Intervention de Dominique Watrin

Commission des affaires sociales — Réunion du 1er juillet 2014 : 1ère réunion

Photo de Dominique WatrinDominique Watrin, membre du comité de suivi :

Le troisième axe de nos propositions tend à assurer une meilleure protection des travailleurs exposés à l'amiante.

Il est indispensable que les organisations professionnelles des métiers particulièrement exposés au risque amiante mènent un travail de sensibilisation auprès de leurs adhérents. Les professionnels intervenant dans des bâtiments ou sur des équipements anciens sont en effet susceptibles d'inhaler des fibres d'amiante. Selon l'INRS, près d'un million de travailleurs dans le secteur du bâtiment seraient concernés par ce risque.

Nous souhaitons également que les maîtres d'oeuvre et leurs collaborateurs suivent obligatoirement une formation spécifique au risque amiante : architectes, bureaux d'ingénierie, rédacteurs des cahiers des charges, coordonnateurs sécurité prévention santé... Cette formation pourrait s'inspirer en partie des règles prévues pour les salariés des entreprises de désamiantage.

Nous proposons également que les partenaires sociaux, dans leur négociation en cours sur les institutions représentatives du personnel, renforcent le rôle des CHSCT dans la prévention du risque amiante.

Il faut surtout renforcer l'action de l'inspection du travail, qui est en première ligne pour défendre les droits des salariés exposés à l'amiante.

« Il n'y a pas assez d'inspecteurs du travail » déclarait Martine Aubry devant la mission commune d'information du Sénat en 2005. Neuf ans après, ce constat reste malheureusement d'actualité. Qui peut croire un seul instant que les 743 inspecteurs et 1 493 contrôleurs en section d'inspection peuvent assurer sereinement leurs missions ? Un agent de contrôle peut-il vraiment suivre en moyenne 8 130 salariés ? L'augmentation du nombre d'agents de contrôle de l'inspection du travail est la condition sine qua non pour protéger les salariés.

La création d'une cellule nationale d'appui « amiante » à la direction générale du travail et de cellules régionales dans les Direccte permettra de mieux accompagner les agents et d'élaborer une doctrine cohérente, sans remettre en cause bien évidemment la liberté dans les suites qu'ils comptent réserver à leurs contrôles. Dans ce cadre, les efforts récents pour clarifier la distinction entre les travaux relevant de la sous-section 3 (travaux de retrait, encapsulage et démolition) et ceux relevant de la sous-section 4 (travaux limités dans le temps et l'espace) doivent être poursuivis.

Il convient également d'encourager la coopération systématique avec d'autres services, comme les agents de prévention de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam). Il serait d'ailleurs très utile de lancer une grande campagne de contrôle sur les chantiers de désamiantage au niveau national pilotée entre la DGT, l'INRS, et le réseau prévention, à l'image de celle qui avait été menée au début des années 2000. Dans le même sens, l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) doit davantage intervenir sur les chantiers en appui des agents de l'inspection du travail et des agents de prévention de la Cnam. Surtout, l'inspection du travail doit être épaulée par les autres corps de contrôle intervenant en amont des chantiers et qui relèvent de la compétence d'autres ministères, comme nous l'avons dit précédemment.

Le comité de suivi souhaite en outre que le ministère et les représentants des agents de l'inspection du travail trouvent un accord pour disposer d'un outil statistique fiable sur l'activité des agents de l'inspection du travail.

Le comité de travail est également favorable à un élargissement de l'arrêt de chantier amiante à tous les secteurs d'activité et à tous les risques liés à l'amiante, qui est également prévu dans la proposition de loi sur l'inspection du travail.

Enfin, le comité de suivi plaide pour que la DGT accentue ses efforts à l'égard des laboratoires de prélèvement et d'analyse, qui sont l'objet de nombreuses critiques : des délais de traitement extrêmement longs compte tenu de leur faible nombre (on comptait fin 2013 seulement 94 microscopes Meta en France), une qualité de stratégie d'échantillonnage et d'analyses parfois remise en cause, des prix élevés et une implantation inégale sur le territoire. Des réunions de travail ont été organisées depuis le début de l'année, mais elles doivent être plus nombreuses et déboucher sur un plan d'action.

Le dernier axe de nos propositions tend à prendre les mesures de prévention nécessaires pour protéger la santé de la population.

L'amiante présente un risque pour les professionnels qui sont amenés à effectuer des manipulations de matériaux amiantés mais aussi pour les particuliers qui sont confrontés à l'amiante dans leur environnement et peuvent parfois être exposés s'ils font eux-mêmes des travaux par exemple.

Pour les particuliers comme pour les professionnels l'enjeu en termes d'information est donc majeur. Une information accessible, claire, pratique doit permettre de prendre les mesures de protection nécessaires et parallèlement de dissiper les craintes qui, sans parole publique forte, peuvent rapidement devenir excessives et générer une anxiété qui affecte gravement les personnes.

L'un des points essentiels en matière d'information est la gestion des déchets. La direction générale de la prévention des risques du ministère de l'écologie a mené un suivi précis de cette question et considère que le nombre de structures susceptibles de recueillir les déchets d'amiante est suffisant pour faire face aux besoins. Cette approche reste cependant très liée à l'idée que la réalité se conforme aux textes. Dès lors que les particuliers réalisent eux-mêmes, en dépit des textes, des travaux les conduisant à produire des déchets contenant de l'amiante, il convient de réfléchir au meilleur moyen de permettre la collecte de ces déchets, leur acheminement vers les sites autorisés (inégalement répartis selon les régions) et le coût de ces opérations. En effet, le stockage des déchets d'amiante s'avère onéreux ce qui renforce le risque de décharges sauvages, spécialement en milieu rural.

Nous considérons donc qu'il convient de mieux informer les particuliers sur la gestion des déchets susceptibles de contenir de l'amiante et de réfléchir avec les collectivités locales aux moyens d'organiser la collecte et le stockage à des coûts abordables pour les particuliers.

Un autre enjeu est celui du suivi post-professionnel des personnes exposées au cours de leur activité à des produits cancérigènes comme l'amiante. Défini aux articles D. 461-25 et suivants du code de la sécurité sociale, celui-ci existe depuis plus de vingt ans.

Il permet la prise en charge des examens médicaux et cliniques nécessaires sans avance de frais auprès des professionnels de santé. Le contenu exact du suivi pour les personnes exposées à l'amiante a fait l'objet d'une recommandation de bonnes pratiques par la Haute Autorité de santé (HAS) en avril 2010 puis d'un protocole de suivi validé par ce même organisme en octobre 2011.

Cette prise en charge repose néanmoins, s'agissant des expositions à des agents cancérogènes, sur l'obligation pour la personne d'adresser une demande de suivi post-professionnel à la caisse d'assurance maladie dont elle dépend en y joignant l'attestation d'exposition remplie par l'employeur et le médecin du travail.

S'il est impossible pour la personne de se procurer cette attestation (par exemple en cas de cessation d'activité de l'entreprise), la caisse d'assurance maladie fait procéder à une enquête pour établir la réalité de l'exposition.

Il apparaît à votre comité de suivi que ce mécanisme, qui dépasse la seule question de l'amiante, reste trop complexe. Il impose en effet une démarche volontaire des personnes exposées alors même qu'elles n'ont pas forcement connaissance de l'existence du dispositif de suivi. Dans son rapport de 2005, la mission commune d'information avait pourtant placé comme première recommandation l'amélioration de l'information des salariés susceptibles d'avoir été exposés à l'amiante au cours de leur carrière pour qu'ils soient plus nombreux à demander le bénéfice d'un suivi médical post professionnel.

La mobilisation de syndicats comme la CGT - SNPTRI (syndicat national des personnels techniques des réseaux et infrastructures) a abouti en 2013 à une circulaire prévoyant la mise en place d'un suivi post-professionnel des personnels des travaux publics.

Par ailleurs, un décret du 12 décembre 2013 relatif au suivi post-professionnel des agents hospitaliers et sociaux de l'Etat fait obligation aux établissements employeurs d'informer ceux-ci de leur droit à un suivi post-professionnel lors de leur cessation d'activité. Cette obligation devrait être étendue à l'ensemble des employeurs publics et reposer également sur les employeurs privés.

Le GTNAF a informé votre comité de suivi qu'une offre de service ciblée sur les bénéficiaires et anciens bénéficiaires du Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata) est sur le point d'être lancée. Un tiers des personnes concernées devraient ainsi recevoir un courrier les informant des modalités du suivi post-professionnel avant septembre prochain. Un bilan d'étape sera réalisé début 2015. Il permettra d'ajuster les modalités d'information des bénéficiaires et anciens bénéficiaires du Fcaata non ciblés par la première vague et d'envisager l'information d'autres populations exposées.

Nous saluons cette mesure bien que celle-ci paraisse tardive et préconisons pour l'avenir que les fiches d'exposition amiante, prévues par le code du travail suite au décret du 4 mai 2012, soient transmises aux caisses d'assurance maladie lors de la cessation d'activité de la personne (retraite, départ volontaire ou non). Une information sur le droit au suivi post-professionnel serait alors adressée par la caisse à la personne concernée.

Le comité de suivi a également été alerté sur les difficultés que rencontrent les services de l'université Pierre et Marie Curie s'agissant du suivi post-professionnel, mis en place en 1992, des personnels ayant travaillé sur le site de Jussieu entre 1966 et 1996. Sur 6 790 personnes identifiées, 1 700 personnes n'ont pu être contactées faute d'une adresse à jour. Le service des pensions de l'Etat, contacté par l'université, n'a pas donné suite à leur demande d'information ce qui l'empêche de proposer à ces personnes le suivi post-professionnel nécessaire. Pareil cloisonnement est, aux yeux de votre comité, particulièrement dommageable et il convient d'y remédier.

Nous proposons donc de créer auprès du service des pensions de l'Etat une cellule capable d'aider les employeurs publics à contacter les agents susceptibles d'avoir été exposés à l'amiante.

Nous regrettons par ailleurs que la réforme du statut des médecins du travail, qui constituait la recommandation n° 24 de la mission de 2005, n'ait pas, malgré la loi du 20 juillet 2011 relative à l'organisation de la médecine du travail, permis de faire le lien entre suivi professionnel et suivi post-professionnel. Nous recommandons que la promotion de l'accès au suivi post-professionnel soit un des axes du futur plan de santé au travail 2015-2019 actuellement en cours d'élaboration.

Parallèlement au suivi des professionnels, il apparaît de plus en plus nécessaire de renforcer le suivi épidémiologique dans les zones à affleurement naturel d'amiante et pour les populations exposées au traitement de l'amiante et au désamiantage.

Un cas à particulièrement attiré l'attention de votre comité, celui du Comptoir des minéraux et matières premières (CMMP) implanté à Aulnay-sous-Bois. L'activité de cette entreprise a consisté, officiellement de 1938 à 1975, à broyer, défibrer et carder de l'amiante brute. La pollution environnementale générée par cette activité a été la cause de pathologies détectées à partir de 1995. Depuis 2005, la cellule interrégionale d'épidémiologie d'Ile-de-France mène une étude de santé publique destinée au suivi de la population, y compris des anciens élèves de l'établissement scolaire avoisinant l'usine.

Il importe de développer ces études pour l'ensemble des sites susceptibles d'avoir causé une pollution environnementale. Votre comité reprend donc la proposition n° 22 de la mission de 2005, visant à renforcer les effectifs de l'Institut national de veille sanitaire (InVS), et notamment de son département santé-travail.

Cette présentation, détaillée, était nécessaire à nos yeux compte tenu de la technicité de la problématique de l'amiante, du grand nombre de nos propositions, et des enjeux essentiels en termes de santé publique.

En conclusion, mes chers collègues, nous vous invitons à adopter les conclusions du comité de suivi et à autoriser la publication de son rapport.

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