Intervention de Jean-Paul Alduy

Réunion du 1er février 2005 à 16h00
Spectacle vivant — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Jean-Paul AlduyJean-Paul Alduy :

Monsieur le ministre, lorsque, voilà quelques mois, vous êtes arrivé à la tête du ministère de la culture et de la communication, nous étions en pleine crise des intermittents du spectacle, une crise née d'une mauvaise négociation du protocole d'assurance chômage. Mauvaise négociation parce que l'on avait trop tardé à engager les réformes incontournables, dans ce domaine comme dans d'autres ; mauvaise négociation parce que l'analyse des abus était sommaire et les moyens pour les combattre inadaptés faute d'avoir eu le courage de redéfinir les métiers, artistes et techniciens, de la création et de la diffusion culturelles ; mauvaise négociation parce que le diagnostic était erroné sur le rôle et la place de la culture dans nos cités.

Cette crise aura néanmoins eu le mérite de permettre une vraie prise de conscience, dans tout le pays, de l'importance sociale mais aussi économique de ce que l'on appelle les arts vivants. Vivants parce qu'ils produisent les émotions individuelles et collectives dans nos cités, depuis le plus petit village jusqu'à la grande métropole ; vivants parce qu'ils interpellent sans cesse les valeurs et les pratiques qui fondent notre cohésion sociale ; vivants, enfin, parce qu'ils bousculent notre conscience et nos regards sur l'humanité.

Cette prise de conscience, certes payée au prix fort par les villes qui ont vu leur festival annulé, était nécessaire. Vous avez eu le mérite, par votre écoute, votre présence, votre objectivité et vos actes, non seulement de permettre que le dialogue soit renoué, mais aussi et surtout d'avoir su dépasser le strict champ social pour redéfinir, étape après étape, une véritable stratégie de développement de l'emploi culturel.

Vous souhaitez faire du développement des industries culturelles et de l'emploi des instruments essentiels de l'attractivité de notre pays, de l'aménagement du territoire et de notre cohésion nationale. Votre démarche est la bonne, même si le chemin sera long et difficile. Après avoir renoué les fils du dialogue, vous avez eu raison de prendre le temps d'établir un diagnostic partagé et incontestable. De ce point de vue, l'apport du rapport Guillot, largement cité, est considérable.

Néanmoins, après la reprise du dialogue et le diagnostic, encore faut-il définir les bases du nouveau système.

Le protocole du mois de juin 2003 a-t-il atteint les objectifs que les partenaires sociaux s'étaient fixés ? La réponse est claire et sans ambiguïté : non ! L'application, plus peut-être que le protocole lui-même, a donné le sentiment d'une volonté de fragiliser les plus précaires, tout en maintenant les acquis des plus hauts revenus. De même, s'agissant des économies escomptées, nous sommes loin du compte puisque le déficit serait passé, si j'ai bien compris, de 800 millions d'euros à un milliard d'euros en 2004 !

Fallait-il pour autant revenir à l'ancien système ? Là encore, la réponse est négative, ne serait-ce que parce que la communauté nationale faisait reposer le financement de la culture en grande partie sur l'UNEDIC, et donc sur les salariés. Nous avons, de ce point de vue, une responsabilité collective, qu'il s'agisse de l'Etat et des différents gouvernements qui se sont succédé depuis 1992 ou des collectivités territoriales.

Il convient donc, aujourd'hui, de définir les principes et le champ d'un nouveau protocole qui soit juste et équitable. Bien entendu, il n'est pas question de se substituer aux partenaires sociaux. J'observe toutefois que l'absence d'une branche patronale des employeurs de la culture au sein du MEDEF se fait cruellement sentir.

Néanmoins, il n'est pas interdit au législateur de poser quelques grands principes. En ce qui me concerne, j'en vois au moins trois.

Le premier, c'est le maintien de la solidarité interprofessionnelle et donc de la spécificité des annexes VIII et X. Les artistes et les techniciens ne sauraient être assimilés à des travailleurs saisonniers. Je sais, monsieur le ministre, que vous partagez cette position.

Le deuxième principe, c'est la définition d'un périmètre incontesté et incontestable ; nous avons été nombreux à le dire, à cette tribune. C'est là, monsieur le ministre, l'un de vos plus grands défis. En effet, si nous voulons accentuer le soutien des élus et de nos concitoyens au maintien d'un régime spécifique, nous devons le rendre absolument incontestable.

Le troisième principe - l'un ne va pas sans l'autre - c'est la rigueur dans la lutte contre les abus. Je sais, monsieur le ministre, que vous avez conditionné tous les financements de l'Etat au respect de bonnes pratiques d'emploi. J'aimerais obtenir de votre part davantage de précisions sur les instructions données à vos directions régionales. De même, quel est le bilan de votre action commune avec le ministère du travail s'agissant des contrôles et de la lutte contre les abus, quasi inexistants voilà encore quelques mois ?

Permettez-moi d'aborder à présent un volet qui me tient particulièrement à coeur et qui me paraît décisif pour l'avenir ; je veux évoquer la nécessité de repenser et de réorganiser les partenariats entre l'Etat et les collectivités locales - régions, départements, intercommunalités et communes.

Puisqu'il est maintenant exclu de faire reposer le financement de la création culturelle sur l'UNEDIC, il faut définir un vrai pacte politique national pour la création artistique et l'emploi culturel afin d'additionner de manière cohérente les interventions de tous les partenaires publics.

Le rôle des collectivités territoriales est dès à présent décisif, mais il ira croissant, car les politiques culturelles sont de plus en plus au coeur des projets urbains, du combat contre les fractures sociales et le communautarisme qui minent la cohésion sociale de nos cités, mais également des stratégies de développement économique de nos territoires, et notamment de la compétition que ceux-ci se livrent entre eux.

Encore faut-il qu'à tous les niveaux de responsabilité où les électeurs nous ont placés, quelles que soient nos sensibilités politiques, nous acceptions d'organiser les partenariats afin d'additionner nos moyens et, surtout, d'assurer la continuité des actions, des équipes et des équipements structurants, ceux sur lesquels reposent la création, l'enseignement, la formation et la diffusion culturelle.

Le rôle de l'Etat va être essentiel- Mme Tasca l'évoquait précédemment -, car c'est lui qui devra veiller à ce que les autoritarismes sectaires ne viennent ici ou là briser, vassaliser, instrumentaliser la création culturelle et sa diffusion.

Permettez, monsieur le ministre, que je saisisse l'occasion de cette tribune pour dénoncer ce que j'appelle « la casse culturelle » en Languedoc-Roussillon.

Vous êtes venu à plusieurs reprises dans notre région pour constater la brutalité des attaques contre des institutions et des manifestations qui avaient le malheur de déplaire au nouveau prince, je devrais même dire au nouveau consul puisque la région a été rebaptisée « Septimanie » dans les documents officiels ! La situation pourrait prêter à sourire si elle n'était si grave.

Que ce soit la fermeture brutale du Centre régional des lettres, les annulations unilatérales de subventions comme à Nîmes, les menaces qui pèsent sur le festival « Visa pour l'image », véritable rendez-vous mondial du photojournalisme, ou encore sur l'orchestre de Perpignan, il ne se passe malheureusement pas un jour qui n'apporte son lot de démantèlement de l'action culturelle, et ce, sans le moindre respect pour le travail accompli, au fil des années, par les élus, les bénévoles et les nombreux professionnels, pour faire vivre la culture dans nos territoires.

Dès lors, monsieur le ministre, il est primordial que l'Etat soit le garant de la continuité et de l'équité des financements sur l'ensemble des territoires. Je sais que vous êtes très attentif à ces dérives, mais il faudra des actions fortes. Je ne vois pas, quant à moi, d'autre voie que celle de la négociation de conventions pluriannuelles sur chaque agglomération, où soit engagé et donc lié, aux côtés de l'Etat, l'ensemble des collectivités territoriales.

Pour conclure, monsieur le ministre, permettez-moi de vous témoigner à la fois mon soutien et mon admiration...

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