Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la réforme du statut général des militaires était devenue plus que nécessaire afin de moderniser des dispositions aujourd'hui vieilles de trente-deux ans. Le statut des militaires de 1972 ne pouvait être maintenu en l'état, à l'heure où la disponibilité et l'emploi des forces armées subissent une mutation profonde.
La nouvelle donne géostratégique a totalement infléchi le rôle et l'action de nos armées. Plus rapides, plus réactives, plus flexibles, mais aussi plus techniques, celles-ci doivent faire face à des conflits plus localisés ou à des menaces asymétriques et plus complexes.
Parallèlement, la fin de la conscription, actée par la loi du 28 octobre 1997, a entraîné la professionnalisation des armées. Les effectifs sont désormais plus féminisés. Les personnels civils sont également plus nombreux. Le format et la doctrine d'emploi des forces se sont modifiés, avec le développement du concept de projection intérieure ou extérieure et la multiplication des OPEX. Enfin, l'opérationnalité permanente de la réserve rend celle-ci de plus en plus active. Un nouveau lien entre la nation et les armées est en train de se constituer.
La professionnalisation des armées induit une véritable adhésion des militaires, qui sont désormais recrutés sur la base du volontariat.
Les besoins en personnels sont croissants. Il est donc important de renforcer l'attractivité des métiers de l'armée, en supprimant certaines contraintes qui apparaissent obsolètes dans le contexte sociétal du xxie siècle. En d'autres termes, l'armée est presque devenue un débouché professionnel comme un autre. Elle doit séduire pour attirer les éléments les plus compétents et les plus motivés et les fidéliser.
Au vu de ces constats, il était naturel de s'interroger sur la redéfinition des droits et sujétions des personnels militaires, car le statut dont nous discutons ce soir restera en vigueur durant les vingt ou trente prochaines années et ne doit pas appeler de révisions trop fréquentes.
La commission de révision du statut général des militaires, présidée par M. Renaud Denoix de Saint Marc, a recueilli l'avis de l'ensemble des instances de concertation et de représentation, et notamment celui des conseils de la fonction militaire propres à chaque armée ou du service du Conseil supérieur de la fonction militaire. Ses conclusions ont permis de bâtir l'architecture du projet de loi dont nous sommes aujourd'hui saisis.
Ce texte, qui a recueilli un large accord à l'Assemblée nationale, opère des avancées importantes.
Le statut de 1972 reconnaissait déjà que le militaire devait jouir de l'ensemble des droits et libertés reconnus aux citoyens, les limitations à ce principe n'étant qu'inhérentes à l'état militaire.
Le projet de loi franchit une nouvelle étape en supprimant des dispositions particulièrement anachroniques et inadaptées en matière de droits civils et politiques, comme l'autorisation préalable en matière de droit d'expression ou en cas de mariage avec un conjoint étranger, ou encore l'obligation de déclaration de prise de responsabilité dans une association.
Par ailleurs, ce texte renforce le régime de protection juridique en s'adaptant aux nouvelles contraintes et aux risques encourus par les militaires dans l'exercice de leurs fonctions.
L'emploi croissant des forces armées en OPEX appelle ainsi une meilleure prise en charge juridique par l'Etat des risques inhérents à la fonction militaire.
Sur l'initiative de Jean-Claude Viollet, nos collègues de l'Assemblée nationale ont introduit une référence au droit international en ce qui concerne l'emploi de mesures légitimes de coercition ou l'usage de la force armée.
Les associations de retraités, plus particulièrement la Fédération nationale des officiers mariniers, quartiers-maîtres en retraite, se sont inquiétées de constater qu'à l'article 45 du projet de loi la position statutaire « en retraite » n'ait pas été retenue. Pouvez-vous me confirmer, madame la ministre, que le principe du bénéfice des soins et de l'action sociale des services de santé des armées ainsi que le droit à représentation au sein du CSFM resteront acquis pour les retraités ?
Enfin, je prends acte avec satisfaction de la modification apportée par l'Assemblée nationale visant à faire passer de trente à soixante jours le délai durant lequel les militaires ayant participé à une OPEX peuvent bénéficier d'un dépistage médical spécifique ainsi que d'un entretien psychologique adapté.
La citoyenneté dans les armées appelle aussi une amélioration de la concertation et du dialogue social en leur sein. Le texte comporte quelques avancées, encore trop timides, sur ce point.
L'indispensable neutralité des armées ne doit pas faire des militaires des citoyens de seconde zone. Le chemin fut historiquement long pour que le droit de vote leur soit enfin accordé par l'ordonnance du 17 août 1945, soit soixante-treize ans après qu'on les en eût privés.
Les aspirations des militaires à une citoyenneté mieux prise en compte sont légitimes. Il est normal qu'ils souhaitent, plus que par le passé, participer aux décisions qui les concernent, sans aller jusqu'à permettre d'aligner totalement leurs droits sur ceux de l'ensemble des fonctionnaires civils.
Le métier de soldat implique un lien particulier avec la nation, lequel se manifeste par un devoir de loyauté et de sacrifice rappelé par l'article 1er du texte. En contrepartie, la nation tout entière doit respect et considération aux armées.
Il ne nous semble pas opportun de donner aux personnels militaires le droit d'appartenir à un parti politique. La neutralité absolue est le gage de l'efficacité. L'armée est au service de toute la nation. Elle est le service public fondamental par essence. La nature particulière de cette mission est intrinsèquement incompatible avec l'idée d'une manifestation visible du désaccord des soldats avec la décision des politiques. Les convictions privées doivent céder le pas à l'intérêt général.
La soumission des armées au pouvoir temporel fut l'une des avancées majeures de la République. Aujourd'hui rappelée par l'article 15 de la Constitution, qui fait du Président de la République le chef des armées, cette même soumission appelle le maintien d'une conception particulière du droit d'expression des militaires, c'est-à-dire sa limitation lorsqu'il se heurte à la défense des intérêts supérieurs de la République.
L'évolution de notre société doit néanmoins conduire à s'interroger sur l'adoption de dispositions assurant de manière adaptée la réalité de la citoyenneté des militaires.
Cette réflexion n'a pas encore été pleinement menée. Mais une avancée dans ce domaine est souhaitable. Peut-être appartiendra-t-il au futur Haut comité d'évaluation de la condition militaire de la conduire à son terme, en tenant compte des spécificités de l'état de militaire. Il devra plus particulièrement se pencher sur la représentation des personnels et sur le développement tant du dialogue social que de la concertation.
L'esprit et la lettre de ce projet de loi ont réuni une large approbation, aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au sein de la commission des affaires étrangères. Je ne doute pas que nos débats viendront encore enrichir ce texte, par-delà toute préférence partisane. Pour sa part, le groupe du RDSE lui apportera son soutien. §