Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l'image de la société dans laquelle nous vivons, le visage de l'armée française a subi des mutations profondes.
La France et le monde de 1972 ne sont plus et, de ce fait, l'actuel statut des militaires est devenu obsolète sur de nombreux points.
Evolution des temps, évolution de l'économie, évolution du cadre de vie : autant d'aspects qui rendaient nécessaire une refonte de ce statut.
Il faut dire que l'armée a changé, en premier lieu, du fait de la professionnalisation et de la suspension du service national.
Ces changements concernent, tout d'abord, la détermination de notre politique de défense, qui doit faire face à la mise en oeuvre d'une défense européenne, ainsi que le recours aux OPEX, généralement menées sous mandat international.
Missionnaires de la paix au Kosovo ou en Afghanistan, où ils ont laissé une bonne image, les militaires ont parfois été obligés de se servir de leurs armes, ce qui souligne la complexité et la dangerosité de leur mission, sans compter qu'ils ont participé de nombreuses fois aux secours lorsque des catastrophes naturelles sont survenues.
Ces changements concernent, ensuite, la personnalité même des hommes... et des femmes, de plus en plus présentes, puisqu'elles représentent 18 % des effectifs de l'armée d'aujourd'hui.
Les mentalités changent. Oui, les militaires servent notre pays, mais ils n'en sont pas moins des êtres humains et ils tendent de plus en plus à affirmer cette dimension, tout en gardant bien à l'esprit la spécificité de la mission qui leur incombe.
Enfin, c'est la structuration propre à l'armée, avec la professionnalisation et la suspension de la conscription, qui pose les jalons d'une nouvelle approche des militaires, avec des notions de recrutement et de fidélisation nouvelles.
A l'occasion des discussions sur la professionnalisation des armées et la suspension du service militaire, le groupe communiste républicain et citoyen a mis chacun en garde sur les conséquences de tels bouleversements, qui privaient la France de la participation des jeunes à sa défense.
Bien sûr, il fallait transformer le service militaire, en optant pour une durée plus courte ; bien sûr, il fallait former en plus grand nombre des spécialistes dans nos armées ; mais il ne fallait pas suspendre la conscription !
De plus, avec la mise en oeuvre effective, en 2006, de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, la nouvelle structure budgétaire se fera sur la base d'un calcul en termes de masse salariale globale et non plus, comme c'est le cas actuellement, en termes de postes budgétaires. Or il est à craindre, à juste titre, de voir s'opérer une diminution d'emplois au sein des armées à masse salariale constante.
Pour autant, s'il est essentiel, à mes yeux comme à ceux de l'ensemble des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, d'opérer une amélioration des conditions du statut des militaire, il faut aussi, parallèlement, se prémunir contre des réductions drastiques des effectifs humains.
Protéger les personnels suppose, en effet, que tous soient confortés dans leur emploi. Or, madame la ministre, votre volonté affichée de recentrer l'armée sur son coeur de métier a déjà - et aura de plus en plus, je le crains - pour conséquence de confronter de plus en plus ce secteur à une logique managériale.
C'est la raison pour laquelle nous avons pu assister, en 2004, à une intégration croissante du secteur privé - que nous désapprouvons - au sein de nos armées, à différents niveaux.
Je rappelle pour mémoire, mes chers collègues, qu'à l'occasion de la discussion du projet de loi sur la professionnalisation des armées et la suspension du service militaire notre groupe vous avait mis en garde sur les conséquences de ce texte, notamment en matière de réduction des effectifs.
Je constate qu'aujourd'hui nous sommes en plein coeur du sujet !
Pour ce qui concerne l'architecture globale de nos armées, nous assistons désormais à une poussée du recours à des sous-traitances privées, alors même que le renouvellement des fonctionnaires a été largement réduit. On a ainsi pu parler du non-renouvellement d'un fonctionnaire sur deux.
Ainsi, madame la ministre, même si notre propos se concentre aujourd'hui essentiellement sur les militaires, il convient de ne pas oublier tous les emplois qui existent au sein des armés et d'engager - mais vous l'avez fait - une véritable réflexion sur le statut des personnels civils pour que ces derniers ne soient pas lésés dans l'exercice de leur travail.
En la matière, ce sont les Américains et les Britanniques qui font figure d'exemple dans la gestion des armées professionnelles. Ne suivons pas ces derniers sur le chemin de dérives gestionnaires excessives ! Nous savons tous combien le rôle des hommes est décisif, même avec du matériel moderne.
Le présent projet de loi, quant à lui, s'inscrit dans le sens d'une évolution positive de la perception des militaires et de leur place dans notre société. Ces derniers se prononcent eux-mêmes pour une politique de défense en faveur du maintien de la paix, et j'ai le sentiment que la politique française en Irak a été bien comprise.
C'est pour ces raisons que nous demandons, depuis de nombreuses années, une refonte du statut.
Ainsi, en 1996, alors que nous débattions de la professionnalisation des armées, mon collègue Jean-Luc Bécart avait, ici même, jugé plus opportun d'engager une réforme « pour la mettre à l'heure de cette fin de siècle et de l'évolution de notre société ».
Je ne peux donc que regretter que l'élan réformateur du statut présenté ce jour ne soit pas davantage novateur et ambitieux, comme le suggérait la commission Denoix de Saint Marc sur de nombreux points. Je le regrette d'autant plus que ces propositions étaient approuvées par de très nombreux militaires.
En réformant un statut vieux de plus de trente ans, nous avons vocation à inscrire le nouveau texte dans la durée. Or je constate que certaines des mesures qui nous sont proposées restent empreintes de timidité. Il ne faut pas qu'à peine votée la loi soit déjà dépassée !
C'est pourquoi, dans un objectif de durée et de mise en phase de l'armée avec ses hommes et ses femmes, nous proposerons un certain nombre d'amendements.
Bien évidemment, ce texte contient des avancées, et l'Assemblée nationale a également permis d'intégrer certaines mesures positives.
Ainsi, je ne peux qu'approuver le renforcement des garanties en matière de couverture juridique et sociale, comme, par exemple, l'institution du principe d'imputabilité au service des accidents pendant toute la période des opérations, la prise en compte de l'environnement familial, la suppression de la demande d'autorisation préalable du ministre pour les mariages avec des personnes de nationalité étrangère - disposition dont j'ignorais d'ailleurs, je l'avoue, l'existence tant elle paraît dépassée -, ou encore l'inscription dans le statut des droits de la défense en matière disciplinaire ou le rapprochement des droits et protections des personnels sous contrat avec ceux qui sont reconnus aux militaires de carrière.
Toutefois, le texte contient encore trop d'imperfections sur un certains nombre de points, notamment en ce qui concerne l'expression citoyenne des militaires, qu'il s'agisse, de leur participation civile et politique ou de la modernisation des instances de concertation.
J'ai, bien entendu, pris acte de la suppression de l'autorisation préalable du ministre pour que les militaires puissent s'exprimer sur des sujets politiques ou sur des questions internationales.
J'ai également pris acte de l'abrogation de l'interdiction de l'introduction de publications susceptibles de nuire au moral ou à la discipline dans les enceintes militaires.
J'ai, enfin, pris acte de la suppression de l'obligation pour les militaires de faire une déclaration avant d'adhérer à des associations non professionnelles et d'exercer des responsabilités au sein de ces dernières, tout comme de la suppression de la possibilité de leur démission forcée.
Il s'agit ici de mesures de bon sens, notamment parce qu'il est de notoriété publique que les militaires contournaient régulièrement ces restrictions.
Cependant, alors même qu'il est également de notoriété publique que des militaires militent au sein de formations politiques sous le couvert de l'anonymat ou de pseudonymes, je déplore que l'interdiction qui leur est faite d'adhérer à ces dernières demeure en l'état.
Ne pensez-vous pas, madame la ministre, qu'il serait préférable de les laisser agir en toute légalité et de leur faire confiance jusqu'au bout, de la même façon que vous faites confiance aux hauts fonctionnaires, qui sont soumis à une obligation de neutralité et au droit de réserve, d'autant que les militaires sont, eux, également soumis - cela va de soi - au secret défense ?
Qui plus est, n'est-il est pas paradoxal que les militaires aient la possibilité d'être candidats à une fonction élective et d'adhérer alors à un parti politique pendant la durée de la campagne et durant l'exercice de leur mandat ?
Que faut-il en déduire ? Les militaires seraient-ils des citoyens particuliers dont la conscience politique s'éveillerait un soir, les poussant à se porter candidat à une élection et à adhérer à un parti, et disparaîtrait purement et simplement un matin, une fois la campagne électorale ou le mandat achevés ?
Je m'interroge également fortement sur l'opportunité de maintenir une incompatibilité entre l'exercice du mandat électoral - qui sera surtout municipal - et l'activité de militaire. Dans ces conditions, quelles possibilités s'offrent à ces militaires à l'issue de la campagne électorale et de leur mandat ? Je m'inquiète des conditions de leur réintégration, s'ils en expriment le souhait : s'ils veulent continuer d'adhérer à un parti, il leur faudra inévitablement démissionner ou prendre une retraite anticipée. De telles solutions seront douloureuses et soulèveront de véritables cas de conscience chez des hommes et des femmes engagés à la fois civiquement et militairement.
Lors de votre audition par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, madame la ministre, vous avez indiqué que le droit d'adhérer à un parti politique ne correspondait pas à une attente forte de la communauté militaire. Pourtant, je sais, pour l'avoir entendu moi-même, que c'est là le voeu d'un grand nombre de ses membres.
Il est, à mon sens, primordial de laisser une liberté de choix aux militaires dans ce domaine. Or ce choix ne leur est pas laissé. Il faut se rendre à l'évidence, la neutralité imposée à tout militaire n'est pas incompatible avec l'adhésion à un parti politique, pas plus que ne le sont le loyalisme et la discipline.
L'expression et la participation civiques et politiques en France sont le fruit d'une longue histoire, d'avancées souvent décriées mais que personne aujourd'hui n'oserait remettre en cause. Nous avons aujourd'hui l'opportunité de faire encore un pas en avant, et nous vous proposerons des amendements en ce sens, tout comme nous le ferons en ce qui concerne le droit pour les militaires de se syndiquer.
Certains de nos pays voisins et alliés permettent à leurs militaires de se syndiquer. L'ordre dans ces armées n'en est pas pour autant troublé !
Ces observations sont d'autant plus nourries qu'elles se font au regard du dispositif de concertation tel qu'il est envisagé dans le présent texte. Vous avez voulu, madame la ministre, y apporter quelques ajustements, que nous approuvons, mais ceux-ci restent encore trop timides et en deçà des nécessités sur le terrain.
A ce jour, les critiques vis-à-vis des instances nationales se font au grand jour, à tel point que la commission nationale de révision du statut général des militaires a elle-même reconnu des dysfonctionnements, essentiellement dus à la faiblesse de la représentativité desdites instances, ce qui fait dire à cette commission que les attentes des militaires sont, dans ces conditions, bien peu prises en compte. Le fort mécontentement qui s'est exprimé à l'occasion de la manifestation des pompiers départementaux, auxquels se sont joints des gendarmes - qui sont aussi des militaires - démontre qu'aucun organisme de concertation ne l'avait senti, ce qui est bien dommage.
Parce que les organismes de concertation sont censés constituer une contrepartie à l'absence de droit syndical et d'organisation collective, le maintien du tirage au sort pour une partie de leur composition ne garantit pas, à mes yeux, leur crédibilité. Leur représentativité et leur autonomie ne sont donc pas réelles. Ce processus doit être totalement démocratique et dépendre, de ce fait, du seul système électif, et ces organismes devraient remettre chaque année un rapport au Président de la République et au Parlement.
D'autres points motiveront également certains des amendements du groupe communiste républicain et citoyen : je pense notamment aux restrictions relatives à la liberté de circulation et à la résidence des militaires, à la reconversion du personnel navigant, ou encore à la question des volontaires dans les collectivités d'outre-mer.
En ce qui concerne la position « en retraite », vous savez, madame la ministre, le mécontentement - pour ne pas dire l'indignation - qu'a soulevé sa disparition dans le statut, alors qu'il en était une partie intégrante jusqu'à présent. J'aurai l'occasion de revenir sur tous ces points lors de la discussion des articles.
Je dirai un mot également sur la rémunération au mérite. L'Assemblée nationale a supprimé, à juste titre à mon sens, cette possibilité et je regrette que notre commission ait voté un amendement visant à la réintégrer dans le projet de loi. Mais vous émettrez certainement, madame la ministre, un avis défavorable sur cet amendement !
Le groupe communiste républicain et citoyen ne peut s'associer à un tel retour en arrière. Nous nous sommes déjà opposés à cette idée s'agissant de la fonction publique, nous ne pouvons l'accepter s'agissant des militaires.
Enfin, il est dommage que le Gouvernement n'ait pas retenu les recommandations du rapport Denoix de Saint Marc en matière de congé d'éducation, car celui-ci aurait alors permis de concilier, en termes statutaires, disponibilité et aménagement du temps d'activité des militaires. Mais vous aurez la possibilité, mes chers collègues, de combler ce vide en adoptant nos amendements.
Pourtant, la féminisation des armées pose le problème de ce congé avec acuité. J'ai discuté avec des femmes qui s'inquiètent de l'absence de cette mesure dans le projet de loi. A mon sens, les dispositifs relevant actuellement de textes réglementaires sont insuffisants. Il faut donc conforter de façon législative les femmes - mais également les hommes - qui désirent prendre un tel congé, à l'image de ce qui existe dans le civil. Si cette mesure n'était pas adoptée, des femmes pourraient décider de ne pas s'engager et d'autres envisager de démissionner.
En définitive, être militaire au xxie siècle doit comporter des avancées évidentes en matière sociale, juridique, disciplinaire et civique. Mais surtout, madame la ministre, il est primordial d'engager un rapprochement étroit des droits et acquis des militaires avec ceux de l'ensemble des personnels de la fonction publique.
Eu égard à la spécificité même de la condition de militaire, qui, par certains aspects, reste dérogatoire par rapport aux droits de tout citoyen, nous estimons que ces dérogations doivent être réduites au maximum afin de garantir le lien indéfectible entre la nation et ses armées.
Cet alignement sur la fonction publique est une revendication majeure de nos militaires et constitue un préalable essentiel au devenir de notre armée, devenue professionnelle, le tout dans une pure logique d'équité.