Intervention de Frédéric Van Roekeghem

Commission des affaires sociales — Réunion du 8 juillet 2014 : 1ère réunion
Suite à donner à l'enquête de la cour des comptes sur les relations conventionnelles entre l'assurance maladie et les professions libérales de santé — Audition de M. Antoine duRrleman président de la sixième chambre de la cour des comptes M. Frédéric Van roekeghem directeur général de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés et M. Thomas Fatome directeur de la sécurité sociale

Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés :

La Cour n'a pas failli à sa réputation en analysant avec attention les politiques conventionnelles. Je tiens à souligner le contexte dans lequel ces conventions sont mises en oeuvre : un monde réel qui a évolué depuis l'application de la loi de 2004 et dans lequel la comparaison avec les autres pays européens est nécessaire et. Il nous faut ainsi conduire une analyse positive des progrès accomplis par notre pays que relèvent notamment les dernières publications de l'OCDE en matière de dépenses de médicaments et de développement de l'usage des génériques.

La réforme de 1995 avait donné lieu à de très fortes turbulences avec la communauté médicale qui rechignait à s'engager sur des objectifs chiffrés. Nous partons d'une augmentation annuelle de l'ordre de 6 % des dépenses au début des années 2000 et des règlements arbitraux dans lesquels l'Etat avait consenti à augmenter le tarif de la consultation plutôt que de faire preuve de fermeté vis-à-vis des professionnels de santé.

C'est pourquoi la loi de 2004 a eu pour objectif de renforcer les politiques conventionnelles en confiant à l'assureur public des pouvoirs de négociation qui ont été assumés afin d'obtenir un meilleur réalignement de la politique de santé publique sur de nouvelles priorités. S'agissant de cette gouvernance, on ne peut ignorer le constat dressé par M. Antoine Durrleman selon lequel la caisse nationale d'assurance maladie a pris toute sa place, avec les autres régimes.

S'agissant de la situation des partenaires sociaux, je serai en revanche plus dubitatif sur l'analyse qui a été faite. Le secteur II a été mis en place du temps de l'ancienne gouvernance. La gouvernance actuelle ne permettrait pas à l'Etat de demander une évolution ne suscitant pas l'accord des partenaires sociaux.

Le constat est exact sur l'élargissement des politiques conventionnelles. La stratégie qui consisterait à limiter les conventions à la seule rémunération ne me paraît pas pertinente. Il me paraît impossible de ne pas associer les professionnels de santé, d'une manière ou d'une autre, à l'évolution des politiques publiques, surtout sanitaires.

Dans ce cadre, il faut rappeler certains acquis. Premièrement, force est constater une diminution des écarts dans le comportement des prescripteurs. Cette évolution n'est pas suffisante puisque subsiste encore une différence de volume de l'ordre de 30 à 40 % en matière de prescription d'antibiotiques avec nos voisins allemands. Les volumes de prescription de certaines classes de médicaments thérapeutiques nous paraissent ainsi insuffisamment maîtrisés et la prescription de médicaments génériques insuffisante.

Le médecin traitant a été mis en place, mais le rôle des médecins spécialistes et cliniques n'a pas été bien précisé. Nous avons réconcilié les médecins avec une politique de maîtrise médicalisée, et non pas comptable, des soins, et nous sommes allés jusqu'à mettre en place des rémunérations individualisées sur des objectifs quantifiés, ce qui témoigne du chemin parcouru.

L'analyse de la Cour sur la question des rémunérations doit être tempérée. La rémunération sur objectif est effectivement une incitation au progrès jusqu'à un certain niveau, mais une fois celui-ci atteint, tout recul entraîne une baisse. Introduire une pénalisation en cas de non-réalisation des objectifs, ce que préconise la Cour, constituerait un point particulièrement sensible dans la négociation. Celle-ci oblige à passer des compromis avec les professionnels. C'est pourquoi on ne peut concevoir la politique conventionnelle indépendamment du cadre réglementaire et législatif : le vrai sujet de gouvernance, comme l'avait rappelé un ancien Président de la République, réside dans l'équilibre entre la loi et le contrat, entre ce qu'on impose et ce qu'on négocie. De ce point de vue, rappelons que la convention n'est qu'une délégation du pouvoir réglementaire, conformément à l'article 21 de la Constitution, à l'assurance maladie et qu'elle peut, à ce titre, évoluer.

La montée en puissance des nouveaux modes de rémunération, qui représentent 12 % des rémunérations de la médecine générale, n'a pas entraîné la diminution de la valeur de l'acte. Mais si la Cour juge qu'il aurait dû en être ainsi, il est tout à fait loisible au Parlement d'envisager cette mesure.

Pour la première fois, un conventionnement régulé a été instauré géographiquement. Si une mesure de ce type avait été mise en oeuvre il y a près de vingt ans, l'évolution de notre système de santé eût été différente. Cette démarche est donc tardive et ses résultats sont encore insuffisants. Encore fallait-il l'engager ! Rappelons-nous ce qui s'est passé lorsque le précédent gouvernement a souhaité élargir la disposition législative que nous avions négociée avec les syndicats d'infirmiers à l'ensemble des professionnels de santé, et l'arrêt du Conseil d'Etat qui a annulé les fruits de notre négociation avec les kinésithérapeutes suite à la déclaration de la ministre devant le Parlement selon laquelle il n'y aurait pas de mesure désincitative. Le conseil de l'Uncam va se prononcer et nous comptons solliciter le Parlement pour que ces mesures soient rétablies. Car il nous semble nécessaire qu'un accord négocié avec les syndicats des masseurs kinésithérapeutes et de sages-femmes puisse être mis en oeuvre, surtout si celui-ci participe au rééquilibrage des installations dans notre pays.

La politique conventionnelle a également permis une plus forte informatisation des professionnels de santé ainsi que la mise en place d'accords prix-volumes qui ne recueillent pas l'approbation de la Cour des comptes, mais dont je considère qu'ils sont parmi les plus importants signés avec les professionnels de la biologie, alors qu'est prônée la bonne utilisation des ressources collectives.

Il faut se méfier de conclusions hâtives dans un domaine aussi complexe que celui de la santé qui présente des implications politiques extrêmement fortes. L'Etat est d'ailleurs très présent dans les négociations conventionnelles. Considérer que la loi d'août 2004 a affaibli les partenaires sociaux et l'Etat résulte d'une lecture très juridique qui ne résiste pas à l'épreuve des faits. En matière de santé publique, il me paraît clair que si l'Etat ne souhaite pas qu'un accord soit trouvé, il dispose des moyens pour faire entendre sa voix.

L'Etat pèse ainsi dans les négociations. On ne peut empêcher les ministres de faire de la politique, c'est bien là leur vocation, comme en témoigne la lettre de la ministre de la santé qui proposait un cadrage des négociations au conseil de l'Uncam sur l'avenant n° 8 relatif aux dépassements d'honoraires.

La question du déconventionnement se situe ainsi aux confins de la politique et conduit les ministres à intervenir. Il y a cependant des règles, comme celle qui veut qu'un accord négocié par le directeur général de la Cnam et non conforme aux orientations fixées par l'Uncam peut être annulé par le Conseil d'Etat.

Je rejoins l'analyse de la Cour sur certains sujets, mais l'équilibre entre les possibilités de réforme, en matière de revenus des professionnels notamment, et le respect de l'Ondam ne me paraît pas avoir été suffisamment abordé. En effet, l'Ondam est respecté pour les soins de ville depuis 2009 et dans sa globalité depuis 2010. Si nous n'avions pas maîtrisé les conséquences financières des négociations conventionnelles, nous n'aurions pu sous-exécuter l'Ondam au niveau qui a été constaté.

Il est vrai que la première remarque de la Cour sur la place des négociations interprofessionnelles semble assez justifiée. Celles-ci sont néanmoins complexes à envisager car les professionnels libéraux craignent de se voir imposer des règles qui auraient été discutées au niveau interprofessionnel, et le dosage entre négociations professionnelles et interprofessionnelles demeure très délicat. Certains professionnels redoutent aussi qu'une négociation interprofessionnelle soit le cadre de stratégies d'encerclement par d'autres professions. Ainsi, les médecins généralistes ou spécialistes peuvent craindre d'être débordés par les professions paramédicales dans un combat qui peut aller au-delà du caractère professionnel pour devenir politique et s'inscrire dans la durée. On ne peut ignorer cette réalité.

De ce point de vue, considérer uniquement la dimension interprofessionnelle dans les soins de ville sans s'intéresser à leurs liens avec l'hôpital me semble une lacune importante de l'analyse. Car l'un des leviers du développement de la coordination de la médecine de ville réside dans les relations avec l'hôpital, comme l'analyse d'ailleurs l'OCDE.

Les négociations interprofessionnelles s'avèrent complexes à organiser : la base juridique nouvelle offerte sous la forme d'un accord conventionnel interprofessionnel (ACI) implique la pérennisation des négociations des nouveaux modes de rémunération qui concerne près d'une quarantaine d'organisations représentatives, ce qui n'est jamais très simple.

Les nouveaux modes de rémunération, et notamment le paiement à la capitation progressivement mis en oeuvre au niveau du médecin traitant, avec 40 euros pour les médecins traitants au titre du suivi des affections de longue durée (ALD), puis, plus récemment, pour l'ensemble des patients, ont été revendiquées depuis longtemps par les syndicats de médecine générale. Ils ont été encouragés par des études économiques qui considèrent qu'une part de capitation dans la rémunération des professionnels de santé est susceptible de rendre ceux-ci moins enclins à multiplier des actes et des prescriptions. La démarche s'inscrit dans cette stratégie. Dans un tel contexte, il n'y a, effectivement, pas eu de contreparties claires ni vérifiables ; la seule obligation du médecin traitant réside dans l'élaboration de protocoles de soins pour les patients en ALD moyennant une rémunération forfaitaire. Au niveau macroéconomique, cette évolution s'est substituée à une augmentation du tarif des actes. L'analyse de la Cour des comptes, selon laquelle la situation du médecin généraliste n'a pas assez progressé dans la hiérarchie des rémunérations des médecins, combinée au développement de formes de rémunération de substitution, se heurte à la maîtrise de l'Ondam, sauf à considérer que tous les autres médecins doivent être rétrogradés dans cette hiérarchie.

Pour fixer quelques ordres de grandeur, de 2002 à 2012, l'évolution des honoraires et celle des revenus des médecins généralistes a progressé de 2,1 % en termes nominaux par an, tandis que le produit intérieur brut par habitant progressait quant à lui de l'ordre de 2,2 %. Durant cette période, les recettes n'ont pas été au rendez-vous et nous avons essayé de juguler les déficits et de respecter l'Ondam.

Les modulations des avantages conventionnels consacrés aux médecins et aux professionnels qui respectent les tarifs opposables ont évolué. L'assiette des prises en charge de cotisations sociales exclut tous les dépassements d'honoraires. Pour les chirurgiens-dentistes, nous avons divisé par deux la participation au financement des cotisations sociales, afin de permettre une augmentation des tarifs opposables des soins conservateurs. Je tenais à souligner ce point qui n'était pas mentionné dans le rapport de la Cour des comptes. Ce sujet est complexe et l'objectif central de la convention, comme le soulignait le Président Durrleman, consiste à maintenir, sur le long terme, une opposabilité tarifaire, à la condition de piloter ces tarifs de manière efficiente. Aujourd'hui, force est de constater que la liberté tarifaire octroyée aux médecins de secteur II depuis plus de trente ans leur permet d'obtenir des revenus de 30 % en moyenne plus élevés que ceux de leurs confrères de secteur I. Nous rejoignons de ce point de vue l'opinion de la Cour selon laquelle l'encadrement tarifaire du secteur II a été pris en charge trop tardivement.

L'évolution des revenus est difficile à appréhender. Sa connaissance est insuffisante et implique que soit pris en compte les bénéfices des sociétés d'exercice libéral, et ce notamment pour les radiologues. Seul le ministère des finances dispose de ces informations et leur évaluation demeure complexe puisqu'une partie des charges salariales des SEL peut aussi concerner les salariés de ces structures. Nous ne disposons donc pas d'une appréciation suffisamment fine des revenus des professionnels, du fait de la complexité des montages désormais autorisés pour l'exercice de ces professions de santé.

On ne peut nier que les revenus des médecins généralistes n'ont pas connu de progression fulgurante. De très nombreux pays sont également confrontés à l'échec de la maîtrise des revenus pour certaines spécialités, notamment médicotechniques, du fait de la multiplication de ces actes. Lorsque les IRM sont prescrits abondamment, et le nombre croissant de machines commandé par les ARS suite à l'impulsion du précédent Plan cancer y contribue, cela se traduit par une augmentation des ressources des professionnels concernés et implique le pilotage adapté des tarifs.

Les dépassements d'honoraires sont également un sujet complexe. On observe une dérive tarifaire par spécialité et entre professionnels en fonction de leur implantation géographique. Se limiter à l'analyse des dépassements excessifs, au motif que la procédure de sanction est lourde et peu efficace, ne me paraît pas pertinent. Il faut raisonner par rapport à la moyenne même si la sanction sur les pointes me paraît évidemment nécessaire.

Nous rencontrons une difficulté avec les syndicats de médecins sur ce point. Malgré les engagements souscrits en matière de lutte contre les dépassements dans le cadre de l'avenant n° 8, certains d'entre eux, à l'instar de MG France, ne souhaitent pas voter dans les commissions paritaires. L'assurance maladie, dont les représentants votent quant à eux à l'unanimité, quel que soit leur statut d'origine, s'attend en vain à obtenir le soutien des médecins attachés aux tarifs opposables. Il y a une réelle réticence de certains syndicats à soutenir les accords signés. Je n'exclus pas qu'au cas de blocage de toute décision en matière de sanctions des professionnels en dépassement excessif, du fait de la parité des votes, le conseil de l'Uncam puisse demander au Parlement de se prononcer.

S'agissant de la répartition des professionnels de santé, nous sommes partis également bien tard. Pour les infirmières, les écarts de densité selon les départements varient de 1 à 9. Certes, nous sommes en train de les réduire, mais notre démarche est fort tardive ! Nous avons d'ailleurs échangé avec la Cour sur ce point.

Bien que la nouvelle gouvernance ait clarifié certains points en la matière, la Cour souligne que l'extension du champ des conventions pose la question de la coordination entre la politique de la santé publique, adossée sur la stratégie nationale de la santé, et les conventions qui doivent s'intégrer dans cette politique définie par l'Etat.

Concernant les relations avec les ARS, des progrès pourraient être réalisés en matière de coordination au sein du ministère de la santé afin de mieux utiliser les compétences qu'il compte en son sein. S'agissant du zonage établi par les ARS sur la base d'arrêtés ministériels, des conventionnements sélectifs ont été mis en place suite au travail de la Cnam et une réflexion a été conduite pour renforcer le caractère interprofessionnel des zonages. Si celui-ci avait été précédemment réalisé, la question du conventionnement sélectif ne se poserait pas. En pratique, il importe de prendre les décisions au bon moment quitte à abaisser le niveau d'ambition.

Le bon usage des ressources entre les établissements des soins et la médecine de villes demeure perfectible. La médecine de ville doit être réorganisée pour permettre à notre pays de combler son retard en matière de durée moyenne de séjour à l'hôpital, en prenant les bonnes décisions et en allant jusqu'à prendre en compte son financement dans la détermination des tarifs hospitaliers. Une telle démarche n'incombe pas à l'assurance maladie.

Sur le conseil national de pilotage (CNP) des ARS et le rôle des partenaires sociaux, l'objectif est relativement clair : la perspective de piloter davantage les décisions de l'assurance maladie par le biais du CNP ne suscite pas l'adhésion du conseil de direction de l'Uncam mais on ne peut nier que le contrat Etat-Uncam qui fixe la politique de gestion du risque est insuffisamment opérationnel dans sa rédaction actuelle. Afin d'optimiser l'usage des ressources disponibles, peut-être tentera-t-on de passer à une étape plus opérationnelle sur une durée plus courte.

Le Parlement avait souhaité que les annexes aux propositions annuelles de l'assurance maladie soient complétées par la présentation des principaux accords intervenus. La Cnam n'émet aucune objection sur la recommandation de la Cour d'étoffer cette annexe.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion