Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré la vitalité du spectacle vivant dans notre pays et l'importance du réseau de diffusion existant, la crise profonde, née de la réforme d'assurance chômage des intermittents, qui a remis en cause le statut de l'intermittence, ne peut nous laisser indifférents. Cette crise nous amène à nous interroger sur l'avenir même de la création artistique et culturelle, et implique une refondation de la politique publique de soutien au spectacle vivant.
La signature du protocole d'accord du 26 juin 2003 a été à l'origine de ce conflit sans précédent dans le monde du spectacle.
En effet, l'objectif fixé par ce protocole ne semble pas avoir été atteint : le déficit des annexes VIII et X de la convention UNEDIC, si tant est qu'il puisse être sérieusement chiffré, n'a pu être endigué. Les fraudes et abus au système d'indemnisation de l'assurance-chômage des intermittents demeurent.
De surcroît, les inégalités se sont accrues : la précarité de nombreux intermittents du spectacle s'est aggravée. Chaque jour, depuis le protocole de juin 2003, plusieurs d'entre eux en ont fait les frais.
La conclusion apparaît alors simple et fait l'unanimité parmi les parlementaires de la majorité et de l'opposition : la renégociation d'un nouveau protocole d'accord s'impose d'urgence, c'est-à-dire sans attendre décembre 2005, comme cela avait été initialement prévu.
Plusieurs problèmes accentuent la complexité de la résolution du conflit, qui est, à l'origine, lui-même délicat à résoudre, il nous faut bien le reconnaître.
On peut les répertorier schématiquement en deux catégories. Les premiers se posent déjà depuis longtemps et demeurent toujours, hélas ! Les seconds se poseront dans un avenir proche.
A propos des premiers, on doit déplorer la confusion des chiffres, comme l'absence de statistiques permettant d'avoir des données chiffrées relativement précises et réalistes. Ce défaut «d'objectivité du nombre» ouvre la porte aux critiques erronées du système d'indemnisation chômage qui est remis en cause.
Alors qu'il est reproché au secteur d'avoir un régime fortement déficitaire, nous savons qu'en 2002 les intermittents représentaient 4, 9 % de l'ensemble des chômeurs indemnisés, mais ne percevaient que 3, 6 % des allocations chômage, ce qui relativise leur responsabilité dans le déficit global de l'UNEDIC.
Il est absolument nécessaire de se donner les moyens d'opérer un croisement complet des fichiers et de mettre un terme à l'opacité des comptes de l'UNEDIC. En effet, nous ne connaissons toujours pas, ce qui est fort étonnant dans notre société adonnée à l'informatique et aux nouvelles technologies, le montant des salaires réels et le nombre des cotisants non indemnisés. Les écarts entre les chiffres avancés par l'UNEDIC, d'une part, et par la Caisse des congés spectacles, d'autre part, perdureront tant qu'aucun croisement sérieux de fichiers n'aura été effectué, comme l'exige la transparence. J'en veux pour preuve l'excellent rapport rédigé par M. Guillot, que la commission des affaires culturelles a eu l'honneur d'accueillir et d'entendre voilà quelques jours.
Un autre problème contribue à la confusion ambiante caractérisant la crise de l'intermittence : celui du contrôle effectif et efficace des abus et des fraudes. Le manque de moyens consacrés à l'augmentation du nombre d'inspecteurs du travail est à déplorer. Pourtant, il est évident qu'un tel investissement financier de la part de l'Etat serait particulièrement efficace pour lutter contre les fraudes en matière d'indemnisation du chômage. Prendre cette mesure urgente concourrait de manière importante à la diminution du déficit.
Ce contrôle doit aller de pair avec une délimitation précise des catégories professionnelles pouvant relever du statut de l'intermittence du spectacle. Procéder à cette délimitation est incontournable si l'on entend assainir le système et le rendre pérenne.
Enfin, il faut reconnaître l'absence de lisibilité des rôles des différents intervenants de ce secteur, à laquelle s'ajoutent une accumulation fréquente des priorités, des conventions, et une fragmentation systématique des décisions. Comment parvenir concrètement à mettre en oeuvre des orientations politiques claires, sans se perdre au quotidien dans des détails de procédure et des subtilités administratives ?
Quant aux difficultés auxquelles il faudra faire face demain, elles sont essentiellement liées à la décentralisation de la gestion culturelle et patrimoniale, de l'Etat en direction des collectivités territoriales. Alors que celles-ci contribuent déjà à hauteur des deux tiers au financement public de la culture, la décentralisation et les nouveaux désengagements financiers de l'Etat, notamment dans le domaine de la restauration des monuments historiques, orienteront les choix budgétaires locaux au détriment du spectacle vivant.
Dans ces conditions, quid, demain, de la diversité culturelle dans notre pays, dont chacun d'entre nous souhaite pourtant voir s'exprimer la richesse, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des frontières hexagonales ?
La flexibilité du travail des employés de la culture est un élément de cette diversité. Elle doit perdurer, mais le nouveau système à mettre en place devra permettre d'éviter la confusion entre flexibilité et précarité. Or, dans la pratique professionnelle, la limite entre flexibilité et précarité est rarement parfaitement respectée. Elle pourra l'être grâce à un plan ambitieux en faveur de l'emploi, conformément d'ailleurs aux recommandations du rapport Guillot. Il faut reconnaître que l'intermittence possède ses rythmes spécifiques : il est nécessaire de consacrer du temps, en amont de la présentation des spectacles, à la prospection, à l'écriture des scénarios ou des partitions. Cela étant, l'emploi doit demeurer la règle et le chômage l'exception. Si la flexibilité permet la diversité, la précarité, en revanche, la dessert.
Si l'emploi doit être l'objectif, l'urgence est l'abrogation de l'actuel protocole et le rétablissement des garanties du système de l'intermittence selon un nouveau protocole d'accord : je pense ici aux diverses mesures approuvées à l'unanimité par le comité de suivi du Parlement, au premier rang desquelles figure la restauration de la règle des 507 heures sur douze mois, avec une date fixe d'anniversaire.
Précisons, comme le fait à juste titre le rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les métiers artistiques, que l'activité des intermittents du spectacle, répartis entre les secteurs du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma, engendre un chiffre d'affaires de 22 milliards d'euros, pour 300 000 emplois, soit autant que l'industrie automobile. Comme le souligne le rapporteur de la mission d'information précitée, M. Christian Kert, député des Bouches-du-Rhône, il s'agit « d'un secteur fort économiquement et en termes de symbole ».
En tout état de cause, monsieur le ministre, comment paraître crédible aux yeux des intermittents du spectacle, dont 80 % perçoivent l'équivalent du SMIC, quand ceux-ci apprennent par la presse, au travers d'un article du Monde du 25 septembre 2004, que l'Etat se donne les moyens de rémunérer deux directeurs de l'Opéra de Paris pendant plus de six mois, seul celui qui a été nommé en juillet dernier occupant effectivement le poste ? La crédibilité politique vacille lorsque la légitimité de l'action publique est fragile.
A chacun de prendre ses responsabilités ; si les partenaires sociaux n'y parviennent pas, il revient au Gouvernement de prendre les siennes, et à nous parlementaires, députés et sénateurs, d'assumer les nôtres. Il n'est pas excessif d'affirmer que la diversité culturelle et le spectacle vivant en dépendent, de même que les hommes et les femmes qui travaillent dans ce secteur, sur scène ou en coulisses.
Monsieur le ministre, en cette fin de période de présentation des voeux, je forme celui que le conflit de l'intermittence trouve rapidement une solution satisfaisante, équitable pour les différents acteurs, réjouissante pour les spectateurs et permettant de garantir notre chère diversité culturelle. A votre ministère, cogestionnaire de cette crise avec celui de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, d'aider les partenaires sociaux à résoudre enfin ce conflit, dans l'intérêt général, sans attendre l'échéance de décembre 2005, ce qui me dispensera d'avoir à renouveler mon voeu au début de l'année prochaine.