avait conduit le Sénat à confier à la Hadopi une mission d'encouragement au développement de l'offre légale. La pertinence de ce choix est confortée par l'observation et l'expérience. À cet égard, on constate une différence importante entre le secteur de la musique, d'une part, et celui de l'audiovisuel, d'autre part. L'un a trouvé son équilibre et répond assez bien aux attentes des utilisateurs tandis que l'autre, pour diverses raisons, peine encore à concurrencer efficacement l'offre illicite. Nous constatons également que, hormis quelques grandes plateformes, les offres culturelles légales sont assez mal connues du grand public. Dans de nombreux secteurs, un fossé sépare les usagers de la création et de la compréhension de ses rouages.

Pour essayer de contribuer à rapprocher les internautes de l'offre culturelle sur Internet, nous mettons en oeuvre, depuis décembre dernier, une nouvelle stratégie d'encouragement au développement de l'offre légale, qui consiste essentiellement dans le développement et la gestion du site offrelégale.fr. Ce site recense plus de 400 sites et services culturels en ligne et permet aux internautes de les sélectionner grâce à des filtres, par secteurs culturels, par type d'oeuvre, par mode d'accès, ou encore par régime juridique. Une plateforme collaborative permet également aux internautes de suggérer une nouvelle offre et de donner leur avis sur cette dernière. Récemment, nous avons enrichi ce site : une nouvelle fonctionnalité permet désormais aux internautes de signaler une oeuvre qu'ils ne parviennent pas à trouver parmi les offres légales. Ce signalement nous conduit à rechercher l'oeuvre et, le cas échéant, à explorer les raisons qui expliquent son indisponibilité. Cette démarche nous permet à la fois d'informer les internautes, par exemple sur les règles de la chronologie des médias, et de sensibiliser les titulaires de droits aux attentes des consommateurs. Cette initiative a recueilli un accueil très positif du public : en seulement trois mois, nous avons d'ores et déjà reçu plus de 400 signalements.

Notre nouvelle stratégie d'encouragement au développement de l'offre légale se concrétise également par le renforcement de nos actions d'information et de sensibilisation. Avec des partenaires de plus en plus nombreux, la Hadopi anime deux types d'ateliers : les premiers sont des ateliers de sensibilisation du jeune public à la création et aux ressources numériques, qui se déroulent de façon quasiment hebdomadaire à la demande des académies et des établissements scolaires, où les besoins d'information sur ces sujets sont immenses. Ils visent à initier les élèves des collèges et lycées à la création et au droit d'auteur. À rebours des discours anxiogènes sur les dangers d'Internet et des discours moralisateurs sur le piratage, il nous paraît plus opportun d'informer les élèves et de les sensibiliser aux outils numériques pour qu'ils puissent maîtriser leurs usages en ligne et décider eux-mêmes de leurs choix, de façon informée et responsable. Un second type d'ateliers s'adresse à l'entreprenariat culturel. Ils visent à informer et à accompagner ceux qui envisagent de créer une initiative de diffusion culturelle sur Internet, en les renseignant sur les contraintes mais aussi les opportunités qui existent dans ce domaine. À cet effet, les ateliers « Culture et entreprenariat » que nous organisons avec plusieurs partenaires, notamment des incubateurs de start up, consistent à réunir des acteurs de la création et de la diffusion pour un partage d'informations et d'expériences concrètes. Ils portent, par exemple, sur la recherche de financements publics et privés, sur le financement participatif ou sur des recommandations personnalisées.

L'ensemble de ces actions vise à encourager le développement d'une offre culturelle par le plus grand nombre et pour le plus grand nombre. Elles nous permettent de dresser deux constats, qui nous incitent à explorer de nouvelles voies pour nous adapter à l'évolution des usages et des technologies.

D'abord, le développement des atteintes au droit d'auteur sur les sites de streaming et de développement direct constitue une réalité, même s'ils n'entrent pas dans le périmètre de la procédure de réponse graduée. C'est la raison pour laquelle, dès 2012, j'ai demandé à Mireille Imbert-Quaretta de réfléchir aux moyens de lutte contre le streaming et le téléchargement direct illicite. Dans le prolongement de ce travail achevé en février 2013, Mireille Imbert-Quaretta a récemment remis à la ministre de la culture et de la communication un second rapport sur « la prévention et la lutte contre la contrefaçon commerciale en ligne », dont je lui laisserai le soin de présenter les conclusions. Ces travaux ont été réalisés avec le soutien de nos services. Ils pourraient faire l'objet d'une mise en oeuvre à court ou moyen terme. Il me semble d'ailleurs que la ministre de la culture et de la communication a exprimé récemment sa volonté de réorienter l'action de la Hadopi vers la lutte contre la contrefaçon commerciale.

Ensuite, la gratuité des usages culturels en ligne s'est imposée massivement. Selon plusieurs études, notamment celle réalisée par l'Institut français d'opinion publique (IFOP) pour la Hadopi que nous avons publiée en juin dernier, environ 80 % des internautes accèdent à des oeuvres culturelles de façon exclusivement ou le plus souvent gratuite. 70 % d'entre eux indiquent qu'ils ne sont pas prêts à payer. Qu'on le déplore ou qu'on s'en réjouisse, c'est un fait avéré, vérifié, mesuré, qui ne peut désormais être occulté.

C'est pour cette raison que la Hadopi a engagé, en juin 2013, l'analyse d'un système de rémunération proportionnelle du partage, dans le cadre de sa mission d'identification des modalités techniques permettant l'usage illicite des oeuvres protégées par un droit d'auteur sur Internet et de proposition, le cas échéant, des solutions visant à y remédier. Cette analyse à la fois mathématique et juridique est pilotée par le secrétaire général de la Hadopi, Éric Walter, qui vous présentera les contours et l'état d'avancement de ses travaux.

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