Compte tenu de son palmarès économique, c'est peu de dire que l'Asie du Sud-Est est courtisée ! Les dirigeants s'y pressent (récemment encore Barack Obama, Mme Merkel est une habituée), chacun propose son partenariat, son accord de libre-échange, à tel point qu'on parle de véritable « course aux accords de libre échange ». Depuis 2011, la France, qui avait littéralement déserté depuis la crise asiatique de 1997, revient en force, avec un rythme de déplacements ministériels accéléré.
Si nous avons en Asie du Sud-Est un montant d'exportations et un nombre d'entreprises comparable à celui détenu en Chine, la présence des entreprises françaises n'exploite cependant pas tout le potentiel : la part de marché française globale plafonne à 1 %, contre 3.8% au plan mondial, reflet d'un déficit de présence (en Indonésie), ou de rapports déséquilibrés (au Vietnam).
Comment expliquer que nous n'ayons plus que 150 entreprises françaises en Indonésie, 4ème pays le plus peuplé au monde, 16ème économie mondiale, en croissance très rapide, là où nous en avions 450 il y a 15 ans ? Dans ce pays qui est une démocratie, et qu'on qualifie de « mini Chine », pour ses dimensions et la rapidité de son développement, et où des dizaines de millions de personnes supplémentaires viennent grossir chaque année la classe moyenne, nous ne vendons pas une voiture ou presque ...
Où sont passés les bénéfices de 20 ans d'aide au développement en Asie du Sud-Est ? Nous avons 1,5 milliard d'euros d'encours de projets de l'AFD au Vietnam, où 40 collectivités territoriales sont en outre présentes, avec plus de 200 projets ! C'est un des pays où les collectivités publiques françaises ont consacré le plus de temps et d'énergie à faire de l'assainissement, à investir pour la culture, le patrimoine, pour le développement durable, pour la coopération universitaire... Tout ça pour se retrouver 27ème fournisseur au Viet Nam, avec 2 milliards d'euros de déficit commercial et moins de 1% de la population réellement francophone.
D'autres, comme les Japonais, les Chinois, les Coréens, ont su utiliser leur aide publique au développement comme une porte d'entrée vers les marchés. Nous avons visité quatre projets de l'AFD au Vietnam : l'un, sous forme de prêt, pour la distribution de l'hydroélectricité en provenance du Laos, a permis de vendre des équipements Alstom. Le deuxième, le métro de Hanoi, pourrait déboucher sur des marchés -à condition que nos entreprises candidatent, et soient compétitives, ce qui n'est pas toujours le cas-. Mais les deux autres nous ont laissés dubitatifs : quand on fait construire par des entreprises locales des petites digues pour protéger Ho Chi Minh Ville des inondations, ou quand on réhabilite un terril de charbon en bordure de la baie d'Halong, dans un pays qui appartient désormais à la catégorie de revenu « intermédiaire », qui n'est donc plus prioritaire, qu'est-ce que ça « rapporte » globalement à l'économie française ? Qui évalue notre « retour sur investissement » -c'est une constante de nos travaux que de poser ces questions- ? Certes, ce sont des prêts, mais je connais beaucoup d'entreprises en France qui aimeraient avoir des prêts à de telles conditions.
Dans cette région du monde, la mondialisation s'est traduite par une « asiatisation » des économies : c'est un fait, nous avons dans l'ensemble perdu pied sur le plan économique, au bénéfice des Chinois ou des Coréens. Il y a un coût d'opportunité à ignorer plus longtemps cette région pleine d'avenir : c'est là que se fabriquent la croissance et les emplois de demain. La perspective de la « communauté ASEAN », grand marché de 1600 milliards de dollars, à horizon 2015, doit nous permettre de nous mobiliser. Nous pourrions saisir cette opportunité pour bâtir une stratégie économique, autour du nouveau « représentant spécial » qui vient d'être nommé pour l'ASEAN, avec des pratiques de portage à l'export des groupes pour nos PME.
Il faut faire de la diplomatie économique le fer de lance de notre pivot, autour, notamment, des besoins en infrastructures, de « l'économie verte » et de « l'économie bleue », c'est-à-dire maritime, tout en attirant, réciproquement, les investissements en France (je pense en particulier aux fonds souverains, et au potentiel de Singapour en la matière).