Intervention de André Dulait

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 15 juillet 2014 : 1ère réunion
La france face à l'émergence de l'asie du sud-est — Examen du rapport d'information

Photo de André DulaitAndré Dulait :

Le contexte géopolitique en Asie du Sud-Est est souvent comparé par les experts à l'Europe de 1914, avec la montée en puissance de la Chine (comme jadis l'Allemagne) et le relatif déclin des États-Unis (comme la Grande Bretagne de 14). La Chine, à la recherche de matières premières, alimentaires, mais surtout énergétiques, est aussi confrontée au fameux « dilemme de Malacca », c'est à dire à sa dépendance par rapport à la « ligne de vie » de son économie, ligne maritime qui passe par des détroits qu'elle ne maitrise pas. Elle souhaite desserrer l'étau et sécuriser ses flux commerciaux, tout autant que faire naviguer librement ses sous-marins vers les grandes fosses océaniques, ou encore affirmer ses droits sur ce que certains présentent -même si cela n'est pas totalement avéré- comme un petit « Koweit » sous-marin, regorgeant d'hydrocarbures : la mer de Chine méridionale, élevée depuis 2010 au rang « d'intérêt vital » pour le pays. Dans la pensée stratégique chinoise, c'est quasiment désormais devenu une mer intérieure.

La montée en puissance inexorable de la marine chinoise, son habile stratégie de la contestation du statu quo par le fait accompli, et la mise en première ligne de bâtiments « civils » chinois, autour de la revendication de ses « droits historiques », matérialisés par la fameuse « ligne en langue de boeuf » qui recouvre 80% de la mer de Chine du Sud, ont mis la région sous tension. Les Philippines et le Vietnam sont sur la ligne de front, pour les îles Paracels et Spratleys, disputées, et pour une plate-forme d'exploration pétrolière chinoise installée en mai dernier dans la zone économique exclusive vietnamienne. Tous les États de l'ASEAN -même ceux qui prônent un équilibre avec la Chine, comme Singapour ou l'Indonésie- ont intégré cette émergence et achètent des équipements militaires. La modernisation accélérée de la marine chinoise - SNA, SNLE, porte-avions, frégates - l'amène à se déployer beaucoup plus loin de ses bases, récemment à l'Ouest de l'océan Indien, avec un SNA, ou encore en Méditerranée avec plusieurs frégates chinoises.

Chez ses voisins du sud-est asiatique, citons l'acquisition de six sous-marins et de corvettes anti-sous-marines par le Vietnam, de quatre sous-marins et de corvettes par Singapour, de deux sous-marins et de moyens de surface modernes pour la Malaisie, ainsi que l'intention des Philippines et de l'Indonésie de se doter de sous-marins et de patrouilleurs. L'Asie du Sud-Est c'est aujourd'hui 40% des projets de sous-marins au monde et le quart des projets navals ! La moitié de nos exportations d'armement se fait d'ailleurs en Asie, avec une grosse part à Singapour (MRTT, frégates furtives) et en Malaisie (frégates, A400 M, hélicoptères, sous-marins...).

Comment gérer, pour l'ASEAN, un voisin tel que la Chine, qui devient inexorablement votre premier client, votre premier fournisseur, et l'un de vos principaux financeurs d'infrastructures, bailleur de fonds d'aide au développement, voire banquier en dernier ressort ? Le fameux « code de conduite » sur le règlement des différends maritimes, actuellement en négociation avec l'ASEAN, peut-il être autre chose, dans ces conditions, au pire qu'un « serpent de mer », au mieux qu'un catalogue de « mesures de confiance » pour faire baisser temporairement la pression ? Personne ne nous l'a en tous cas présenté comme une solution définitive pour le règlement durable d'épineux contentieux de souveraineté...

L'Asie du Sud-Est est le creuset des évolutions géopolitiques actuelles, qu'il s'agisse du basculement de la puissance vers le Pacifique, ou de la remise en cause des principes « occidentaux » du droit international (comme la liberté de circulation en mer, notamment...). À ce titre, nous sommes concernés : si les droits attachés aux ZEE ou aux eaux territoriales volent en éclat, nous le seront en tous cas à court terme.... C'est en quelque sorte un laboratoire, où on retrouve les trois volets décrits dans le rapport « maritimisation » : la sécurisation des flux, la protection des ressources et l'occupation des océans comme espace stratégique. Nous devons être vigilants à ce que le droit international s'applique et à ce que les négociations pacifiques permettent de résoudre les différends territoriaux. Si ce n'est pas le cas, cela pourrait remettre en cause tout le système de régulation international des océans.

Notre 3e priorité c'est donc de s'engager pour la sécurité en Asie du Sud-Est, en élargissant la coopération : lutte anti-terroriste, catastrophes naturelles, échanges d'officiers, exercices et escales militaires. Il importe d'intégrer des enceintes de dialogue stratégique qui sont très importantes en Asie et maintenir des moyens militaires crédibles dans la zone, avec des escales de bâtiments de « premier rang » de la Marine Nationale.

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