Intervention de Annie David

Réunion du 11 mai 2005 à 15h00
Volontariat associatif et engagement éducatif — Demande de renvoi à la commission

Photo de Annie DavidAnnie David :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à nouveau, nous sommes appelés à nous prononcer sur un projet de loi important sans que nous ayons eu sérieusement le temps de l'étudier.

Le président de la commission des affaires culturelles, M. Jacques Valade, a lui-même noté, en commission, la brièveté du temps imparti pour examiner ce texte. Ce temps a été d'autant plus court qu'il s'est situé en période de suspension des travaux parlementaires.

Ce projet de loi a été examiné en conseil des ministres le 2 février dernier, et notre commission en a été saisie le 23 mars, date à laquelle nous avons nommé notre rapporteur ; le 11 avril, nous examinions déjà le rapport de ce dernier.

Les membres de la commission des affaires culturelles n'ont procédé à aucune audition, mise à part la vôtre, monsieur le ministre. Et notre rapporteur, M. Murat, n'a pu procéder qu'à cinq auditions avant de rendre son rapport.

Nous pouvons dire qu'il n'y a pas eu le travail collectif de la commission que les citoyens de notre pays sont en droit d'attendre de notre assemblée.

Sans aucun doute, des sénateurs auront, comme nous, rencontré de nombreuses personnes pour se forger un avis sur ce texte. Mais le travail de chacun ne constitue un élément du travail collectif que s'il y a le temps du partage et de la réflexion collective. Or, nous n'avons pas eu ce temps.

Le texte qu'il nous est demandé d'adopter touche tout de même au code du travail, au code de la sécurité sociale, au code de l'éducation, ainsi qu'au code de l'action sociale et des familles... De plus, des questions liées au financement de la sécurité sociale et des retraites sont également posées, comme l'a souligné Mme Desmarescaux. C'est dire l'importance de ce projet de loi.

Monsieur le ministre, en examinant l'exposé des motifs de votre projet, rien n'indique qu'il y a urgence à voter cette loi. Alors pourquoi cette précipitation ?

Le Gouvernement a pris l'habitude, ces derniers mois, d'accélérer le rythme de promulgation des lois, au détriment de l'examen sérieux de celles-ci par la représentation nationale. Il s'agit pour nous d'une dérive de notre système démocratique que nous ne pouvons accepter.

C'est donc, vous le comprendrez, la première raison de notre demande de renvoi à la commission : nous voulons que l'ensemble des commissaires puissent prendre le temps de l'examen du texte et de ses conséquences, le temps d'auditions, dont la quantité et la qualité leur permettent de se forger un avis et non une simple opinion, et ce afin de permettre à l'ensemble de la commission de dégager les termes de l'intérêt national sur les questions qui lui sont soumises.

Les dernières contributions que nous avons toutes et tous reçues, venant de Cotravaux, du CNVA, le conseil national de la vie associative, ou encore de l'UNOSEL, l'Union nationale d'organisation de séjours linguistiques, montrent bien qu'il nous faut encore réfléchir.

Ce renvoi serait d'autant plus nécessaire que les organismes que vous avez consultés sur votre avant-projet de loi, monsieur le ministre, n'ont pas eu, non plus, le temps nécessaire à l'examen de vos propositions.

Le Conseil national de la vie associative, qui a rendu un avis motivé le 15 novembre dernier, a noté qu'il n'avait pas disposé du temps normal lui permettant la mise en place de ses procédures de saisie.

Encore ne s'agissait-il alors que du titre Ier de votre projet de loi, monsieur le ministre. En effet, le titre II a été ajouté ensuite, et le CNVA, qui ne l'a étudié qu'en séance plénière, sans examen préalable, considère qu'il ne correspond pas à ses exigences.

Quant au Conseil national de la jeunesse et de l'éducation populaire, le projet de loi ne lui a pas été soumis.

Pour sa part, le conseil de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, que le gouvernement auquel vous appartenez a mis en place dans le cadre de sa réforme de l'assurance maladie, a rejeté votre texte.

Ainsi, ces quelques éléments sur les avis recherchés par votre ministère sur ce projet de loi font apparaître que ce n'est pas seulement à un risque de manque de concertation avec la représentation nationale que nous sommes confrontés ; il semble en fait que ce texte a été conçu rapidement, et remanié de la même façon.

Par ailleurs, nous examinons non pas un, mais deux projets de loi en un ! Il n'y a, en effet, rien de commun entre le volontariat associatif du titre Ier et l'engagement éducatif du titre II. Nous sommes donc en droit de nous interroger, monsieur le ministre, sur la rapidité avec laquelle il nous est demandé de l'étudier et sur les objectifs réels de ce projet. Sont-ils ceux que contient l'exposé des motifs qui, d'ailleurs, n'était pas joint à l'avant-projet ?

Vous nous dites, par exemple, devoir légiférer car les contrats de volontariat de cohésion sociale sont trop complexes, trop lourds administrativement et trop coûteux pour les associations, bref qu'ils ne fonctionnent pas. Mais est-il nécessaire de rappeler ici que les dernières circulaires d'application datent de juillet 2004 ? De ce fait, nous ne disposons pas sérieusement du recul nécessaire à une véritable analyse.

De plus - et ce n'est pas faire injure à vos services de le penser -, étant donné la date de transmission de l'avant-projet au CNVA, celui-ci était à l'étude avant la promulgation des dernières circulaires d'application.

Je n'ose pourtant penser que vous ne recherchez qu'un simple affichage politique, avec votre projet de loi. En fait, votre texte n'est-il pas finalement fondé, pour l'essentiel, sur des enjeux d'opportunité, de conjoncture, en vue de répondre à des difficultés rencontrées par certaines associations ou fondations ?

Monsieur le ministre, quand un gouvernement présente un projet de loi visant à répondre à des problèmes particuliers liés à une actualité fortement « contextualisée », comme cela semble être le cas, il prend le risque de ne voir qu'un aspect du problème et, finalement, de créer plus de difficultés qu'il n'a la prétention d'en résoudre.

Dans cette situation, prendre le temps de la réflexion et de l'examen attentif est d'autant plus nécessaire.

C'est une raison supplémentaire qui motive notre demande de renvoi à la commission des affaires culturelles.

Cette deuxième raison de renvoi, que je qualifierai d'ordre général, nous amène à une troisième raison plus précise, qui concerne le titre II.

Est-il sérieux d'examiner ce projet de loi sans nous interroger sur les conditions générales de fonctionnement des centres de vacances et de loisirs dans notre pays, sur les enjeux sociaux et éducatifs qui les sous-tendent, les conditions économiques dans lesquels ils se développent, sans nous interroger aussi sur la place et le rôle de l'Etat et des collectivités locales dans ce domaine essentiel à la vie sociale de notre pays, lorsque l'on sait que trois millions d'enfants ne partent toujours pas en vacances ?

N'y aurait-il pas nécessité d'inscrire cette réflexion à l'occasion d'une vraie politique de la famille, de l'enfance et de la jeunesse ?

Vous nous proposez tout simplement, monsieur le ministre, d'introduire l'engagement éducatif dans le code du travail, en dérogeant aux principes de ce code sur ses fondements essentiels, à savoir le temps de travail, les heures supplémentaires, le repos hebdomadaire et quotidien, le salaire minimum et le travail de nuit.

Si de telles dérogations sont pour nous a priori inacceptables, elles nécessiteraient pour le moins un temps de réflexion approfondie de la part de la commission des affaires culturelles, et sans doute de la commission des affaires sociales, réflexion menée à partir d'une information un peu plus précise fournie par votre ministère, sur les populations concernées, sur les modes d'organisation et de gestion de ces activités, sur leur financement, et à partir d'études comparées de leurs coûts.

Des questions peuvent tout de même être sérieusement posées. La volonté pragmatique que vous mettez en avant ne suffit pas.

Par exemple, monsieur le ministre, avec votre projet de loi, n'aggravez-vous pas les conditions d'activités et de travail de certaines catégories de salariés en globalisant votre réponse à partir des problèmes rencontrés dans les centres de vacances ?

En particulier, les activités actuelles des centres de loisirs - mais la question vaut aussi pour les formateurs - les amènent-ils à déroger au code du travail, par exemple au regard du repos hebdomadaire et du travail de nuit ? Pourquoi permettre à l'avenir qu'ils y dérogent alors que nous ne savons pas si une telle dérogation correspond à la situation actuelle ou à un besoin nouveau ? Nous ne disposons d'aucune étude sérieuse sur cette question.

En fait, il nous faudrait mener une réflexion plus poussée sur le titre II et disposer d'une information plus transparente sur les réalités actuelles ainsi que sur les évolutions prévisibles et souhaitables dans ce secteur d'activité.

Pour les deux titres de ce projet de loi, il serait normal de nous interroger sur la place et le rôle de la vie associative et de l'éducation populaire dans notre pays en même temps que sur les moyens dont les associations disposent ou, plutôt, dont elles ne disposent pas !

L'examen du titre Ier devrait nous inciter à poursuivre notre réflexion à propos du « volontariat » : c'est la quatrième raison de notre demande de renvoi à la commission.

Par touches successives, à partir d'une démarche que l'on veut pragmatique pour mettre nos textes en conformité avec des pratiques ou des besoins spécifiques identifiés, on modifie profondément notre législation sans que le sens de la transformation ne soit sérieusement étudié.

Ainsi, ce projet de loi prévoit un nouveau dispositif de volontariat, dispositif qui va s'empiler sur les dispositifs existants. Après le volontariat international, le volontariat européen, le volontariat de cohésion sociale, le volontariat en entreprise, et j'en oublie certainement, vous nous demandez, monsieur le ministre, de mettre en place le volontariat associatif, élargi aux fondations d'utilité publique.

Mais un empilage ne fait pas une orientation, encore moins une politique ! Ne serait-il pas temps de nous poser les questions de fond sur ces nouvelles pratiques afin de dégager une véritable politique publique dans ce domaine ?

Monsieur le ministre, vous connaissez, nous connaissons et nous comprenons la demande du monde associatif, formulée une nouvelle fois dans l'avis du conseil national de la vie associative, le CNVA, en faveur d'une loi-cadre sur le volontariat en général plutôt que de divers dispositifs pour valoriser cette pratique.

En effet, sous ce vocable de « volontariat », on a institué par touches successives, au gré de différentes réformes, des définitions, des pratiques, des règles non convergentes.

Le pragmatisme a ses limites. Il masque des tendances, des enjeux, des contradictions parfois.

Lors du débat national ouvert à l'occasion de la loi mettant fin à la conscription, les responsables politiques, dont, comme vient de le rappeler Jean-François Voguet, le Président Jacques Chirac, ont beaucoup insisté sur la nécessité, avec la fin du service national, de réfléchir à des dispositifs de volontariat permettant aux jeunes de s'investir, un temps donné, au service de la collectivité nationale dans des missions d'intérêt général.

Finalement, l'Etat a renoncé à cette réflexion, renvoyant à diverses structures le soin de répondre aux besoins dans ce domaine. Pourtant, depuis maintenant près de dix ans, la question du volontariat est posée dans notre pays.

Alors qu'une vraie politique nationale serait aujourd'hui nécessaire, vous décidez avec votre projet de loi du retrait de la puissance publique.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parce qu'il est de la responsabilité de la représentation nationale de tenter de donner de la cohérence à l'action publique et de dégager les fondements des politiques nationales, nous considérons qu'à l'occasion de ce projet qui nous y invite nous devons prendre le temps d'une réflexion de fond sur le volontariat des jeunes et des adultes dans notre pays ainsi que sur l'engagement éducatif, dans la perspective d'une coordination des pratiques et sur la base d'une volonté politique qui doit enfin s'exprimer dans ces deux secteurs.

Mes chers collègues, c'est à ce vaste chantier que je vous propose de nous consacrer en renvoyant à la commission ce projet de loi.

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