Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à l’évidence, l’examen de ce projet de loi de finances rectificative pour 2014 intervient dans un contexte très particulier pour notre pays. En effet, il n’est pas imaginable d’étudier ce texte sans avoir en tête le doute profond qui s’est emparé de l’ensemble de nos concitoyens. Nous débattons ce soir de la mise en œuvre du pacte de responsabilité et de solidarité. Monsieur le secrétaire d'État, vous venez de nous expliquer qu’il convenait de poursuivre et d’amplifier les efforts, car ceux-ci payaient. Je doute que nos concitoyens partagent votre enthousiasme…
Voilà quelques semaines, deux rapports ont été rendus publics : le premier par la Cour des comptes et le second par le Haut Conseil des finances publiques. S’y est ajouté, au début du mois de juin, le verdict critique de la Commission européenne sur le programme français de stabilité des finances publiques pour la période 2014-2017. C’est moins le traditionnel discours catastrophiste de ces trois institutions sur la dette publique qui doit retenir l’attention que le constat commun de rentrées fiscales moins bonnes que prévu malgré les hausses importantes d’impôts. Six semaines après le séisme des élections européennes, la réalité impose son implacable vérité : plusieurs milliards d’euros manquent à l’appel.
Faute de croissance, la politique du Gouvernement ne marche pas. N’est-ce pas le moment de rouvrir le débat escamoté lorsque la décision de lancer le trop fameux pacte de responsabilité a été prise ? À ce propos, il est intéressant de relever la déclaration suivante faite par l’ancien ministre des finances Pierre Moscovici sur un plateau de télévision, au lendemain des élections européennes : « Le désendettement sans croissance, cela ne marche plus. » L’intéressé n’avait jamais tenu de tels propos dans cette enceinte. Moment d’égarement, liberté de parole recouvrée ou propos de campagne d’un candidat à la fonction de commissaire européen, qui sait ? Il n’empêche que ces paroles ne manquent pas de conduire à s’interroger.
Le débat n’est pas clos. Notre gouvernement s’entête cependant dans ses choix. La priorité donnée à la réduction des déficits provoque une baisse de la croissance et l’austérité imposée à tous les pays nous mène à l’échec.
Je voudrais également faire référence aux propos de la députée Valérie Rabault, rapporteure générale de la commission des finances de l’Assemblée nationale. Les mots qu’elle a prononcés sonnent comme une mise en cause radicale de la politique économique suivie par le chef de l’État et le Premier ministre : « Selon les prévisions établies par le ministère des finances et des comptes publics dont dispose la rapporteure générale, le plan d’économies de 50 milliards d’euros proposé par le Gouvernement pour la période 2015 à 2017, soit une réduction des dépenses de plus de 2 points de PIB, aurait ainsi un impact négatif sur la croissance de 0, 7 % par an en moyenne entre 2015 et 2017, et pourrait entraîner la suppression de 250 000 emplois à horizon 2017. »
Ce constat n’est pas nouveau. Depuis que le début de la crise financière et économique, en 2007, de nombreux économistes nous alertent sur le fait que la réduction à marche forcée des déficits publics en Europe produit un effet strictement opposé à celui qui est officiellement escompté. Les plans d’austérité mis en œuvre pour atteindre cet objectif sapent toute possibilité de rebond économique, font le lit du chômage et limitent les rentrées de recettes fiscales, ce qui creuse les déficits que l’on était supposé diminuer.
À la suite de la publication, le 2 juillet, de la dernière enquête de l’INSEE vous vous êtes très certainement interrogé, monsieur le secrétaire d'État. Selon cet institut, les inégalités ont atteint leur plus haut niveau depuis 1996. L’année 2011 fut particulièrement faste pour nos concitoyens disposant de hauts revenus, tandis que la pauvreté touche aujourd'hui 8, 7 millions de personnes, un niveau historique.
Savez-vous que, dans mon département, le Nord, le conseil général dépense chaque minute, oui, chaque minute, 1 100 euros pour financer le RSA socle ? La conséquence de l’explosion de cette dépense de solidarité est la réduction sensible de l’investissement du conseil général pour la population du Nord. Ce montant d’investissement passera l’an prochain de 400 à 200 millions d’euros. Comme ce docteur Diafoirus, cher à Molière, qui préconisait des saignées à son malade déjà anémié, vous réduisez encore les dotations aux collectivités, dont chacun connaît pourtant le poids économique dans les territoires.
Mes chers collègues, je ne voudrais pas noircir le tableau à l’extrême, mais le constat est là, partagé sur toutes les travées de cet hémicycle : nos concitoyens souffrent et s’interrogent. L’immense majorité d’entre eux désespèrent de la politique. Il est urgent et crucial d’opérer une réorientation radicale des choix politiques.
Le rapport de la commission des finances présenté par le rapporteur général, François Marc, garde une once d’optimisme lorsqu’il indique que la prévision de croissance pour l’année en cours est « discutée », mais « demeure crédible ». Nous craignons pour notre part que trop de voyants ne soient au rouge pour qu’il soit encore possible de partager cette prévision.
Le Président de la République avait annoncé que le début du quinquennat serait une période de remise en ordre qui permettrait ensuite une nouvelle redistribution de la richesse. À l’évidence, la feuille de route n’a eu cours que le temps d’une campagne électorale. C’est un pari risqué sur le plan non seulement social et économique, mais aussi politique.
Oui, les dépenses publiques pèsent lourd dans notre pays. Qui osera parler de gâchis ? Ne faut-il pas, comme le disent de nombreux économistes, plus de biens publics dans des sociétés de plus en plus complexes et de plus en plus fragiles ? Nous combattons cette idée selon laquelle il y aurait, d’un côté, des acteurs privés producteurs de richesses, et, de l’autre, un État prédateur irresponsable et dépensier.
Ce déficit qui est devenu l’arme de destruction massive des aspirations de nos concitoyens serait uniquement le résultat de dépenses publiques excessives, entend-on. Mais regardons un peu du côté des recettes, voyons l’évolution de la situation ces dernières années. L’État a progressivement provoqué un déficit de recettes dans le budget. Du fait des choix d’exonération systématique des ménages les plus aisés et des grandes entreprises, la part des recettes de l’État dans le PIB a diminué de cinq points en trente ans ; sur la même période, la part des dépenses publiques a chuté de deux points de PIB.
Si l’État, au lieu de se financer sur les marchés financiers, avait eu recours à des emprunts directement auprès des ménages, dont l’épargne ne cesse de se consolider – principe de précaution oblige –, tout au moins pour ceux qui ont encore la possibilité d’épargner, ou bien auprès de banques pratiquant un taux d’intérêt réel de 2 %, la dette publique serait aujourd’hui inférieure à 29 % du PIB, soit environ 600 milliards d’euros.
Vous l’avez compris, les membres de mon groupe sont en désaccord complet avec la philosophie générale du présent projet de loi de finances rectificative. Vous voulez réduire le « coût du travail » ; à titre personnel, je mets entre guillemets cette expression qui est une pièce maîtresse des éléments de langage fabriqués dans l’arsenal d’une certaine idéologie, car nous avons la faiblesse de penser que le travail n’est pas un coût, mais un facteur de richesse. Nous sommes étouffés par le carcan de la règle d’or, étouffés par la rigueur budgétaire ; tous les ministères seront touchés.
Il y a eu une grande communication autour de la baisse d’impôts pour des catégories de contribuables modestes. Il s’agit certes d’une bonne nouvelle, mais ne convient-il pas de rapporter cette somme de 1, 16 milliard d’euros aux quelque 6 milliards d’euros de TVA supplémentaires que la hausse des taux au 1er janvier 2014 a pu générer ? Vous donnez d’une main ce que vous avez déjà repris de l’autre.
Cela étant, nous nous félicitons du renforcement du contrôle des prix de transfert, notamment en cas de transfert vers les paradis fiscaux.