Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le statut général des militaires, que nous abordons aujourd'hui, soulève des interrogations sur l'état militaire actuel.
En effet, le militaire qui sert en unité opérationnelle éprouve-t-il les mêmes besoins que le personnel qui se trouve en unité de soutien ou à l'état-major ? Les militaires sous contrat ont-ils les mêmes perspectives professionnelles que les militaires de carrière ? Comment vit-on dans les armées la « révolution culturelle » entraînée par la professionnalisation ? Qu'est-ce que la spécificité militaire aujourd'hui ? Quelle place faire aux femmes, de plus en plus nombreuses, dans la vie quotidienne des formations mais aussi dans la hiérarchie ? Les militaires modernes souhaitent-ils être des citoyens à part entière ?
Je sais que, pendant la période de consultations internes au sein des conseils de la fonction militaire, ces questions ont été abordées.
Je sais aussi que, depuis plusieurs années, existe un certain mal-être des militaires français, qui s'est traduit de façon spectaculaire par des actions collectives contraires aux règles et aux traditions de ce corps.
Nous devons nous interroger : s'agit-il de transgressions dues à de simples revendications sociales, ou sommes-nous confrontés à un malaise global, dont les causes sont profondes ? Le débat sur le statut militaire devrait apporter un début de réponse.
La réforme du statut général des militaires est devenue nécessaire pour prendre en compte la professionnalisation, les évolutions de la société et les modifications du contexte d'emploi des forces.
Il est évident que le statut général des militaires doit être modifié à la lumière de trois évolutions majeures, à savoir l'évolution de la profession, du métier militaire, les nouvelles exigences de l'exercice du métier militaire, telles que la projection, les OPEX, notamment, et le cadre européen. Or il semble que ce dernier ait été mis de côté, négligé, oublié.
Le statut des militaires définit des droits et des devoirs. A côté des droits qu'il institue, se trouvent les obligations et sujétions liées au métier des armes, au premier rang desquelles figurent l'obéissance et la disponibilité.
Je considère qu'il est temps de modifier l'idée selon laquelle l'armée serait composée de militaires qui ne seraient que des citoyens amoindris.
La reconnaissance que les militaires méritent de la nation passe aussi par l'extension de leurs droits civils et politiques. Je pense que l'armée doit évoluer au rythme de l'ensemble de la société. La professionnalisation doit lui permettre de trouver un nouvel équilibre, en s'ouvrant davantage sur le monde et en donnant aux soldats qui la composent plus de liberté dans la responsabilité. De surcroît, dans la perspective d'une défense européenne, de nouvelles perspectives s'ouvrent à nos militaires.
Permettez-moi en cet instant de faire un petit rappel historique.
Comme nous le savons tous dans cette enceinte, la loi du 13 juillet 1972 est la dernière loi portant statut général des militaires. Or, en plus de trente ans, ont pu être constatées bon nombre d'évolutions, tant de la société française que du contexte international dans lequel nous évoluons. Les lois de 1996 sur la professionnalisation des armées, la loi du 28 octobre 1997 portant réforme du service national sont autant de textes modifiant le lien existant entre l'armée et la nation, sans toutefois porter d'adaptation au statut général des militaires.
Toutes ces évolutions ont créé de nouveaux enjeux pour l'armée, du point de vue tant du recrutement que de la fidélisation du personnel militaire.
Modifier l'ensemble des règles régissant le statut des personnels militaires suppose de prendre en compte les évolutions de la société tout en préservant les caractéristiques essentielles de l'état de militaire.
Or, pour bien saisir ce qui a été constitutif de notre armée, il me semble bon de se replacer dans une perspective historique du régime juridique des militaires.
Ce sont cinquante-trois textes de natures diverses que la loi de 1972 a abrogés. Il s'agissait certes d'une abrogation juridique, mais les principes qui sous-tendaient ces nombreux textes n'en continuent pas moins d'irriguer la philosophie du régime juridique des militaires. Les ignorer dans la présente réflexion serait dommageable.
Evoquons la situation de la Révolution au Second Empire.
Transformer les militaires en citoyens de droit commun, favoriser l'exercice de leurs droits, notamment le droit de vote et l'éligibilité, considérés comme une juste récompense pour ceux qui risquent leur vie pour la patrie, étaient de véritables volontés affichées après 1789. Cette philosophie nouvelle ne s'applique toutefois pas dans les faits, et les militaires n'ont pas l'occasion de mettre en oeuvre leurs droits nouveaux.
Le Directoire restreint, de manière informelle, l'exercice des activités politiques des militaires, en instituant notamment des incompatibilités géographiques entre le lieu du service armé et le lieu où le militaire vote.
La Monarchie constitutionnelle apporte peu d'évolutions dans les règles particulières aux militaires pour ce qui concerne l'exercice de leurs droits politiques ; leur participation à la vie politique du pays se trouve réduite au strict minimum alors que se développe une morale militaire reposant sur quelques principes fondamentaux tels que le culte du règlement, de la discipline et, corollaire, l'obéissance passive à la hiérarchie.
Tout cela nous apparaît aujourd'hui comme un carcan extraordinaire pour le militaire en tant qu'individu.
Puis, l'année 1848 marque un tournant décisif pour la place des armées au sein de la nation : elle réprime les mouvements révolutionnaires et cristallise contre elle les rancoeurs et les haines de ceux qui aspirent à un bouleversement de l'ordre établi. Mais, par décret du 5 mars 1848, les militaires se voient reconnaître un droit de vote sans restriction, dans le cadre du nouveau suffrage universel. La loi électorale organise le droit de vote au sein des troupes. Reconnus éligibles, les militaires sont privés de leur solde s'ils sont élus, mais les officiers peuvent continuer à bénéficier de l'avancement à l'ancienneté pendant l'exercice de leur mandat.
Rapidement, toutefois, le Second Empire renvoie les militaires à leur rôle d'exécutants.
Les militaires n'ont exercé leurs droits que pendant la brève durée de la IIe République.
Cette réserve à considérer et à permettre au militaire d'être un citoyen comme les autres n'est pourtant pas issue d'une corrélation quelconque entre l'exercice de leurs droits par les militaires et leur propension à influer directement sur le cours des institutions.
Après 1870, le retour à l'obéissance passive des armées et la neutralité stricte du personnel de carrière prévalent, des mesures sont adoptées pour briser une trop grande autonomie de l'armée. Mais un paradoxe apparaît entre cette situation très contrainte des militaires et le véritable culte dont l'armée fait l'objet comme moyen de « revanche » contre l'Allemagne.
Par ailleurs, il me semble important de préciser qu'à partir de 1907 les officiers eux-mêmes mènent des actions de revendication, révélatrices de l'intérêt porté par les militaires à la vie publique. J'en veux pour preuve la proposition de loi de 1910.
II faut attendre l'ordonnance du 17 août 1945, la Libération et la volonté de construire une démocratie sociale, pour que soit restitué aux militaires le droit de vote, dans des conditions identiques à celles de tous les citoyens et avec des conditions d'éligibilité reprenant les arguments développés au début du siècle.
Toutefois, ne leur sont pas pour autant reconnus les mêmes droits d'expression et d'activité politique qu'aux autres citoyens, situation qui perdure encore à ce jour.
J'en viens maintenant aux conséquences de la professionnalisation.
La défense du pays, la défense de l'Europe, exigent une relation de confiance entre la société civile et les forces armées. Pour commencer, une meilleure connaissance mutuelle est nécessaire.
Le débat sur le statut général des militaires doit aussi être l'occasion de s'interroger sur ce qui fonde le métier de soldat à notre époque. La professionnalisation de notre armée induit certainement des changements forts, y compris dans la nature même du métier de soldat.
D'abord, nous devons constater que, aussi loin que nous portons notre regard prospectif, l'humanité étant ce qu'elle est, l'existence du fait militaire semble inéluctable. Pour autant, pourrions-nous aujourd'hui dire ce qu'Alfred de Vigny écrivait en 1835 : « L'existence du soldat est, après la peine de mort, la trace la plus douloureuse de barbarie qui subsiste parmi les hommes » ?
L'institution militaire a beaucoup changé ces derniers temps et nous sommes à l'aube d'une mutation encore plus grande, à savoir l'européanisation de nos forces armées.
De profonds bouleversements sont intervenus en 1996 avec la professionnalisation décidée par le chef de l'Etat. Cette décision, qui n'avait pas été précédée de beaucoup de concertation, était entachée d'un manque certain de préparation. Le coût du processus avait notamment été mal évalué - il avait même été sous-évalué - et ses conséquences sur la structure et sur la culture de l'institution avaient été quelque peu négligées. Comme disait l'autre, « l'intendance suivra » !
C'est ainsi que le gouvernement de Lionel Jospin a dû mener à bien, en y apportant les moyens nécessaires et une volonté de succès incontestable, une entreprise gigantesque, qui a été menée dans des conditions délicates et réalisée dans les délais prévus.
Ceux ou celles qui se plaisent, à répétition, à invoquer aujourd'hui la « réussite de la professionnalisation » ont tendance à l'oublier. C'est aussi cela, l'héritage ! Dans ce processus, il convient de saluer comme il se doit les efforts réalisés par les militaires.
Intéressons-nous maintenant au cadre européen.
Cette professionnalisation, avec la suspension du service national, a fortement modifié la situation de l'institution, sa place dans la nation, et a aussi transformé l'exercice du métier de soldat.
La réforme du statut des militaires est une réponse nécessaire à de telles évolutions.
Toutefois, il y a un point qui demande qu'on s'y attarde et qui concerne aussi l'avenir de l'institution et des personnels, un avenir très proche et qu'il convient de préparer dès maintenant : il s'agit de la construction de l'Europe de la défense, au sein de laquelle notre armée a et aura un rôle prééminent.
Par l'intégration des forces, par la création des unités communes et, qui sait, à plus ou moins long terme, par la naissance d'une armée européenne, nos forces armées auront à connaître des transformations majeures et continuelles. Nous avons l'objectif de constituer des forces communes, ce qui incitera à l'harmonisation des astreintes, des droits et des devoirs des militaires des différentes armées européennes agissant en commun.
Un comparatif au plan européen s'impose toutefois pour éclairer ce point de notre débat. Nos ambitions européennes en matière de défense nous incitent également à mener un comparatif des différentes règles qui prévalent pour les personnels militaires de nos voisins et partenaires européens.
L'examen des règles en vigueur dans quelques pays européens - Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni - fait apparaître deux axes de réflexion.
Si les droits d'expression et de réunion des personnels militaires, ainsi que leurs droits politiques, sont similaires dans tous les pays étudiés, l'expression collective de leurs intérêts professionnels s'exerce selon des modalités très différentes.
Tout d'abord, les droits d'expression et de réunion des militaires, ainsi que leurs droits politiques, sont similaires dans tous les pays étudiés : que ce soit en Allemagne, en Belgique, en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas, au Portugal ou au Royaume-Uni, les personnels militaires jouissent, comme n'importe quel citoyen, des droits d'expression et de réunion avec, certes, l'obligation de tenir compte de leur condition de militaire pour les exercer. Le devoir de réserve et le respect de l'image de l'armée s'imposent à eux. Toute activité politique leur est interdite pendant leur service. Toutefois, ils sont tout à fait libres de participer à des réunions dès lors qu'ils sont habillés en civil.
C'est pour la même raison qu'en Allemagne, en Espagne, en Italie, et au Portugal, les militaires qui souhaitent se présenter à une élection politique sont placés, dès le début de la campagne électorale, dans une position statutaire particulière. Cela leur permet alors de ne plus être soumis aux droits et obligations qui leur sont spécifiques. En fin de mandat, ils réintègrent le service actif.
II est par ailleurs à signaler qu'aux Pays-Bas le placement dans une position de non-activité n'a lieu qu'après l'élection.
L'expression collective des intérêts professionnels des personnels militaires s'exerce, quant à elle, selon des modalités différentes.
En Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, les personnels militaires peuvent se syndiquer. Exception faite de la Grande-Bretagne, où il n'existe pas de syndicat militaire et où les personnels militaires peuvent ainsi adhérer à des syndicats civils, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, ils peuvent adhérer librement à n'importe quel syndicat, qu'il s'agisse d'une organisation strictement professionnelle ou d'une organisation affiliée à une centrale civile.
J'ose imaginer que la prochaine réforme du statut général des militaires confrontera les législateurs de demain à un contexte européen transformé et à des contraintes qui ne seront plus strictement nationales. Précisément, s'il y a un reproche d'ordre général à faire au texte qui nous est soumis aujourd'hui, c'est qu'il semble faire peu de cas du contexte européen dans lequel baigne d'ores et déjà l'armée française.
II en va ainsi des droits civils et politiques accordés aux militaires : nos soldats sont en contact permanent avec des militaires des pays européens qui connaissent des situations statutaires fort différentes de la leur. Nous souhaitons renforcer la formation et l'entraînement commun des militaires de différentes armées européennes ; nous allons donc développer les contacts, et même l'imbrication de nos forces armées ; nous aurons donc à réviser le statut des soldats à l'aune de l'Europe.
J'en arrive maintenant au texte du projet de loi proprement dit.
Le texte du Gouvernement, revu par l'Assemblée nationale, propose la suppression de certaines dispositions qu'il serait aujourd'hui difficile de justifier. Il s'agit notamment, vous l'avez dit, madame la ministre, de la demande d'autorisation de mariage lorsque le futur conjoint est un ressortissant étranger, de l'obligation de déclarer l'activité professionnelle de son conjoint à l'autorité militaire, de l'obligation de rendre compte des responsabilités exercées dans une association à caractère non professionnel. La liberté d'exercice des cultes, dans la limite des contraintes imposées par le service, a été confirmée.
Concernant la presse, le texte supprime la possibilité d'interdire l'introduction dans les enceintes militaires de certaines publications « pouvant nuire à la discipline ou au moral ». En matière de liberté d'expression, le texte aligne les militaires sur le droit commun de la fonction publique. L'autorisation préalable pour évoquer publiquement des questions militaires non couvertes par le secret est supprimée. Bien entendu, les militaires sont toujours soumis au devoir de réserve et de discrétion professionnelle.
Mais l'élan réformateur s'arrête là, puisque le projet de loi maintient les principales restrictions actuelles à l'exercice des droits civils et politiques : interdiction d'adhérer à un parti politique, sauf en cas de candidature à une élection ; mise en détachement d'office en cas de mandat électif ; interdiction des groupements professionnels militaires à caractère syndical.
Sur les droits politiques comme sur la question des groupements professionnels ou syndicaux la commission n'a pas souhaité modifier le texte du Gouvernement. Je le regrette ! Le maintien de l'interdiction d'adhérer à un parti politique et l'interdiction des groupements professionnels sont, à mon avis, des mesures incompatibles avec les perspectives, nationales et européennes, ouvertes à nos militaires professionnels.
Nous contestons le bien-fondé du maintien de l'incompatibilité entre l'exercice d'un mandat électoral et la situation d'activité, y compris pour des mandats municipaux dans de petites communes, les fonctionnaires civils n'étant pas soumis aux mêmes contraintes alors qu'ils peuvent se trouver dans des situations comparables vis-à-vis des obligations de disponibilité ou de mobilité.
Le rapporteur l'a signalé, c'est dans le domaine des protections et garanties accordées aux militaires que le projet de loi apporte des mesures très attendues. En effet, il introduit dans le statut la notion d'opérations extérieures et apporte des améliorations concrètes pour des situations qui n'étaient pas correctement prises en compte dans le droit actuel, en particulier, s'agissant de la protection pénale dont pourraient bénéficier les militaires en opérations, dans le strict respect du droit international.
Le texte définit aussi le régime de responsabilité pénale applicable en cas d'usage de la force sur le territoire national pour la protection des zones de défense hautement sensibles.
Par ailleurs, le texte améliore la prise en charge des blessures survenues en opérations. Ces blessures seront réputées imputables au service dès lors qu'elles seront intervenues entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris pendant les actes de la vie courante ou lors des escales des bâtiments.
Cette extension de la protection sociale du militaire en opérations était nécessaire. Toutefois, j'ai souhaité, lors du débat en commission, que l'article 96 du projet de loi soit amendé pour faciliter la reconnaissance du statut de grands mutilés de guerre aux militaires gravement blessés en opérations extérieures.
Les articles relatifs au déroulement et à la gestion des carrières militaires reprennent beaucoup de dispositions de l'actuel statut. Il s'agit en réalité d'un nécessaire toilettage de la législation existante.
En ce qui concerne la refonte du régime des sanctions disciplinaires et le droit de défense, on observe une volonté manifeste d'opérer un rapprochement avec la fonction publique civile.
L'alignement de la situation des personnels sous contrat sur celle des personnels de carrière est une constante du projet de loi ; il en va ainsi pour les rémunérations, l'accès à certaines positions comme le détachement ou l'intégration dans la fonction publique, ou les possibilités de reconversion.
Par ailleurs, les militaires ayant servi sous contrat et involontairement privés d'emploi ont droit à un revenu de remplacement sous forme d'allocations de chômage.
Les autres mesures nouvelles contenues dans le projet de loi concernant les militaires commissionnés, les volontaires, la reconversion des militaires, l'aménagement des limites d'âge et la fin annoncée du « conditionnalat » ont déjà été très bien abordées par le rapporteur. Je ne m'y attarderai donc pas.
Toutefois, un point important mérite un sort particulier : il s'agit de la concertation interne. A ce sujet, le projet de loi reste dans l'esprit qui est celui du statut de 1972 ; il rappelle que, dans les armées, c'est au chef, à tous les échelons, de veiller aux intérêts de ses subordonnés et de rendre compte, par la voie hiérarchique, de tout problème venant à sa connaissance.
Je me demande si ce système fonctionne toujours et s'il est vraiment adapté aux circonstances et au contexte dans lequel s'insère dorénavant l'armée professionnelle. Je pense que les mouvements - récents, en 2001, et passés, en 1989 - des gendarmes ont apporté une réponse négative à cette question.
Les instances de concertation actuelles, à savoir les conseils de la fonction militaire propres à chaque armée ou service et le Conseil supérieur de la fonction militaire, sont-elles suffisantes, sous leur forme actuelle, pour veiller aux intérêts des militaires ?
Les instances représentatives des personnels militaires, telles qu'elles sont maintenues par le projet de loi, restent cantonnées à une fonction strictement consultative et ne peuvent servir de cadre à une véritable concertation. Le recours au tirage au sort pour la désignation des membres des conseils de fonction militaire d'armée est une méthode peu démocratique et pour le moins désuète.
Certes, le nouveau statut tend à apporter aux représentants des personnels des garanties indispensables à leur liberté d'expression, ainsi que les facilités nécessaires à l'exercice de leurs fonctions. Mais ce type d'institution est-il aujourd'hui la réponse appropriée aux nouvelles exigences des personnels militaires ? Je pense, en tout cas, qu'il faut démocratiser ces institutions et poursuivre le travail commencé par le gouvernement précédent, en 2001. En particulier, je voudrais rappeler que la réforme des instances de concertation, engagée en 1999 par Alain Richard, mérite d'être poursuivie.
Concrètement, le moment est sans doute venu de généraliser, niveau par niveau, le principe d'élection : j'ai déposé, avec mes collègues du groupe socialiste, un amendement dans ce sens.
J'évoquerai enfin la notion de soldat citoyen.
La citoyenneté du militaire est une notion qui a évolué au cours du temps. Les soldats français, en ce début du XXIe siècle, aspirent à avoir des droits proches de ceux qui ne portent pas l'uniforme.
Je suis favorable à l'extension franche et nette du droit d'expression des militaires, à condition, bien sûr - mais les militaires sont des gens responsables -, que le devoir de réserve et de neutralité soit strictement respecté et que tout propos sur des questions touchant aux missions opérationnelles soit exclu.
La citoyenneté des militaires est aujourd'hui incomplète, car les syndicats leur sont interdits ainsi que l'adhésion à un parti politique. De même, il faudra se pencher sur les solutions techniques et juridiques adaptées afin de permettre l'accès des militaires aux fonctions électives locales.
Nous avons le souci, qui était déjà celui de Jean Jaurès, de ne pas avoir une armée repliée sur elle-même, sourde et imperméable à la société et à la nation. Nous souhaitons supprimer les instances inutiles qui peuvent incarner une séparation entre l'armée et la société civile. Ce fut le cas hier des tribunaux militaires, c'est le cas aujourd'hui du statut de « citoyen amoindri » accordé aux militaires, auxquels on refuse l'exercice plein et entier des droits civils et politiques. Parlant des officiers, Jean Jaurès disait : « il importe qu'ils soient recrutés le plus largement possible, dans tous les milieux sociaux ». On voit bien là le souci d'une volonté de ne pas mettre l'institution militaire en marge de la société. Nous nous inscrivons dans cette lignée.
La commission Denoix de Saint Marc avait souhaité maintenir la restriction relative à l'adhésion à des partis politiques ou à des groupements professionnels, au nom de la neutralité des armées. Le Gouvernement l'a suivie sur cette voie. Or nous devons constater - nous le savons tous - que ce principe est d'ores et déjà largement contourné. En réalité, le respect de cette interdiction est difficile, voire impossible dans la pratique. Nous connaissons tous des cas concrets : faut-il rappeler le précédent des quarante-cinq officiers généraux tancés vertement par François Mitterrand pour avoir appelé à voter contre lui ?
On nous dit que le problème qui pourrait se poser résiderait dans la publicité que les partis politiques pourraient faire de la présence de militaires dans leurs rangs. Curieuse conception qui fait porter au non-coupable le poids d'une interdiction, d'une punition ! Suivant ce raisonnement, la neutralité des armées risquerait d'en pâtir à cause de l'action des partis politiques, et c'est le militaire que l'on contraint au silence. Là, il y a vraiment quelque chose qui ne fonctionne pas !
Lors d'un colloque, en juillet 1995, au Collège interarmées de défense, le contrôleur général des armées Hoffmann disait que « le silence des armées conduit à leur mise à l'écart de la vie nationale ». Or nous souhaitons exactement le contraire : nous souhaitons une armée et des militaires faisant corps et âme avec la nation, avec leur société.
La limitation de la liberté d'expression civile et politique est ressentie par les militaires comme un manque de confiance. Nous pensons qu'il faut - c'est valable pour tous les fonctionnaires - faire respecter le devoir de réserve, mais aussi lui adjoindre un droit d'expression. C'est le sens de nos amendements.
La problématique du statut et de son avenir a donné lieu à des échanges très intéressants dans des revues officielles ou officieuses, dans des colloques, parfois avec la participation d'officiers généraux, parfois en leur absence : les autorisations ne sont pas toujours faciles à obtenir !
Dans ces lieux, des critiques policées furent entendues. Il y a eu aussi beaucoup d'échanges ces jours derniers sur des sites et des forums Internet. Des militaires, s'exprimant sous couvert d'anonymat, ont eu la dent dure à l'égard du projet du Gouvernement. On peut choisir de les faire taire ou, au contraire, écouter ce qu'ils ont à dire. Les faire taire ne servirait sans doute à rien puisqu'ils auront toujours des technologies performantes à leur disposition et que la clandestinité n'enlèvera rien à leur volonté d'exprimer leurs revendications. Et puis, qu'on se rassure : la République n'est pas en danger.
En particulier, nous savons que la coexistence de deux modes de désignation des instances de concertation, élection pour les instances locales et tirage au sort parmi des volontaires pour les instances nationales, suscite des interrogations - c'est un euphémisme - sur la représentativité de ces instances et sur leur légitimité, d'après Armées d'aujourd'hui de février 2004.
Les militaires acceptent en toute conscience les servitudes liées à leur métier. Cependant, ils sont nombreux à penser que ces servitudes ne doivent pas signifier une indifférence aux problèmes auxquels ils sont confrontés. La recherche des voies détournées pour s'exprimer ne peut pas être la bonne solution !
En conclusion, je vous le dis, madame la ministre, ce que vous refusez aujourd'hui en termes de libertés et de droit d'association, vos successeurs, demain ou après-demain, seront obligés de l'accorder.