Ce rapport d'information, qui a été précédé d'une vingtaine d'auditions, formule treize recommandations, dont Hugues Portelli vous livrera le détail, tandis que je rappellerai les principes qui ont guidé nos travaux.
Les contrats de partenariat ont été créés par une ordonnance du 17 juin 2004 et ont donné lieu à une nouvelle loi en 2008. Il nous est apparu utile de faire le point après dix ans d'existence de cet outil. Nous n'entendons pas refaire ce qui a été fait : bien des travaux ont déjà été conduits, comme ceux de la Cour des comptes, du conseil général de l'environnement et du développement durable ou encore de l'inspection générale des finances, qui nous a été transmis par M. Moscovici le jour de son départ, largement cité dans notre rapport d'information, et que nous tenons à votre disposition. Mentionnons également, pour les partenariats public-privé dans le domaine universitaire, le rapport de M. Roland Peylet ; pour les prisons, les études du ministère de la Justice et le dossier paru dans la Gazette des communes pour les partenariats public-privé passés par les collectivités locales.
L'ordonnance initiale avait donné lieu à une saisine du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel, lequel, dans sa décision du 26 juin 2003, jugeant que la « généralisation de telles dérogations au droit commun de la commande publique ou de la domanialité publique serait susceptible de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes à l'égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers publics », définit les conditions dans lesquelles il peut être autorisé à faire appel à ces contrats, dont l'usage doit être réservé à des situations répondant à des motifs d'intérêt général tels que l'urgence qui s'attache, en raison de circonstances particulières ou locales, à rattraper un retard préjudiciable, ou la complexité, plus particulièrement la nécessité de tenir compte des caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d'un équipement ou d'un service déterminé.
Les contrats de partenariat : des bombes à retardement ? Tel est le titre que nous souhaitons donner à notre rapport. C'est bien une question que nous posons, sans lui apporter une réponse en bloc, car notre enquête nous a montré combien diverses sont les situations concernées. Nous considérons, contrairement à d'autres, que les contrats de partenariat méritent de figurer dans la panoplie des outils à la disposition de l'État et des collectivités territoriales. Sans leur être hostiles a priori, nous proposons de resserrer les conditions dans lesquelles il peut y être fait appel, pour sécuriser et la démarche et les finances des collectivités territoriales et de l'État. La mission d'appui aux partenariats public-privé - la Mappp -, créée en 2004 et rattachée au ministère des Finances, est chargée d'évaluer les projets portés par l'État, mais aussi d'assurer la promotion du partenariat public-privé. C'est ainsi que l'on entend, dans les colloques, son ancien président, M. Noël de Saint-Pulgent, s'en faire le prosélyte et en parler comme du souverain bien. Nous considérons qu'il n'y a pas lieu de réserver une telle publicité à cet outil, au détriment des autres, et c'est pourquoi nous vous proposerons de recentrer la Mappp sur sa mission première, fort utile, d'expertise.
Nous sommes très critiques sur le dispositif d'évaluation préalable. Bien des exemples montrent que l'on ne peut pas faire fond sur cette procédure. L'inspection générale des finances souligne ainsi que les délais de réalisation des projets en contrat de partenariat sont souvent sous-évalués, alors que le calendrier est déterminant et en conditionne la valorisation des gains socio-économiques associés au montage de l'opération. Ajoutant qu'un coefficient d'optimisation est parfois appliqué au coût de construction prévu dans le contrat, afin de traduire une éventuelle capacité du partenaire privé à réaliser des gains de productivité, elle relève que rien ne permet de s'assurer de l'existence de ces gains, ni de les quantifier. La Cour des comptes relève pour sa part que la comparaison des valeurs actualisées nettes donne l'avantage aux opérations réalisées selon le montage traditionnel de la maîtrise d'ouvrage publique (MOP), mais que l'analyse des risques, très subjective, le retourne en faveur des contrats de partenariat. La Mappp argue qu'en raison de la « faible culture du risque » du secteur public, ceux-ci seraient sous-estimés, d'où des dérapages importants dans les coûts de réalisation et d'entretien...
Si l'évaluation préalable est obligatoire pour les projets portés par l'État, son examen par la Mappp reste facultatif pour celles des collectivités territoriales, dont la rédaction est assurée par n'importe quelle officine : les résultats sont souvent consternants, et les prix à l'avenant.
La procédure elle-même n'est rien d'autre que la comparaison de deux hypothèses dont on ne sait rien, puisque les candidats, par définition, ne se sont pas manifestés. Plutôt donc que d'évaluer, par une sorte de méchant pari pascalien, des conjectures, mieux vaut, à notre sens, s'en tenir à une évaluation des capacités financières, en termes notamment d'échéances de remboursement, de la personne publique, collectivité ou État, qui porte le projet.
Outre que les données sont souvent biaisées, le manque d'informations quant à la soutenabilité budgétaire des engagements témoigne que la personne publique, souvent une collectivité, se contente de s'en remettre aux enjeux immédiats sans apprécier les risques sur toute la durée du contrat. M. Philippe Seguin, présentant, comme premier président, le rapport annuel de la Cour des comptes pour 2009, estimait que les risques pour la puissance publique du contrat de partenariat sont comparables à ceux du crédit revolving pour les particuliers. Prenant l'exemple du centre des archives diplomatiques du ministère des affaires étrangères, la Cour des comptes constatait que l'autorisation d'occupation temporaire du domaine public se traduisait par un surcoût de 41 % à la charge du contribuable et invitait les pouvoirs publics à une réflexion approfondie sur l'intérêt de ces contrats. Et Philippe Seguin de conclure : « L'État a fait preuve, dans toutes ces opérations, d'une myopie coûteuse. »
L'inspection générale des Finances estime que le recours à un contrat de partenariat « contraint sur plusieurs décennies les budgets des administrations publiques en augmentant la part de leurs dépenses dites « rigides », c'est-à-dire inévitables, et en limitant leurs capacités de redéploiement », créant ainsi « un effet d'inertie qui intervient, par ailleurs, sur des budgets publics déjà marqués par la prédominance de dépenses peu flexibles ». La Cour des comptes, quant à elle, estime que le choix du partenariat public-privé pour les prisons aboutit à des contraintes très lourdes pour le ministère de la Justice, et en particulier pour la direction de l'administration pénitentiaire, dont le budget se trouve, pour une large part, mobilisé par la dette à venir. Même constat dans le rapport Peylet, pour le plan Campus, qui fait peser une lourde contrainte sur le budget des universités. La Cour des comptes relève, enfin, s'agissant du recours aux contrats de partenariat pour les hôpitaux - l'un d'entre eux a, on s'en souvient, défrayé la chronique - que les investissements réalisés par la personne privée correspondent à un endettement public, qui devra faire l'objet de remboursement. Ces différents rapports s'accordent à souligner que l'estimation est souvent sous-évaluée, et qu'à long terme, les charges sont quasiment doubles de ce qu'elles auraient été avec un investissement classique selon la procédure de la loi MOP. Le choix du contrat de partenariat crée une dette durable, qui peut aller jusqu'à quarante ans, et que nous léguons à nos successeurs et à nos descendants.
Nous ne condamnons pas l'outil en soi, car il peut être utile, mais nous mettons en garde : le coût à long terme peut être disproportionné au regard de l'avantage immédiat. On inaugure un bâtiment sans que la collectivité ait déboursé un centime, mais vient inévitablement le moment de payer. Pour éviter aux collectivités de céder à la facilité, nous recommandons de mieux encadrer le dispositif.
Dans le contrat de partenariat, comme l'ont souligné Mmes Virginie Klès et Marie-Hélène Des Esgaulx dans le rapport de la commission d'enquête sur le contrat signé avec Écomouv', en choisissant le partenaire, en général un grand groupe, on choisit tout à la fois le financier - les banques -, le concepteur- l'architecte -, le constructeur - l'entreprise qui assurera toute l'exploitation, et tous ses sous-traitants. Cette intégration a certes un côté positif. Lorsque nous avons entendu les responsables des trois grands groupes, Eiffage, Vinci et Bouygues, l'un d'eux a déploré que de magnifiques bâtiments universitaires construits par son groupe aient fini, dix ans après, dans un état déplorable par défaut d'entretien. C'est que contraint à des arbitrages budgétaires, un universitaire préfèrera toujours allouer des crédits à l'achat d'un microscope électronique qu'à des dépenses d'entretien. Dans le contrat de partenariat, le partenaire privé assure l'entretien à long terme, et c'est là un avantage. Mais il a aussi un côté négatif : rien ne garantit, en effet, que l'agrégat d'entreprises retenu dans le contrat constitue le choix optimal pour toutes les fonctions. Dans un marché public classique, chaque fonction fait l'objet d'un choix réfléchi. Et toutes les entreprises peuvent concourir pour chacune de ces fonctions. Au regard de quoi le contrat de partenariat, ainsi que le relève le Conseil constitutionnel, est dérogatoire au droit de la commande publique.
Il est d'ailleurs paradoxal que certains le défendent au nom du libéralisme, alors que l'entreprise choisie aura la main sur la totalité des fonctions. La Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) et le Syndicat national du second oeuvre (SNSO), que nous avons reçus, disent eux-mêmes qu'ils n'arrivent pas, face à ces grands groupes, à faire valoir leurs prérogatives, et ne peuvent que s'incliner. Nous proposons que la loi prévoie des procédures pour mieux défendre l'accès des PME à ce dispositif.
Nous avons également reçu les instances représentatives des architectes, qui se sont toutes exprimées dans le même sens, afin que l'architecture ne fasse plus partie des contrats de partenariat. L'architecture d'un bâtiment public n'est pas neutre : celle d'une prison, par exemple, suppose une réflexion sur la détention. De même, quand un bâtiment, dans une ville, est essentiel pour l'urbanisme, il est bon que les élus puissent décider, préalablement, de son architecture.
Telles ont été nos réflexions. Notre rapport se veut un simple matériau, destiné à alimenter un futur texte visant à mieux encadrer le recours au contrat de partenariat.