En vous écoutant tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État, j’ai pensé qu’il avait trouvé en vous un diacre zélé, à défaut d’un disciple.
Cet optimisme affiché et assumé, y compris dans les documents officiels livrés au Parlement, est-il à la hauteur des enjeux d’un pays qui vient d’afficher 34 300 chômeurs supplémentaires au mois de mai pour atteindre un niveau historique ?
Le problème n’est pas tant dans les montures de lunettes que dans les verres correcteurs de celui qui se veut le gardien de la courbe des déficits. §À vrai dire, le seul exploit ministériel connu ces derniers temps a été de faire admettre à Bruxelles que le déficit atteindrait cette année 3, 8 % au lieu de 3, 6%, tout en sachant qu’il s’établira probablement à 4 %, et j’ose dire allegretto.
Il en va de même pour le taux de croissance, toujours affiché à 1 %, alors que l’INSEE, le FMI et tous les organismes sérieux prévoient un taux au grand maximum de 0, 7 %.
La méthode Coué est servie abondamment non seulement aux médias, mais aussi dans des documents aussi sérieux que le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2013 qui affecte largement, vous en conviendrez, le projet de loi de finances rectificative qui nous est soumis.
Ainsi, dans l’exposé général de ce texte présenté par le Gouvernement, nous relevons, au II, l’intitulé suivant : « Une amélioration continue des finances publiques depuis le début de la législature ».
Pourtant, dans la synthèse du rapport de la Cour des comptes – il ne s’agit pas de l’opposition ! –, on peut lire : « L’exécution du budget de l’État en 2013 présente donc une singularité : alors que les dépenses ont été maîtrisées et que les recettes ont augmenté fortement par rapport à 2012, le déficit a été plus important que prévu, de même que la dette, qui a continué à augmenter. »
Donc, selon vous, monsieur le secrétaire d’État, une nette amélioration des finances publiques serait caractérisée par une dette qui continue d’augmenter pour dépasser deux caps extrêmement dangereux : 2 000 milliards d’euros de dettes cumulées et 100 % du PIB.
Est aussi extraordinairement parlant le tableau de la Cour des comptes faisant apparaître un État qui, dès le 1er octobre de chaque année, ne peut vivre qu’à crédit pour assurer ses dépenses de fonctionnement. Le déficit, qui représente un tiers des recettes nettes et 25 % des dépenses nettes, est bien supérieur à ce que rapporte l’impôt sur le revenu.
En réponse à vos discours invoquant l’héritage, il n’est pas inutile de citer, dans le texte toujours, cette remarque de la Cour des comptes : « En 2013, le budget de l’État présente un déficit de 74, 87 milliards d’euros, […] en réduction de 12, 28 milliards d’euros par rapport à 2012, mais d’un niveau encore bien supérieur aux déficits constatés avant la crise », crise dont vous semblez avoir une véritable méconnaissance puisque vous servez des comparaisons avantageuses que la Cour des comptes ramène à de plus justes proportions.
Aussi, quand les discours présidentiels se tournent vers l’avenir de la jeunesse, avec toute la condescendance intéressée qui sied, quelle crédibilité de telles paroles peuvent-elles avoir, alors que cette jeunesse devra rembourser notre incapacité à financer nos dépenses courantes annuelles pendant un quart de l’année ?
La légère décrue des dépenses nettes de l’État, à hauteur de 0, 89 milliard d’euros, soit moins de 1 milliard d’euros, n’est pas à la hauteur des efforts constatés dans la plupart des États de l’Union européenne qui commencent, eux, à récolter les fruits de vraies réformes structurelles, notamment en nous prenant des parts de marché dans l’industrie, l’agroalimentaire, les transports. Notre problème, ce n’est pas la Chine, mais ce sont nos partenaires européens.
Au surplus, cette légère baisse est en réalité le résultat de conditions de financement de la dette très favorables, les remboursements ayant diminué de 1, 41 milliard d’euros, passant de 46, 30 milliards d’euros en 2012 à 44, 89 milliards d’euros en 2013. Il s’agit donc de facteurs largement exogènes qui ne sont pas reconductibles à l’infini.
Toujours dans l’exposé des motifs du projet de loi de règlement pour 2013, nous relevons un sous-titre étonnant : « Une exécution du budget de l’État qui traduit la qualité de la gestion du Gouvernement ». En la matière, c’est vrai, on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même !
Or que note-t-on dans le rapport de la Cour des comptes ? Tout bonnement que « le moindre rendement des recettes fiscales demeure mal expliqué par l’administration », dont vous êtes le chef, me semble-t-il.
Ainsi la loi de finances initiale prévoyait 298, 6 milliards d’euros de recettes fiscales pour un résultat effectif de 284 milliards d’euros, soit près de 15 milliards d’euros en moins. Comme le contexte économique n’a pas changé en 2014, il est fort probable que l’excellente gestion du Gouvernement produira des résultats très voisins. Rappelons que, selon la Cour des comptes, ces erreurs d’appréciation ont produit en 2013 un déficit plus élevé de 12, 5 milliards d’euros que celui qui était prévu.
Ces incertitudes ont amené la Cour des comptes à formuler la réserve n° 2, très sévère, dans sa certification des comptes de l’État : « En dépit d’une amélioration de l’utilisation par l’administration des concepts et des outils du contrôle interne, son effectivité et son efficacité demeurent insuffisantes, ce qui limite l’étendue des vérifications de la Cour et crée des incertitudes sur la qualité des comptes de l’État, à l’exception de la dette financière. »
Monsieur le secrétaire d'État, c’est non pas l’opposition qui vous le dit, mais la Cour des comptes : nous sommes aux frontières de l’insincérité !
Un peu de modestie dans son propre contentement de soi permettrait peut-être encore au Gouvernement de réaliser des progrès pour s’attribuer le label d’une gestion de qualité, et plus encore de comprendre que les minces résultats obtenus l’ont été au prix d’un véritable matraquage fiscal. Aujourd’hui, l’expression « trop d’impôt tue l’impôt » est non pas un simple slogan, mais l’interprétation populaire d’une courbe bien connue des économistes relative à la flexibilité fiscale.
Ainsi, alors que la loi de finances pour 2013 prévoyait 30 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires par rapport à 2012, le résultat effectif s’est élevé exactement à la moitié de cette somme, soit 15 milliards d’euros. Tous les impôts importants sont touchés : l’impôt sur les sociétés – moins 6, 3 milliards d’euros –, l’impôt sur le revenu – moins 4, 9 milliards d’euros –, la TVA – également moins 4, 9 milliards d’euros.
En général, l’histoire éclaire l’avenir, et, comme elle est très récente, elle risque de rejoindre rapidement l’actualité budgétaire, d’autant que la mauvaise anticipation de l’évolution spontanée des recettes fiscales dénoncée par la Cour des comptes en 2013 n’a fait l’objet d’aucune correction, ni dans la loi de finances pour 2014 ni dans le présent projet de loi de finances rectificative. La Cour des comptes voyait dans cette mauvaise anticipation les principales explications de « la dégradation du solde budgétaire », phrase porteuse de tous les dangers !
À ce stade, et s’agissant de l’héritage trop souvent complaisamment invoqué, il n’est pas inutile de rappeler que, en 2010 et 2011, la réduction du déficit constaté était de l’ordre de 14 milliards d’euros, et que l’exécution de la loi de finances pour 2011 avait été conforme aux prévisions.
Une dette toujours croissante et des rentrées fiscales aléatoires – 15 milliards d’euros de moins par rapport aux prévisions – nous exposent, tout le monde en conviendra, à des risques majeurs.
Au surplus, les engagements hors bilan que l’État a contractés affectent également gravement notre capacité à soutenir des dettes financières aussi étendues. Leur montant publié dans le compte général de l’État s’élève à 2 838 milliards d’euros, dont 1 460 milliards d’euros pour les engagements des retraites.
Enfin, ici, au Sénat, il n’est pas inutile de signaler que l’encours des dépôts des collectivités territoriales au Trésor a diminué de 2, 7 milliards d’euros en 2013, concrétisant un contexte de fortes incertitudes quant aux ressources de ces dernières et pesant sur la trésorerie de l’État, qui a connu un solde en baisse de 7, 9 milliards d’euros.