Les bradeurs disent que les salariés préfèrent le jardinage ! Qui peut être contre le jardinage ? Mais, comme le disait ironiquement un chercheur en histoire du livre et des lecteurs que j'ai retrouvés au Mans, « quand on toilette un fonds de livre, on parle de désherbage ».
Désherbage, jardinage ! Je suis pour le jardinage et, en même temps, pour avoir dans mon jardin de l'esprit toutes les fleurs du monde, c'est-à-dire la diversité culturelle, par quoi je souhaite terminer ce propos.
C'est une immense bataille, commencée sous d'autres noms, il y a longtemps.
En octobre 1999, les ministres européens de la culture ont remplacé « exception culturelle » par « diversité culturelle ». J'ai toujours été très réservé sur cette mutation du langage. Avec le mot « exception » - que vous avez d'ailleurs prononcé tout à l'heure, monsieur le ministre, jumelé à « diversité culturelle » -, on savait ce dont il s'agissait : la culture et les arts n'étaient pas une marchandise. C'était garantir, ou commencer de garantir, un statut de la pensée, de la recherche, de la création, et on s'est battu avec de sérieux résultats.
La directive « télévision sans frontière », le GATT, l'AMI, le prix unique du livre et, plus anciennement en France, le fonds de soutien du cinéma, mais - allons plus loin - la sécurité sociale et, plus anciennement encore, l'école gratuite, laïque et obligatoire sont des exceptions culturelles.
Les grands bourgeois républicains de la fin du xixe siècle, qui ne répugnaient pas au profit, savaient qu'il valait mieux traiter l'école comme un bien public.
J'ai participé activement à tous les combats depuis la directive « télévision sans frontière » ; je continue, mais la diversité culturelle est un concept flou. Je rappellerai que Jean-Marie Messier s'était écrié des Etats-Unis : « Enfin, on en a fini avec l'exception culturelle », qu'il réduisait à l'exception culturelle française, et le grand commerçant qu'il croyait être avait lancé en même temps : « Vive la diversité culturelle ! »
Aujourd'hui, nous sommes à une étape décisive. Beaucoup se sont mis d'accord sur la création d'un lieu ayant la responsabilité de la gestion de la culture, et l'UNESCO a été choisie.
On savait que ce serait difficile, l'UNESCO étant plutôt molle qu'énergique, et on savait, les Etats-Unis y revenant avec une participation au budget de 25 %, que ce ne serait pas de tout confort.
Dès hier, la séance d'ouverture, avec une présence abondante d'Etats, était l'occasion de se féliciter des débats dans de nombreux pays, d'une sorte de forum international.
Pourtant, après les discours d'accueil, les Etats-Unis n'ont pu se retenir. On discutait des objectifs et on avançait deux mots : « protection » et « promotion ». Les Etats-Unis déclarèrent s'opposer fermement à la « protection » parce que c'était un retour au protectionnisme. C'est une lecture audacieuse quand on sait qu'ils tiennent 72 % du marché européen du film, alors que les films du monde entier autres qu'américains ne bénéficient aux USA que d'un marché de 3 %.
Certes, il leur fut répondu, avec une calme résolution, par le Mexique : « Le mot protégé n'a pas de connotation commerciale » -, par le Brésil : « On ne peut promouvoir ce qu'on ne protège pas » -, par l'Argentine, par le Guatemala, les Barbades, la Bolivie, Haïti : « Protéger, c'est nécessaire pour qu'il y ait survie et, promotion, pour qu'il y ait diffusion.»
Les Etats-Unis n'eurent que deux soutiens : la Thaïlande et l'Equateur !
Mais ce qui stupéfia, ce fut l'intervention de l'Europe, le Luxembourg étant son porte-parole unique ; son représentant soutint l'idée de promotion, et ajouta : « Quant à la protection, j'écoute le débat. »
Certes, aussitôt, le représentant de notre ministère des affaires étrangères alla le sermonner - et c'est bien ! - mais, pour l'immense assemblée, l'Europe est apparue en cet instant comme irrésolue et mettant, dès le premier jour de la négociation, de l'eau dans son vin, c'est-à-dire contribuant à créer des conditions de non-succès.
Pourtant, on ne peut pas dire que, dans le texte, le radicalisme règne. Evoquons l'article 19 sur les relations avec les autres instruments.
Il y a une variante américaine, la variante B, selon laquelle : « Rien dans la présente convention ne modifie les droits et obligations des Etats parties au titre d'autres instruments internationaux existants. » Autrement dit, bavardons, bavardons - je devrais dire : écoutons, écoutons -, mais l'OMC est inexpugnable.
La variante A, plus européenne celle-ci, dont je ne cite que la deuxième partie, la première - il s'agit des droits d'auteur - faisant l'unanimité, est la suivante : « Les dispositions de la présente convention ne modifient en rien les droits et obligations découlant pour un Etat partie d'un accord international existant, sauf si l'exercice de ces droits ou le respect de ces obligations causait de sérieux dommages à la diversité des expressions culturelles ou constituait pour elle une sérieuse menace. »
Je trouve que c'est du genre « texte pompier ». Rien ne bouge, sauf s'il y a un danger, mais qui le constatera et comment, qui corrigera et comment, qui appliquera et comment ? Aucune sanction n'est prévue. Pourtant, ici ou là, on ne s'accroche pas à ce texte, qui était un texte a minima, au nom de la souplesse, de l'ouverture, pour rassembler, voire pour avoir l'unanimité.
Est-ce mon expérience sociale ? En tout cas, je ne vais pas dans une négociation salariale en disant au partenaire patronal : « Je demande un euro de l'heure de mieux, mais, si vous souhaitez ne me donner que 20 % d'un euro, on peut voir ! »
Il faut aller à cette négociation avec une position claire, et je propose pour ma part une autre rédaction de la variante A : « Les dispositions de la présente convention prévalent sur les droits et obligations découlant pour un Etat partie d'un accord international existant, si l'exercice de ces droits ou le respect de ces obligations entravaient de quelque manière la diversité des expressions culturelles. »
Entre nous d'ailleurs, la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 précise que, entre deux traités entre deux Etats, le traité qui prévaut est le traité postérieur.
J'appelle tous ceux qui sont concernés par l'issue de la convention de l'UNESCO, qui doit intervenir lors de l'assemblée générale en 2005, à renforcer leur action et à faire preuve de fermeté.
Bien sûr qu'il faut chercher le plus large rassemblement, mais j'ai eu hier le retour du projet de convention après sa lecture par les Américains : je ne suis pas méchant, mais je suis obligé de dire que, sur les 307 lignes que compte le projet de convention, les Etats-Unis en récusent, totalement ou en partie, 198, c'est-à-dire les deux tiers !
On ne peut pas oublier non plus que, au même moment, il y a la directive européenne Bolkstein, qui, par la notion de « pays d'origine », favorise un pavillon de complaisance culturel en Europe, ce qui est nier le respect de la pluralité.