Comment parvenir à un MWh entre 20 et 30 euros, au moins pour les quelque 35 sociétés françaises qui consomment le plus d'électricité - et qui représentent 20 % de la consommation manufacturière totale ? Nous travaillons à y répondre, en lien avec l'Ademe. Energy Pool est un opérateur en modulation d'électricité (Demand Response), nous agrégeons des gros consommateurs - en France, mais aussi en Grande-Bretagne et jusqu'au Japon - pour valoriser leur capacité à moduler leur consommation à des heures critiques pour le réseau électrique grâce à nos centrales de modulation.
En quelques mots, j'écarterai d'abord le thème de la régulation « micro » : la France y parvient déjà, nous sommes même le pays qui parvient le mieux à équilibrer l'offre et la demande d'électricité à cette échelle. L'enjeu se situe plutôt à l'échelle « macro », c'est là que se situent nos déséquilibres, ils tiennent à quelques caractéristiques de notre production électrique. La comparaison internationale, telle qu'elle apparaît dans les données publiques, consultables en particulier auprès de RTE, montre ces caractéristiques françaises : une place importante du nucléaire dans le mix électrique, et symétriquement faible pour le thermique ; un taux d'émission de CO2 particulièrement faible, dix fois moindre qu'en Allemagne ; un coût total élevé - 60 euros le MWh en prenant pour référence un parc nucléaire renouvelé, contre 45 euros aux États-Unis, et 10 euros en Arabie Saoudite - mais plus faible, par exemple, qu'en Allemagne - où il dépasse 80 euros ; des coûts fixes très élevés, car nos installations ne tournent globalement qu'à la moitié de leurs capacités, d'où un taux de rendement synthétique (TRS) particulièrement faible : ce dernier trait est décisif, il explique que nos coûts variables soient plus faibles, mais aussi que plus la consommation d'électricité augmente, plus son coût baisse et qu'inversement, une baisse de la consommation fait augmenter le coût. Enfin, autre caractéristique majeure, notre consommation varie très fortement selon les saisons : schématiquement, elle est moindre que notre production pendant sept ou huit mois de l'année, de mai à novembre, pendant lesquels nous exportons quelque 50 TWh, soit le dixième de notre production annuelle ; elle est d'un coup plus élevée que notre production pendant les quatre ou cinq autres mois, de décembre à avril, pendant lesquels nous mobilisons notre appareil à plein et où nous devons également importer.
Sur ces bases, nous avons élaboré trois scénarios pour 2018, l'un en prolongeant la structure de 2013 et les deux autres qui peuvent être ainsi présentés :
Dans le premier, qui suppose 20 milliards d'investissements, avec des énergies renouvelables à 20 % du mix, du nucléaire en légère augmentation, une consommation à 522 TWh, nos émissions de CO2 diminuent mais nous conservons et nous accentuons même le décalage actuel entre la période surcapacitaire et le déficit hivernal ; on évalue le surplus à 29 TWh, ce qui coïncide avec les besoins des électro-intensifs - et nous proposons de les leur allouer au prix de 11 euros le MWh.
Dans le second, avec 50 % de nucléaire et 34 % d'énergies renouvelables dans le mix électrique, l'excédent disparaît et le déficit hivernal devient beaucoup plus fort, jusqu'à 40 GWh. Résultat, nos émissions de CO2 augmentent de 41 millions de tonnes et nous devons investir quelque 70 milliards d'euros pour 20 GWh de thermique : c'est exactement le scénario allemand.
Notre objectif, c'est de maintenir un niveau faible d'émissions de CO2, tout en évitant une augmentation des prix. Il faut ajouter que l'exportation de nos excédents à nos voisins va devenir de plus en plus difficile, car ils sont eux-mêmes engagés dans des politiques de modulation et qu'ils auront davantage d'excédents. Pourra-t-on stocker notre électricité surcapacitaire et celle produite par les énergies renouvelables ? Je crois qu'on se raconte beaucoup d'histoires sur ce chapitre, en particulier sur l'hydrogène, qui fait intervenir des opérations complexes - pour un coût final qui dépasse toujours les 200 euros le MWh, quand ce n'est pas 500 euros pour les procédés les plus élaborés... Le stockage est certainement un enjeu de recherche, en particulier dans des secteurs comme la mobilité, mais il est clair qu'à l'échelle d'une quinzaine d'années, nous ne serons pas prêts pour stocker les masses d'énergies propres à réguler notre système électrique.
Dans ces conditions, on voit aussi que la diminution du nucléaire obligerait à investir très massivement dans les énergies renouvelables, pour une électricité plus chère, nécessairement adossée à des moyens thermiques coûteux, ce dont notre bilan carbone pâtirait, de même que les industries implantées sur notre territoire.
A l'aune de ces données et de ces scénarios, nous proposons d'allouer un « bandeau » d'environ 6 GW aux industries électro-intensives pendant la période sur-capacitaire, au lieu d'exporter cette énergie, en échange d'une plus forte modulation de la consommation de ces industries pendant la période déficitaire. Cette mesure, ajoutée à celles qui existent déjà, permettrait effectivement de parvenir à un prix compris entre 20 et 30 euros le MWh.