En effet, il est incontestable que les collectivités territoriales assument une part majeure des initiatives et des financements culturels - les deux tiers de ces derniers - pour l'essentiel au bénéfice du spectacle vivant. Leur responsabilité, en ce qui concerne l'emploi culturel, est par conséquent majeure.
Il ne faut pas que la création et l'emploi culturels soient les victimes du « jeu politique » qui se développe aujourd'hui dans les régions à la suite de la nouvelle étape de décentralisation et de ses supposées conséquences budgétaires.
Le Sénat vient de créer l'Observatoire sénatorial de la décentralisation, chargé de veiller à ce que les transferts de compétences aux collectivités territoriales soient accompagnés des transferts de recettes correspondants. Il est normal que les élus que nous sommes soient vigilants : au-delà, la culture serait prise en otage pour de mauvaises raisons. Ce serait faire fi de l'intérêt général et ne pas respecter nos concitoyens.
Les collectivités territoriales ont, tout comme l'Etat, des responsabilités particulières à assumer en tant que financeurs, donneurs d'ordre et employeurs de personnels culturels. C'est à ces différents titres que les uns et les autres doivent désormais s'attacher à lier davantage les aides, commandes ou subventions, au respect, par les employeurs, des règles du droit du travail. Il s'agit de renforcer l'emploi artistique dans le sens de sa pérennisation, ainsi que vous l'avez évoqué tout à l'heure, monsieur le ministre.
L'augmentation de la durée des contrats et la diversification des missions des artistes permettraient de limiter les effets de la flexibilité et de l'intermittence. Les schémas de services collectifs culturels, prévus dans la loi du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, vont dans ce sens. Les propositions qu'ils contiennent ont pour objectif de répondre au problème du sous-emploi artistique : participation à l'éducation artistique et culturelle à l'école, formation des enseignants dans les disciplines artistiques, soutien aux pratiques amateurs, mise en place de scènes mobiles. Quelles suites comptez-vous donner à ces propositions, monsieur le ministre ?
Par ailleurs, je tiens à rappeler que la « boîte à outils » des collectivités est loin d'être vide. En effet, la loi du 4 janvier 2002, d'origine sénatoriale, prévoit la création d'établissements publics de coopération culturelle, ou EPCC. Ce nouveau cadre juridique est précieux. Ses modalités de fonctionnement juridique méritent cependant d'être précisées et améliorées. C'est pourquoi la commission des affaires culturelles a confié à notre collègue et ami Ivan Renar une mission de suivi de l'application de cette loi, qui pourra déboucher sur des propositions de modification.
J'en viens aux partenaires sociaux du secteur, employeurs et personnels, artistes et techniciens.
En premier lieu, il me semble que l'adoption des propositions de M. Jean-Paul Guillot en faveur d'une meilleure organisation, structuration et mutualisation des structures est indispensable, tant l'émiettement de celles-ci constitue un frein à leur propre activité et épanouissement. Il s'agit, là aussi, de favoriser la professionnalisation.
En second lieu, à partir d'un diagnostic partagé, les partenaires sociaux doivent rapidement et doublement négocier.
Tout d'abord, les partenaires sociaux doivent négocier les moyens de conforter et de pérenniser l'emploi culturel. Il s'agit en particulier de redéfinir le périmètre des métiers concernés par les annexes VIII et X du protocole de l'UNEDIC, afin de recentrer le régime sur les seules professions relevant de la véritable intermittence. Certaines des propositions de M. Jacques Charpillon permettraient d'avancer en ce sens. Il s'agit aussi de définir les modalités de rémunération des heures dites « invisibles », par exemple celles qui sont consacrées aux répétitions. Il appartient aux partenaires sociaux du secteur de la culture de réinventer partiellement les modalités d'organisation de leurs activités dans le cadre naturel des conventions collectives.
Ensuite, il importe que les partenaires sociaux redéfinissent les modalités d'indemnisation chômage des annexes VIII et X du protocole.
Ce constat confirme la position de la commission des affaires culturelles sur ce point : ce système original, qui se justifie par les spécificités du secteur et repose sur la solidarité interprofessionnelle, doit être maintenu dans son principe, mais réformé dans son périmètre et dans ses modalités.
Le fonds transitoire pour 2005 trace des voies dans cette direction. Je rappelle que les travaux menés par M. Jean-Paul Guillot montrent que le protocole du printemps 2003 n'a ni entraîné les effets redoutés ni remédié à tous les problèmes. Il appartient désormais aux partenaires sociaux de prendre leurs responsabilités.
Enfin, il importe que la responsabilité propre de l'UNEDIC et des ASSEDIC soit pleinement assumée. Cela suppose que leurs services s'attachent bien sûr à respecter la lettre et l'esprit des textes, tout en délivrant des informations et un accueil de qualité. Il serait en effet regrettable que les mesures positives, certes évolutives et donc, il faut le reconnaître, complexes à mettre en oeuvre, voient leur effet contrarié au stade de leur application.
Faisons d'un mal un bien afin que cette sortie de crise soit bénéfique pour tous : pour la création culturelle, tout particulièrement pour le spectacle vivant ; pour tous les protagonistes de la création, dont le professionnalisme doit être soutenu ; pour le public - tous les publics, quelles que soient les générations concernées et leur condition sociale ; pour la place de la France sur la « planète culture », avec sans doute son originalité, son exception, à laquelle nous tenons. Il n'est qu'à voir l'accueil fait à la France à l'occasion des grandes célébrations culturelles, notamment en Chine, comme vous venez de le rappeler, monsieur le ministre.
André Malraux le rappelait dans la Tentation de l'Occident : « Une culture ne meurt que de sa propre faiblesse. »
Monsieur le ministre, vous pouvez, dans cet esprit, être assuré de notre vigilance et de notre soutien.