Intervention de Antoine Durrleman

Commission des affaires sociales — Réunion du 2 juillet 2014 : 1ère réunion
Certification des comptes du régime général de sécurité sociale exercice 2013 — Audition de M. Antoine duRrleman président de la sixième chambre de la cour des comptes

Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes :

Je suis heureux de vous présenter le huitième rapport de certification de la Cour. Cet exercice de certification soulève un double enjeu de transparence des comptes publics et de modernisation de l'action publique.

S'agissant de la transparence, il convient de rappeler que le champ de la dépense publique concernée est très large. Pour 2013, les comptes du régime général ont retracé en produits 501,4 milliards d'euros. Il s'agit à la fois des ressources destinées directement au régime général et des ressources collectées par le réseau des Urssaf au bénéfice d'autres attributaires très variés, qui sont plus de huit cents et dont le plus important est le régime d'assurance chômage. Elles représentent 24,3 % de la richesse nationale en 2013. Les enjeux ne sont pas moins considérables en ce qui concerne les dépenses, qui s'élèvent à 415,9 milliards d'euros, soit 20,2 % de la richesse nationale en 2013. La différence entre ces deux chiffres correspond notamment aux sommes collectées par l'activité de recouvrement mais qui ne sont pas allouées au régime général.

Cette masse financière est répartie en neuf séries d'états financiers sur lesquels notre mission de certification nous conduit à exprimer une opinion : la branche maladie du régime général, la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) du régime général, et leur tête de réseau, la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam) ; la branche famille et la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) ; la branche vieillesse du régime général et la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav) ; l'activité de recouvrement et l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss). Ces comptes combinés répartis sur neuf états financiers concernent 302 organismes de base au total. Nos missions d'audit sont conduites dans ces organismes de base comme dans les organismes nationaux.

La certification constitue également un levier pour la modernisation de la gestion de l'ensemble des organismes de sécurité sociale. Ces derniers ont accompli, année après année au cours des huit derniers exercices, des progrès importants, en particulier grâce à l'amélioration des procédures de contrôle interne.

La Cour salue à cet égard l'aboutissement important que représente à ses yeux la parution d'un décret d'octobre 2013 rénovant intégralement le cadre réglementaire du contrôle interne des régimes de sécurité sociale. A la suite de nos missions de certification précédentes, nous avions en effet souhaité que le cadre de contrôle interne puisse être fixé de manière plus rigoureuse et surtout que l'autorité des organismes nationaux sur les organismes de base soit plus forte. Le décret d'octobre 2013 nous donne de ce point de vue une grande satisfaction de principe. Nous verrons à partir de l'examen des comptes de l'année 2014 la manière dont ce nouveau cadre réglementaire trouve à s'appliquer en pratique.

En accord avec la direction de la sécurité sociale, nos travaux se sont conduits dans le cadre d'une expérimentation consistant à anticiper la date de clôture des comptes du régime général, avancée de 15 jours, du 31 au 17 mars. Ce progrès a mis sous tension la Cour ainsi que l'ensemble des organismes de sécurité sociale, notamment les agences comptables nationales et locales, mais le défi a été relevé grâce au travail conjoint de tous.

L'anticipation du calendrier de clôture des comptes tient à l'obligation pour la France de notifier à Eurostat, l'office statistique européen, l'état de nos finances publiques assez tôt dans l'année, et à la volonté de produire à ce titre des données plus fiables que celles qui pouvaient être produites auparavant. Ce nouveau calendrier va vraisemblablement être pérennisé par la voie réglementaire.

J'en viens aux positions adoptées par la Cour en chambre du conseil le 12 juin dernier sur les états financiers du régime général de sécurité sociale. Pour la première fois depuis le début des campagnes de certification, la Cour a certifié la totalité de ces états financiers, même si elle l'a fait avec plusieurs réserves, dont certaines sont particulièrement appuyées.

Branche par branche, les constats sont contrastés. Les branches AT-MP et vieillesse sont en progrès ; l'activité de recouvrement se trouve en état de stabilisation ; les branches maladie et familles se caractérisent quant à elles par des faiblesses dont certaines tendent à s'accentuer.

Pour la branche maladie, la Cour des comptes reconduit cette année une certification avec réserves. Des progrès ont été accomplis sur certains points, s'agissant en particulier des estimations comptables. Mais la Cour constate des dégradations dans trois principaux domaines.

Il s'agit tout d'abord du cadre national de contrôle interne, c'est-à-dire du dispositif de contrôle général mis en place par la caisse nationale pour s'assurer que les prestations sont acquittées à bon droit et dans de bonnes conditions. Il nous semble en particulier que ce cadre demeure d'un périmètre trop étroit et qu'il est appliqué de façon disparate par les caisses locales, dont nous savons qu'elles disposent d'une forte autonomie.

La Cour fait ensuite le constat de l'inexactitude de la liquidation des prestations en nature (les remboursements d'actes et de prestations de soins). En effet, la Cnam évalue mal l'incidence financière des erreurs de liquidation, en raison notamment du caractère insuffisamment précis de l'indicateur qui permettrait de mesurer cette incidence. Nous avons obtenu cette année de la part de la Cnam qu'elle effectue un test national de re-liquidation, qui a consisté en un nouveau contrôle, par des liquidateurs provenant d'un certain nombre de caisses primaires d'assurance maladie (Cpam), des prestations qui avaient déjà été contrôlées par les agences comptables locales. Ce test, réalisé à partir d'un échantillon, montre que les contrôles sont très insuffisants à la base et que - sans vouloir tirer de conclusions hâtives compte tenu du périmètre restreint pris en compte - l'incidence financière des erreurs serait nettement plus élevée (plus de 900 millions d'euros) que ce qui était mesuré jusque-là (474 millions d'euros). La Cour a donc demandé à la Cnam de réitérer pour 2014 ce même test mais sur un périmètre élargi.

Par ailleurs, la Cour identifie de nombreuses faiblesses qui remettent en cause l'exactitude de la liquidation des prestations en espèces (indemnités journalières et pensions d'invalidité).

Pour la branche AT-MP, nous constatons de vrais progrès. Pour rappel, la Cour avait refusé de certifier les comptes de la branche pour l'exercice 2011 du fait de l'existence de contentieux abondants ne faisant l'objet d'aucunes provisions. Elle s'était ensuite estimée dans l'impossibilité de certifier les comptes de l'exercice 2012, considérant que la Cnam avait bien constitué des provisions mais que leur mode de détermination demeurait trop imprécis et qu'il laissait subsister des risques pouvant avoir un impact financier important. Cette année, la Cour consent à certifier les comptes de la branche AT-MP - avec toutefois cinq réserves - car les erreurs de dénombrement des contentieux qui demeurent ne lui paraissent pas être d'une ampleur telle qu'elles doivent la conduire à maintenir sa position antérieure. Cette évolution témoigne de la manière selon laquelle un refus de certification peut constituer un levier pour l'obtention de progrès relativement rapides.

Pour la branche famille, la Cour constate année après année quelques progrès, mais ces progrès n'ont pas un caractère toujours suffisant, ni pérenne. Cela la conduit à adopter des opinions qui varient dans le temps. Cette année, la Cour certifie les états financiers avec six réserves au lieu de quatre l'année dernière.

Le dispositif de contrôle interne ayant pour objet d'assurer l'exactitude des prestations servies par les caisses d'allocations familiales dont la Cnaf a la responsabilité ne donne toujours pas satisfaction. Nous observons une dégradation puisque les anomalies et erreurs de liquidation sont passées de 1,15 milliard à 1,45 milliard d'euros, soit une hausse de l'ordre de 21 %. Cela ne nous ramène pas, malgré tout, à une situation comparable à celle de 2011, où l'incidence des erreurs de liquidation était supérieure à 1,5 milliard d'euros, d'autant plus que les masses financières concernées sont plus importantes aujourd'hui qu'elles ne l'étaient en 2011. C'est au bénéfice de ce constat que la Cour n'a pas refusé de certifier les comptes 2013. Il est cependant clair que la Cour pourrait être amenée à revoir sa position s'il n'y avait pas d'amélioration sensible à l'avenir. Enfin, des insuffisances notoires demeurent en matière de justification des comptes ainsi que sur la qualité de l'information qui figure dans les annexes aux comptes. De manière générale, nous avons redit avec force qu'il nous paraissait essentiel que le dispositif de contrôle interne des prestations fasse l'objet de progrès appuyés. C'est l'un des objectifs de la convention d'objectifs et de gestion (Cog) signé en juillet 2013 entre le ministère des affaires sociales et la Cnaf. Il reste à le mettre en oeuvre.

Pour la branche vieillesse, nous faisons état de progrès importants. C'est pourquoi la Cour certifie les comptes cette année avec quatre réserves au lieu de six l'année dernière. Nous constatons en particulier une importante réduction de la fréquence et de l'incidence des erreurs qui affectent l'attribution et la révision de droit des pensions de retraite. Cela résulte d'une action volontariste de la direction de la caisse nationale, menée à la suite de nos constats de l'année passée, et qui s'est concentrée sur les Carsat les plus concernées par les difficultés identifiées par la Cour. Si la Cnav reste sur cette trajectoire, il se pourrait qu'elle soit à terme la première branche certifiée sans réserve.

S'agissant enfin de l'activité de recouvrement, la Cour certifie cette année les comptes avec quatre réserves contre six l'an passé. Certains progrès que nous espérions et qui nous avaient été annoncés n'ont pu être constatés. Je pense que cela est dû au fait que c'est sur l'Acoss qu'a pesé en particulier une grande partie des conséquences de l'anticipation du calendrier de clôture des comptes précédemment évoquée. Certaines actions qu'elle avait envisagées ont probablement dû être retardées.

Il convient d'insister sur le constat de la Cour relatif au recouvrement des cotisations des travailleurs indépendants. Dans son rapport de septembre 2012 sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, la Cour avait qualifié de « catastrophe industrielle » la mise en place de l'interlocuteur social unique (ISU) avant de pointer la nécessité d'une action très forte de remise en l'état du dispositif. Nous constatons cette année de vrais progrès grâce à une organisation plus structurée et mieux pilotée des travaux entre l'Acoss et les Urssaf d'un côté et la caisse nationale du RSI de l'autre. Mais ces progrès ne sont pas suffisants pour nous permettre de lever une réserve de portée générale sur la réalité, l'exhaustivité et l'exactitude des prélèvements sociaux qui concernent les travailleurs indépendants. De ce fait, les commissaires aux comptes du RSI n'ont pu certifier les comptes de ce régime. Le RSI sera ainsi cette année le seul régime à ne pas être certifié.

Je voudrais conclure sur deux points. En premier lieu, notre rapport réitère une critique de la Cour sur l'absence de consolidation des comptes de la branche vieillesse et du fonds de solidarité vieillesse (FSV). Cette situation conduit en effet, d'un point de vue comptable, à alléger le déficit de la branche vieillesse de 2,6 milliards d'euros.

En second lieu, l'absence de mention, dans les annexes aux comptes, des engagements qui sont pris par les régimes de sécurité sociale à l'égard de leurs bénéficiaires au-delà de l'exercice considéré pose problème. Je pense notamment aux titulaires d'une pension de retraite, d'une rente d'accident du travail, d'une pension d'invalidité ou encore de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH), qui ont des droits ouverts pour une période qui ne s'arrête pas au 31 décembre d'une année donnée. Ce sont pourtant bien sûr des flux financiers futurs importants qu'il faut estimer dans les annexes qui accompagnent le bilan. Nous appelons donc de nos voeux des évolutions de la norme comptable sur ce point. L'institution de normalisation comptable qui doit se saisir de ce problème depuis plus d'un an ne s'en est pas saisie et le sujet ne progresse pas. La situation est paradoxale car l'État, en ce qui le concerne, est beaucoup plus rigoureux et documente, dans l'annexe à ses comptes, ses engagements pluriannuels au titre de l'ensemble des prestations sociales dont il assure le financement.

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