La politique de la France en matière culturelle est mondialement reconnue comme étant l'une des plus ouvertes à l'inscription de la culture et de ses activités dans un cadre financier et juridique qui échappe, pour partie, aux règles du droit commun de la concurrence. C'est le fondement même de l'exception culturelle française, qui refuse de considérer les oeuvres de l'esprit uniquement comme des prestations commerciales. A ce titre, la France s'est dotée d'une politique de soutien à la création et à la diffusion des oeuvres artistiques qui a fait ses preuves à de nombreux égards.
La vitalité de notre production musicale est exceptionnelle en Europe, le système des aides accordées par le Centre national de la cinématographie à la production, distribution et exploitation des films a permis au cinéma français de figurer parmi les plus dynamiques au monde et on compte aujourd'hui pas moins de 3 300 compagnies professionnelles de théâtre, de théâtre de rue, de danse, et de cirque.
Ce formidable foisonnement artistique repose sur la mise en place d'une politique culturelle consciente des caractéristiques spécifiques des activités qui en sont l'objet.
L'excellent rapport que Jean-Paul Guillot vous a remis, monsieur le ministre, nous enseigne que le secteur du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma pèse à peu près vingt milliards d'euros et qu'il occupe environ 300 000 personnes, soit l'équivalent de l'industrie automobile .
Si ces éléments ont le mérite de mettre en perspective l'économie de ce secteur artistique par rapport à d'autres secteurs industriels, ne perdons pas de vue cependant qu'on ne fabrique pas une voiture comme on crée un spectacle vivant.
Ce qui est vivant est source de création et suppose donc un investissement personnel total et passionné de la part de ses protagonistes. Il faut le temps de l'écriture, du montage, de la répétition et enfin de la représentation et de la transmission.
Ce long travail de création et d'accompagnement de la création artistique jusqu'à sa représentation devant un public, c'est naturellement celui de l'artiste et du technicien, celui de l'intermittent du spectacle.
Le régime d'indemnisation du chômage des intermittents n'est donc pas un régime de faveur ; c'est bien un régime d'exception, adapté à une pratique discontinue devant le public, ce qui est l'essence même de toute activité artistique, mais continue dans la préparation des spectacles et dans la formation des artistes et des techniciens.
Le protocole d'accord du 26 juin 2003 a, comme chacun sait, modifié les annexes VIII et X de la convention UNEDIC en révisant à la baisse de nombreux droits sociaux des intermittents. La période de référence ouvrant droit à indemnisation a été ramenée de douze mois à dix mois pour les techniciens, à dix mois et demi pour les artistes ; de surcroît, la durée d'indemnisation a été réduite à huit mois, contre douze précédemment.
M. Aillagon et le MEDEF ont justifié cette attaque frontale contre la création artistique et ses protagonistes par le déficit généré par ce régime spécifique, estimé alors à 800 millions d'euros.
Plutôt que de dénoncer les abus qui entachent ce régime et d'y remédier en incitant, par exemple, certains employeurs à cesser d'avoir recours à des intermittents pour des tâches durables qui justifieraient la conclusion d'un véritable contrat de travail de droit commun, le Gouvernement a préféré agréer un protocole d'accord dont l'objet était de faire peser intégralement le déficit des annexes VIII et X sur les épaules de l'ensemble des intermittents.
Depuis votre arrivée aux affaires, vous avez multiplié les consultations et les rapports rédigés à votre demande se sont accumulés. Le dernier en date, celui de Jean-Paul Guillot, que j'évoquais il y a quelques instants, est venu confirmer la précarité de la situation dans laquelle se trouvent la majorité des intermittents, qui déclarent, pour plus de 50 % d'entre eux, moins de 600 heures de travail par an et qui, pour 80 % d'entre eux, ont un salaire un peu supérieur au SMIC.
Cette expertise, ainsi que les conclusions des missions menées respectivement au Sénat et à l'Assemblée nationale par Jacques Valade et Christian Kert, convergent toutes vers un même point : la réforme issue du protocole du 26 juin 2003 n'a en rien permis d'endiguer le déficit créé par le régime propre des annexes VIII et X. On ne peut être plus clair, monsieur le ministre : cette réforme a échoué, elle n'a pas atteint son but.
II faut donc que ce protocole soit abrogé. Alors seulement, il sera temps de réunir les partenaires sociaux et l'ensemble des acteurs concernés pour réfléchir à l'élaboration d'un nouveau texte.
Vous essayez de gagner du temps et de colmater les brèches. La circulaire UNEDIC du 18 mai 2004 a rétabli, pour les femmes enceintes, la prise en compte du congé de maternité dans le calcul des 507 heures travaillées. Vous avez créé, en juillet de la même année, un fonds provisoire dont la vocation était de réintégrer, au titre de l'année 2004, les 13 000 intermittents sortis du système d'indemnisation du fait de l'entrée en vigueur de l'accord du 26 juin.
Cette initiative s'est malheureusement soldée par un échec puisque, sur les 80 millions d'euros annoncés au titre de ce fonds, seuls 2 millions ont été effectivement distribués à environ 1 600 intermittents.
Pour pallier les lacunes du fonds provisoire, vous avez mis en place, depuis le 1er janvier dernier, un fonds transitoire dont vous voudriez qu'il « préfigure en chacune de ses modalités les éléments d'un système pérenne et marque une étape vers un nouveau système ». Ce sont les termes mêmes du discours que vous avez prononcé lors du dernier Conseil national des professions du spectacle, le 17 décembre dernier.
S'il est vrai que ce fonds a permis d'opérer quelques avancées, dont le rétablissement à douze mois de la période de référence pour effectuer les 507 heures, la logique du protocole du 26 juin 2003 demeure la même, et ce sont chaque jour des dizaines d'intermittents qui continuent de sortir du système d'indemnisation et de s'enfermer dans la précarité.
Toute la philosophie de ce protocole et des aménagements que vous ne cessez d'y apporter pour en limiter les effets pervers demeure axée sur la résorption du déficit des annexes VIII et X de la convention UNEDIC, par le biais de la limitation des droits sociaux des intermittents.
Ce n'est pas la bonne méthode et vous le savez, monsieur le ministre. Les conclusions du rapport Guillot, dont vous vous êtes largement inspiré afin de déterminer votre programme d'action pour les mois à venir, sont sans équivoque. La réduction du déficit généré par le régime d'assurance chômage des intermittents passe par la mise en oeuvre d'une politique forte en faveur de l'emploi culturel, qui devra s'efforcer de relever la part des emplois permanents et des structures pérennes du secteur.
La durée moyenne de travail annuel rémunéré ainsi que la durée moyenne des contrats des intermittents devront également être augmentées.
Cela ne signifie pas pour autant que les annexes VIII et X de la convention UNEDIC ne doivent pas être réformées, mais cette réforme doit venir en complément de la mise en oeuvre préalable d'une politique de l'emploi culturel, adaptée aux spécificités des pratiques de travail des artistes et des techniciens.
C'est pour cette raison que, conformément aux souhaits exprimés unanimement par l'ensemble des membres du comité de suivi sur la réforme de l'assurance chômage des intermittents, nous demandons l'abrogation du protocole du 26 juin 2003, par souci de cohérence politique et de justice sociale.
Pour mener à bien une politique de l'emploi culturel, il est indispensable que l'Etat cesse de se désengager en la matière, comme il le fait actuellement.
Les collectivités territoriales contribuent aujourd'hui aux deux tiers des financements publics de la culture et ce n'est pas le budget de la culture pour 2005 qui viendra inverser cette tendance.