Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 1er février 2005 à 16h00
Spectacle vivant — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a deux ans, très exactement le 21 mars 2003, je présentais un voeu à l'ensemble de mes collègues du conseil municipal de Rouen.

Les élus rouennais et moi-même, bien que conscients qu'il fallait redonner un sens à l'intermittence, nous inquiétions du risque de remise en cause du statut de l'intermittence et des annexes VIII et X du régime général d'assurance chômage Nous réaffirmions alors la spécificité des métiers artistiques. Nous réclamions également un débat national sur le rôle et le statut de l'artiste ainsi que sur la place des arts et de la culture dans notre société.

Ce voeu fut adopté à l'unanimité. C'était avant la crise de l'été 2003, qui, malheureusement, a confirmé nos inquiétudes.

Cette initiative émanait d'élus locaux, convaincus de la place essentielle de la culture, soucieux de voir menacés et remis en cause les efforts importants et croissants qu'ils avaient fournis et continuent de fournir conjointement avec l'Etat, en ce qui concerne notamment la constitution d'un réseau d'équipements culturels et le financement du développement du spectacle vivant.

A l'époque, monsieur le ministre, nous n'avions reçu aucune réponse de la part de votre prédécesseur. Depuis, un certain chemin a été parcouru. Je me réjouis réellement que les élus de la nation soient enfin entendus.

Je vous remercie d'avoir répondu à leur attente en ayant organisé une série de débats réunissant les professionnels, les parlementaires et les élus locaux : tout d'abord au mois de novembre, lors des entretiens du spectacle vivant à l'Académie Fratellini, puis à l'Assemblée nationale, le 9 décembre dernier, et enfin aujourd'hui au Sénat. Par cette initiative, vous associez la représentation nationale, et donc le pays tout entier, à la réflexion sur la redéfinition de la place de l'art et de la culture dans notre société et sur la refondation de notre politique culturelle.

Pourtant, cela n'avait rien d'évident. En effet, parler d'art et de culture au sein des enceintes parlementaires en dehors des périodes budgétaires est suffisamment rare pour être souligné. On peut y voir un signe de reconnaissance symbolique de !a place de la culture dans notre société.

Il faut, en effet, regretter que nombre d'élus, quelle que soit leur appartenance politique, considèrent la culture comme un « sujet gadget » et les artistes comme de doux rêveurs, des utopistes ou encore des fainéants. Ces jugements sont dus à une méconnaissance, largement partagée dans notre société, des modes de fonctionnement du monde du spectacle vivant, des spécificités des métiers artistiques, de l'économie de ce secteur d'activité, du coût et du travail liés à la production et à la diffusion.

Ce débat contribuera, espérons-le, à réduire l'incompréhension et l'actuel fossé qui existe entre les acteurs culturels et les politiques et à rapprocher deux mondes qui ont besoin de communiquer.

Reconnaissons aussi que nous devons faire face à de tels a priori au sein de nos collectivités, où les élus en charge de la culture ne sont pas toujours pris au sérieux par leurs collègues, qui voient en eux des élus dépensiers. Ils doivent souvent batailler pour leurs budgets. C'est la situation que doit vivre parfois le ministre de la culture au sein du Gouvernement.

L'organisation de ces débats sur l'avenir du spectacle vivant au Parlement est-elle l'expression d'une évolution des mentalités consécutive à la crise de l'été 2003 ? Il faut l'espérer.

Du fait de l'annulation des principaux festivals en 2003, il semble, en effet, qu'une grande majorité des élus locaux aient mesuré l'enjeu que représente l'intermittence dans la politique culturelle de notre pays.

Depuis plus d'un an maintenant, les effets de la crise de l'été 2003, la multiplication des rapports et des travaux d'expertise - je pense non seulement aux rapports Latarjet et Guillot, mais aussi au rapport du groupe de réflexion du Sénat sur la création culturelle et à celui de la mission d'information sur !es métiers artistiques de l'Assemblée nationale - ont fortement contribué à la connaissance et à la compréhension du secteur culturel tant par les acteurs eux-mêmes que par l'ensemble de la société.

La nécessité de réviser les modes de financement de la politique culturelle tout en maintenant un régime spécifique dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle semble désormais acquise. En outre, l'idée selon laquelle la culture a un rôle non négligeable à jouer dans la cohésion de notre société et participe pleinement à la vie des territoires, à leur richesse, à leur promotion touristique fait son chemin.

Evoquer ce sujet au Parlement, c'est donner à l'ensemble des acteurs du spectacle vivant, qui ont besoin d'être rassurés, la reconnaissance qu'ils méritent, eux qui s'estiment souvent maltraités en raison de l'image qui est parfois donnée d'eux.

En fait, la crise de 2003 et les différents rapports nous ont appris le réel enjeu économique de ce secteur, que personne n'avait pu mesurer.

Nous savons bien que le spectacle vivant forge l'identité d'un territoire, participe à la promotion de nos collectivités et au rayonnement de la France de par le monde et concourt à la cohésion tant sociale que nationale.

En effet, la culture est la langue universelle qui s'adresse à l'intelligence des hommes, à leur sensibilité, à leur coeur. Mais nous ne mesurions pas vraiment auparavant les retombées commerciales qu'elle génère, sa participation au développement économique, social et touristique des collectivités, sans parler du rôle non négligeable qu'elle joue dans la redécouverte, la réhabilitation et l'animation des lieux patrimoniaux.

Le travail de Jean-Paul Guillot a très bien montré !a valeur ajoutée engendrée par la culture et les effets multiplicateurs induits par les activités culturelles. On sait qu'un beau festival attire des touristes, participe au développement des secteurs de la restauration, de l'hôtellerie, fournit du travail en amont et en aval aux acteurs économiques de la région. C'est cette réalité qui a le plus surpris. Qui pouvait imaginer que la culture était un secteur économique occupant autant de personnes que le secteur automobile, soit 300 000, pesant 20 milliards d'euros et apportant une valeur ajoutée de 11 milliards d'euros ?

Monsieur le ministre, vous avez fait allusion à l'année de la Chine en France. J'aimerais citer le prix Nobel de littérature Gao Xingjian, qui dit fort à propos que « la culture n'est pas un luxe, c'est une nécessité ».

La crise de l'intermittence, ouverte par la signature du protocole d'accord du 26 juin 2000, qui, il faut le souligner, s'est révélé injuste envers les intermittents les plus fragiles et inefficace pour réduire le déficit, nous a aussi dévoilé qu'elle n'était que le symptôme d'une croissance non maîtrisée de ce secteur.

Les causes de cette crise sont connues. Dans ce secteur très dynamique, l'emploi a augmenté dans des conditions de grande précarité, du fait de l'évolution divergente de l'offre et de la demande. De surcroît, les décideurs, les employeurs et les acteurs culturels ont été, pendant des années, les complices d'une précarisation croissante du secteur, tout le monde ayant trouvé avantage à utiliser le régime de l'intermittence alors qu'il aurait été possible de recourir à des formes d'emplois plus stables.

Afin d'enrayer la précarité croissante des salariés du secteur - monsieur le ministre, vous avez cité à cet égard des chiffres clés -, il est nécessaire de prendre en compte des éléments d'organisation du travail des entreprises, des artistes, des techniciens, tout en maintenant le statut de l'intermittence qui, vous l'avez rappelé, a sa spécificité.

Il convient aussi de revoir le financement du spectacle vivant en ayant comme objectif d'aider à une maturité organisationnelle du secteur. En résumé, c'est à une véritable architecture de l'emploi artistique que nous devons tous travailler, Etat, collectivités territoriales, partenaires sociaux.

La culture n'est plus seulement l'affaire du ministère de la culture et de la communication. Elle concerne l'ensemble des ministres en charge d'autres champs d'action qui doivent participer à cet élan collectif autour de vous, monsieur le ministre.

Il appartient en particulier aux élus de définir le champ de la solidarité interprofessionnelle alors qu'il incombe aux partenaires sociaux de redonner son sens véritable à l'intermittence, centrée sur l'acte de création artistique.

Nous le savons : 2005 est une année décisive non seulement pour l'ensemble du monde culturel mais aussi pour les élus locaux qui souhaitent qu'une nouvelle voie soit tracée.

La nécessaire responsabilisation de tous - Etat, collectivités, partenaires sociaux - doit se traduire par un engagement fort pour sortir de cette crise de croissance. Chacun doit se mobiliser pour accompagner la restructuration du secteur artistique, l'encourager, le promouvoir et veiller plus que jamais à en préserver l'originalité dans un monde menacé par des productions et par des produits formatés, standardisés et soumis à des logiques de rentabilité.

Bâtir l'avenir, c'est travailler au développement de formes d'emplois moins précaires et de structures plus solides pour contribuer à construire un système plus pérenne.

Cette politique de l'emploi peut passer par une incitation financière des professionnels à préférer à l'intermittence des formes d'emplois stables, là où les structures le permettent. Pour cela, le ministère et les collectivités locales peuvent lier leurs financements au respect d'un cahier des charges incitant à la transformation des emplois de « permittents » en contrats durables dans les entreprises publiques. A cette fin, nous devons tous repenser nos critères d'attribution des subventions en ayant comme objectif la pérennisation des structures et des compagnies, dont la fragilité structurelle a été mise en évidence par Bernard Latarjet.

Reconnaissons que le mode de subventionnement actuel a privilégié de façon excessive une logique de projets sans que l'on se préoccupe des structures et des conditions d'emploi dans lesquels ces projets étaient réalisés, notamment en termes de diffusion des spectacles.

Les financeurs publics doivent recentrer leurs subventions sur l'aide à la structuration, en incitant, dans les conventions, les compagnies, à mutualiser les postes administratifs tout en veillant à ne pas oublier les problématiques spécifiques aux plus petites compagnies.

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