Intervention de André Dulait

Réunion du 1er février 2005 à 22h30
Statut général des militaires — Discussion d'un projet de loi

Photo de André DulaitAndré Dulait, rapporteur :

En tout état de cause, nous avons recueilli de nos contacts l'impression très nette que, aux yeux de nos militaires, l'expérience des opérations multinationales confortait les principes de notre statut général. Le professionnalisme de nos armées sur les théâtres extérieurs est largement reconnu et nos militaires en sont fiers. Ils sont conscients des risques qu'il y aurait à affaiblir la cohésion et l'efficacité opérationnelle des unités.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées approuve donc les principes retenus par le projet de loi en matière de droits politiques, comme sur la question des groupements professionnels ou syndicaux.

Nous croyons, en revanche, devoir insister sur l'attachement des personnels à la concertation au sein des armées. Les actuelles instances de concertation - en premier lieu, le Conseil supérieur de la fonction militaire- sont confortées par le projet de loi. Un chapitre du nouveau statut général des militaires leur est consacré, alors qu'elles étaient jusqu'alors régies par une loi spécifique. Le statut des représentants des personnels est renforcé pour garantir le libre exercice de leur mandat.

Au-delà de ces améliorations législatives, madame le ministre, c'est la pratique qui permettra à ces instances d'être davantage en prise directe avec les personnels et de devenir le lieu d'échange et d'information auquel aspirent les militaires. Nous souhaitions souligner ce point, madame le ministre, afin que ce souci soit pris en compte non seulement dans les textes d'application, mais également dans les modalités concrètes de fonctionnement des conseils d'armée et du CSFM.

J'ajoute enfin que l'instance d'évaluation de la condition militaire prévue par le projet de loi a créé une forte attente. Nous y voyons un complément particulièrement nécessaire au dispositif de concertation. Le malaise diffus qui s'est déclaré dans les armées voilà un peu plus de trois ans démontre l'intérêt d'une telle instance, capable de fournir aux responsables une information objective permettant de définir une véritable politique de la condition militaire.

J'en viens maintenant au deuxième grand volet du projet de loi, qui concerne les protections et garanties accordées aux militaires.

Comme vous l'avez souligné, madame le ministre, c'est certainement dans ce domaine que le projet de loi s'avère le plus novateur et qu'il apporte les plus grandes avancées, lesquelles ont été saluées, à juste titre, par les représentants de la communauté militaire.

Le projet de loi introduit dans les protections et garanties accordées aux militaires par leur statut la notion d'opérations extérieures et apporte des améliorations concrètes aux situations qui n'étaient pas correctement prises en compte dans le droit actuel.

S'agissant de la protection pénale dont bénéficient les militaires en opérations, nous savons que le droit actuellement applicable hors des situations de guerre est celui de la légitime défense, qui encadre de manière très limitative les conditions d'usage de la force. Ces restrictions placent nos militaires dans des situations extrêmement difficiles sur le terrain.

Un texte de loi ne pourra certes jamais couvrir l'extrême variété de situations rencontrées sur le terrain, mais l'article 17 du projet de loi apporte une amélioration très importante au travers d'une règle simple : il vise à établir une disposition spécifique aux opérations militaires se déroulant hors du territoire français, à savoir une exonération de la responsabilité pénale du militaire qui exerce des mesures de coercition ou fait usage de la force dès lors que cela est nécessaire à l'accomplissement de la mission et qu'il agit bien entendu dans le respect des règles du droit international. La référence à l'accomplissement de la mission couvre un nombre de situations beaucoup plus large que la légitime défense et permet notamment d'assurer la protection de points sensibles même si le militaire n'est pas confronté à une menace sur sa personne.

Ces dispositions, rappelons-le, sont destinées à être appliquées par le juge pénal français, en l'occurrence le tribunal aux armées de Paris, seul compétent pour connaître d'éventuelles infractions commises par les militaires français à l'étranger. Cette juridiction disposera désormais d'un cadre légal indiscutable, afin de mieux tenir compte des conditions parfois difficiles dans lesquelles nos militaires accomplissent leur mission. Ces dispositions sont, par ailleurs, cohérentes avec les accords de défense ou de stationnement des forces conclus avec les pays étrangers et qui prévoient la compétence de la juridiction française, tout comme avec le dispositif de la Cour pénale internationale, cette dernière ne pouvant intervenir qu'en cas de carence des juridictions nationales.

Dans le même esprit, le projet de loi clarifie les conditions d'usage de la force sur le territoire national, dans le cadre de la protection des zones de défense hautement sensibles.

Le projet de loi permet également de réaliser une seconde avancée dans le domaine, cette fois-ci, de la prise en charge des blessures survenues en opérations.

Ces blessures seront réputées imputables au service dès lors qu'elles seront intervenues entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris pendant les actes de la vie courante ou lors des escales des bâtiments. Il s'agit d'une extension notable de la protection sociale du militaire en opérations. Nous avons constaté qu'elle était ressentie d'une manière très positive, compte tenu de la situation relativement défavorable dans laquelle étaient maintenus les militaires par rapport à d'autres professions qui sont appelées à effectuer des missions à l'étranger.

L'Assemblée nationale a abordé la difficile question des maladies contractées en opérations. Il est évident que ces maladies peuvent se révéler des mois, voire des années, après le retour de mission. La présomption d'imputabilité au service ne peut donc jouer de la même manière que lorsque les blessures sont constatées instantanément.

L'Assemblée nationale a toutefois apporté deux améliorations au texte actuel. Elle a porté de trente jours à soixante jours après le retour d'opération la période au cours de laquelle une maladie déclarée est réputée imputable au service, ce qui semble de nature à faciliter les réparations pour les intéressés. Elle a également prévu la possibilité, pour les militaires concernés, de bénéficier, avant ce délai de soixante jours, d'un contrôle médical approfondi destiné à déceler d'éventuelles affections.

Nous vous proposerons, quant à nous, d'inscrire le principe de ce contrôle médical dans le statut général des militaires lui-même et de l'étendre à toutes les missions opérationnelles, et non pas seulement à celles qui sont reconnues comme étant des opérations extérieures.

J'en viens à la troisième partie du projet de loi, qui est consacrée au déroulement et à la gestion des carrières militaires.

Elle reprend de nombreuses dispositions de l'actuel statut, mais elle apporte, elle aussi, des avancées intéressantes que notre commission a approuvées.

Je citerai, tout d'abord, la volonté d'aligner, chaque fois que cela est possible, la situation des personnels sous contrat sur celle des personnels de carrière. Ce sera le cas pour de nombreuses dispositions statutaires, notamment, par exemple, l'accès à certaines positions comme le détachement ou les possibilités d'intégration dans la fonction publique. Cela se traduira également en termes de droits sociaux. Ainsi, les militaires non officiers sous contrat radiés des cadres par suite d'infirmités bénéficieront d'une pension militaire dans les mêmes conditions que leurs camarades de carrière, ce qui mettra fin à une discrimination injustifiée.

Par ailleurs, le projet de loi procède à une refonte du régime des sanctions disciplinaires, inspirée d'un souci de rapprochement avec la fonction publique civile et d'un renforcement des garanties accordées aux militaires.

Ainsi, le nouveau statut se conformera aux grands principes du droit de la défense. Je crois savoir que les textes d'application en cours d'élaboration ont déjà reçu un accueil favorable du Conseil supérieur de la fonction militaire.

En matière de recrutement, le projet de loi apporte deux innovations.

Tout d'abord, il redéfinit les conditions d'accomplissement d'un volontariat dans les armées. Cette formule instaurée lors de la suspension du service national a, en effet, rencontré un écho inégal. L'armée de terre a ainsi été amenée à réduire très sensiblement le nombre de postes de volontaires, dont beaucoup n'étaient pas pourvus, et à les transformer, en partie, en postes d'engagés. Le nouveau statut apportera beaucoup plus de souplesse au volontariat. Sa durée minimale, fixée par décret, pourra être inférieure à un an. Le volontariat pourra également être fractionné. Ces nouvelles dispositions devraient ouvrir de nouvelles perspectives en matière de recrutement des volontaires, ce type de contrat pouvant jouer un rôle très utile en prélude à un engagement dans l'armée d'active ou dans la réserve.

Ensuite, la création d'une nouvelle catégorie, celle des militaires commissionnés, répond, elle aussi, à un objectif de souplesse. Nous avons bien compris qu'elle concernera des recrutements exceptionnels, en nombre très limité. Elle pourra néanmoins fournir aux armées certaines compétences dont elles ont besoin, y compris en faisant appel à des spécialistes étrangers.

Lors du débat à l'Assemblée nationale, vous avez réaffirmé, madame le ministre, la place qui revient à la réserve opérationnelle dans le fonctionnement de nos forces armées. Le texte est clair sur ce point puisqu'il précise les dispositions s'appliquant au réserviste, militaire à part entière dès lors qu'il se trouve en activité.

Le projet de loi consacre également deux chapitres à la reconversion des militaires, soit dans le cadre d'un accès à la fonction publique civile, soit dans le cadre d'aides permettant de préparer une seconde carrière dans le secteur privé. Il s'agit là d'une question majeure qui influe directement sur l'attractivité des carrières, et donc sur le succès du recrutement.

S'agissant de la reconversion dans la fonction publique, on ne peut que se féliciter de voir le nouveau statut intégrer et pérenniser les dispositions de la loi de 1970 ouvrant aux officiers l'accès à des emplois proposés par les administrations civiles, y compris les collectivités territoriales et les hôpitaux.

Ces dispositions auront un caractère permanent, mais, surtout, elles seront étendues à tous les militaires, de carrière ou sous contrat, quel que soit leur grade. La commission s'est félicitée de cette extension potentielle très importante du nombre de bénéficiaires. Il reste bien entendu à donner à ces dispositions toute leur portée en convainquant les administrations civiles de proposer un nombre significatif de postes.

Enfin, parmi les nombreuses modifications proposées par le projet de loi figure la modification du mode de désignation des officiers généraux. Chacun reconnaît le caractère très insatisfaisant de la pratique des nominations à titre conditionnel qui rendait toutes théoriques les limites d'âge de la première section.

Suivant les recommandations de la commission Denoix de Saint Marc, vous avez proposé, madame le ministre, un dispositif plus transparent pour satisfaire des objectifs sensiblement analogues, à savoir maintenir un flux suffisant de promotion aux grades d'officiers généraux.

Au total, les nouvelles règles applicables aux officiers généraux devraient se traduire par un recul d'un an environ de l'âge moyen réel de départ. Maintenu à soixante et un ans, l'âge maximal de service en première section pour les officiers des armes reste inférieur à celui qui est en vigueur dans la fonction publique civile pour les corps de niveau équivalent. Un recul de cet âge maximal aurait cependant abouti à retarder l'avancement dans tous les autres grades d'officiers.

La commission Denoix de Saint Marc a estimé nécessaire que la suppression des nominations à titre conditionnel soit assortie de mesures d'accompagnement, en particulier d'une revalorisation de l'échelle indiciaire pour les emplois supérieurs. Il est assez étonnant de constater que, selon les chiffres qu'elle a cités, le nombre d'emplois dits « hors échelle », c'est-à-dire correspondant aux indices les plus élevés, ait pratiquement doublé en quinze ans dans la fonction publique civile alors qu'il a diminué, dans le même temps, dans les armées. Cela comporte un risque évident pour l'attractivité de la carrière militaire.

C'est pourquoi il paraît nécessaire que la mise en place du nouveau statut et des nouvelles limites d'âge s'accompagne, de manière plus générale, d'une réflexion globale sur les perspectives de carrière offertes aux militaires et sur les aménagements à y apporter.

Pour conclure, j'indiquerai que l'Assemblée nationale n'a que peu modifié le texte sur le fond, confortant les équilibres généraux du projet de loi et apportant plusieurs compléments qui s'inscrivent dans l'esprit du texte initial du projet de loi et permettent de l'améliorer. Elle a également pris en compte certaines préoccupations particulières, notamment celles des retraités militaires, dont les droits figurent désormais explicitement dans le statut, ce dont nous nous félicitons.

Le projet de loi a recueilli le vote favorable de trois des quatre groupes parlementaires de l'Assemblée nationale, le groupe des députés communistes et républicains ayant, quant à lui, opté pour une abstention que son représentant a qualifié de « positive ».

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