Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai mon intervention en relevant un paradoxe : vous nous présentez, monsieur le secrétaire d’État, les textes successifs du Gouvernement, dont ce projet de loi de finances rectificative, comme autant de jalons sur le chemin du retour à l’équilibre des comptes publics. Or, pour ma part, lorsque je me livre à un examen un peu approfondi, j’ai tendance à considérer que le chemin que l’on nous propose est de moins en moins ambitieux et de plus en plus sinueux ou flou. Je vais m’efforcer de vous le démontrer.
Un premier exemple saute aux yeux à la lecture de la première page du collectif budgétaire : les recettes diminuent de 4, 8 milliards d’euros, les dépenses de 3, 4 milliards d’euros, la différence conduisant à dégrader le solde de l’État en 2014 de 1, 4 milliard d’euros.
Deuxième exemple : la dégradation du déficit de l’État en 2014 fait suite à la révision, dans le programme de stabilité dont nous avons débattu fin avril, de l’objectif de solde des administrations publiques pour 2014, de 3, 6 % à 3, 8 % du PIB. L’ambition est donc réduite !
Troisième exemple : vous annoncez 4 milliards d’euros d’économies supplémentaires. En réalité, ces économies ne majorent pas l’effort en dépenses de 2014, elles compensent l’augmentation d’autres dépenses, plus dynamique que prévu au moment de la loi de finances initiale. Du point de vue de l’effort structurel, alors que l’objectif fixé en loi de finances initiale était de 0, 9 point de PIB, il n’est plus à présent que de 0, 8 point, soit 4 milliards d’euros d’économies supplémentaires pour un effort structurel moins important. C’est encore une ambition réduite !
Nous verrons un peu plus tard, lors du débat d’orientation des finances publiques, que, par ailleurs, ces économies ne permettent pas de corriger intégralement l’écart à la trajectoire constaté par le Haut Conseil des finances publiques, que vous avez relevé tous deux, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général.
Quatrième exemple : au-delà de 2014, le programme de stabilité du mois d’avril consacre un relâchement de l’effort budgétaire sur la période de programmation courant jusqu’en 2017, l’objectif de retour à l’équilibre effectif des comptes publics en 2017 – c’était un engagement de campagne de l’actuel Président de la République – s’étant estompé dans le temps. La prévision pour 2017 est à présent celle d’un solde négatif de 1, 3 % du PIB.
Quant à la cible de l’équilibre structurel, qui constitue depuis le traité européen de 2011 et notre loi organique de décembre 2012 l’objectif de moyen terme de notre politique de finances publiques, elle a été décalée à 2017, faute de pouvoir être atteinte dans les temps. Là encore, l’ambition de maîtrise de nos finances publiques est réduite.
Je prendrai un dernier exemple relatif à la dette, qui est sans doute encore plus décisif. La loi de programmation que le Gouvernement nous a présentée voici moins de deux ans, monsieur le secrétaire d’État, fixait pour 2014 l’objectif de maintenir le montant de la dette à 90, 5 % du PIB. Certes, le Gouvernement n’était pas le même, puisque M. Ayrault était alors Premier ministre, mais ces chiffres ont bien été avancés par la majorité actuelle et, monsieur le secrétaire d’État, vous étiez alors le rapporteur général à l’Assemblée nationale sur cette loi de programmation. Cet objectif a été porté six mois plus tard à 94, 3 % dans le programme de stabilité d’avril 2013, puis à 95, 1 % par la loi de finances pour 2014 et, enfin, à 95, 6 % par le programme de stabilité du mois d’avril 2014.
Certains nous disent que cette austérité est absolument insupportable et dramatique, mais je constate, pour ma part, que l’on ne cesse de revoir à la baisse les ambitions, en particulier en ce qui concerne la question la plus préoccupante, celle de l’endettement de l’État : comme je l’ai dit, l’objectif fixé pour 2014 à 90 % il y a deux ans a été relevé pour atteindre près de 96 % aujourd’hui !
En outre, ce chemin peu ambitieux me semble être également caractérisé par un certain flou. Monsieur le secrétaire d’État, on aimerait disposer, pour chacune des années jusqu’à 2017, non seulement des objectifs de solde effectif et structurel, mais aussi des mesures qui seront mises en œuvre afin de contrôler aussi bien les dépenses que les recettes. Cette demande ainsi énoncée paraît être une évidence ; pourtant nous ne disposons pas de cette présentation dans le collectif budgétaire, ni même dans le rapport sur les orientations des finances publiques dont nous allons débattre dans quelques jours.
La politique de communication de ce gouvernement consiste à répéter que le pacte de responsabilité permettra de réaliser 50 milliards d’euros d’économies de dépenses et 25 milliards d’euros d’allégements de prélèvements obligatoires, soit un effort de 25 milliards d’euros de réduction du déficit d’ici à 2017.
Monsieur le secrétaire d’État, ces 25 milliards d’euros permettront-ils d’atteindre les objectifs fixés à l’horizon de 2017 que j’évoquais tout à l’heure ? Nul ne le sait ! Rien ne le démontre dans les documents qui nous sont fournis. Peut-être le Gouvernement le sait-il, mais en tout cas il ne le dit pas clairement.
J’ai donc brièvement évoqué quelques zones d’ombre, tout en laissant à mes collègues du groupe UMP, qui ont – à juste titre – l’intention de le faire, le soin de disséquer les mesures proposées dans ce collectif budgétaire.
J’achèverai mon intervention par quelques réflexions qui me permettront d’exprimer mes doutes profonds sur la gouvernance de nos finances publiques.
En premier lieu, nous sommes en quelque sorte victimes du fractionnement des débats financiers. Nous allons examiner successivement un collectif budgétaire et une loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Chacun sait qu’il existe une tuyauterie d’une complexité incroyable entre ces deux textes et que faire vivre ces deux systèmes parallèles entraîne nécessairement un vrai problème de lisibilité politique.
Nous avons un peu progressé sur le chemin d’une approche consolidée des finances publiques, mais cette progression est encore très insuffisante. Toutefois, monsieur le secrétaire d’État, pour informer correctement le Parlement et l’opinion publique, la seule bonne solution consiste à suivre l’avis formulé dès 2010 par la commission Camdessus, tendant à fusionner les parties recettes de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale. Au demeurant, le Haut Conseil des finances publiques a joué son rôle et ne s’y est pas trompé, puisque ses avis sont globaux et portent à la fois sur les lois de finances et les lois de financement.
En deuxième lieu, le recours à une règle exprimée en termes de solde structurel et, plus généralement, à des notions abstraites et intellectuelles telles que le PIB potentiel est un autre aspect problématique de la gouvernance de nos finances publiques.
Une règle fondée sur un raisonnement structurel peut sans doute, mes chers collègues, produire le meilleur comme le pire.
Le meilleur serait qu’en séparant ce qui relève de la conjoncture et ce qui relève des décisions politiques, une telle règle incite les gouvernements et leur majorité à prendre leurs responsabilités et à annoncer clairement les mesures qu’ils entendent adopter pour rétablir structurellement les finances publiques.
Malheureusement, ce n’est pas ce que nous observons, du moins en France. Le Gouvernement, qu’il agisse volontairement ou qu’il soit poussé par l’enchaînement des circonstances, s’attache, selon moi, à désincarner la politique budgétaire.
J’en donnerai un exemple : dans la loi de finances pour 2014, le Gouvernement a anticipé le fait que la trajectoire de solde structurel ne serait pas respectée en 2013 et qu’il faudrait prendre des mesures compensatoires en 2014. Qu’aurait-on pu légitimement en attendre ? On aurait pu imaginer que le Gouvernement annoncerait quelles économies supplémentaires il comptait mettre en œuvre pour compenser ce dérapage. Que s’est-il passé ? L’effort structurel prévu pour 2014 est passé de 0, 5 point de PIB à 0, 9 point de PIB, sans autre forme de précision. On ne nous dit plus ce que l’on va faire, on nous demande de faire confiance aux objectifs fixés, d’avoir la foi, en quelque sorte, et on crée une sorte de rideau de fumée devant la réalité de la gestion budgétaire.
Or, en troisième lieu, notre préoccupation est précisément de distinguer les vraies économies des fausses économies. De tout temps – cela fait partie de leur rôle –, les gouvernements ont cherché à embellir la mariée, à débudgétiser dans l’instant pour dépenser plus tout en donnant l’impression d’être économes. Quel gouvernement n’a pas procédé ainsi ? C’est assurément ce que vous faites en utilisant opportunément le programme d’investissements d’avenir pour accroître, par exemple, certains crédits de la défense – j’allais dire : « C’est de bonne guerre » !
Toutefois, s’agissant de la programmation des finances publiques et de la trajectoire de solde structurel, nous sommes dans une situation très différente, puisque les outils à notre disposition, abstraits et conventionnels, permettent au Gouvernement de présenter des économies fictives, en particulier en faisant un usage excessif de la notion d’évolution tendancielle. Au lieu de donner la liste des économies effectivement réalisées, le Gouvernement raisonne sur des tendances et illustre ses décisions non pas en publiant le montant des économies réelles, mais en présentant la différence par rapport à la tendance que suivront, selon son évaluation, les dépenses publiques.
Par exemple, j’ai l’impression que le Gouvernement détermine de nombreuses économies en projetant la tendance d’évolution des dépenses non pas sur la base de l’exécution 2013, mais sur la base de la prévision retenue à l’automne 2013. En partant ainsi d’un point de départ plus haut, on obtient fictivement des économies d’un montant plus important par rapport à la tendance.
En quatrième lieu, nous le savons bien, la tentation existe toujours, pour les uns comme pour les autres, de manipuler les chiffres des finances publiques à des fins politiques. Or l’Assemblée nationale n’a pas résisté à cette tentation, quand elle a adopté un amendement à l’article liminaire qu’évoquait le rapporteur général. Cet amendement vise à réduire le déficit structurel de 2014, comme si le changement de thermomètre pouvait avoir un effet sur la température !
Je tiens à souligner le risque résultant d’une gouvernance des finances publiques qui repose à l’excès sur des notions abstraites, ce qui peut favoriser des initiatives opportunistes de nature à miner encore plus la crédibilité de notre pays.
En conclusion, mes chers collègues, le consentement à l’impôt et le vote du budget constituent l’essence même de notre légitimité. Cela explique notre insatisfaction devant un débat comme celui-ci, lorsque l’on a le sentiment que les cartes sont truquées et que la méthode utilisée n’est pas la plus propice au débat démocratique.
Je m’interroge donc : nos règles permettront-elles d’atteindre l’objectif pour lequel elles ont été conçues, c’est-à-dire le retour à l’équilibre des finances publiques ? Ne devrions-nous pas apprécier de manière plus exigeante la réalité de nos budgets ? Selon moi, cela nous conduirait à redéfinir certaines de nos règles de procédure pour l’examen des lois de finances, afin de rendre plus concrets les débats sur le budget de l’État et de la sécurité sociale et, ainsi, de mieux associer nos concitoyens aux choix qui devront être faits pour que notre pays s’engage réellement sur la voie du redressement.
Mes chers collègues, la commission des finances a suivi l’avis de son rapporteur général pour ce qui est de l’ensemble du texte. Cependant, au cours de l’examen des amendements, la commission a rejeté les articles 1er et 2 du projet de loi, ce qui ne doit pas nous amener à préjuger des autres votes qui auront lieu sur les amendements que nous examinerons ce soir en séance publique.