Le groupe UMP n’aurait pu être que favorable à un texte dont l’ambition affichée est de faire évoluer la situation, s’il n’avait pas contenu certaines dispositions. D’ailleurs, nous avons contribué à réduire les écarts existants en la matière à de nombreuses reprises. Je pense à la loi Ameline sur les rémunérations des femmes fixées lors des négociations par branche, à la loi Sauvadet, qui autorise un meilleur accès des femmes aux postes à responsabilité dans la fonction publique, mais aussi à la loi relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants ou encore à la loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle.
Sur l’égalité professionnelle, ce projet de loi apporte un début de réponse intéressant, notamment pour ce qui concerne l’articulation des différentes négociations sur l’égalité et les salaires, l’accompagnement des retours de congé parental, le renforcement des droits familiaux des professions libérales, mais aussi la possibilité d’utiliser une partie des droits du compte épargne-temps pour financer les frais de garde d’enfants.
Contre la précarité, le texte apporte également des éléments intéressants : l’expérimentation du versement en tiers payant de la prestation d’accueil du jeune enfant aux assistants maternels, par exemple, va faciliter l’accès aux différents modes de garde pour les familles modestes.
Contre les violences faites aux femmes, enfin, la confirmation et le renforcement du dispositif de l’ordonnance de protection des femmes victimes de violences sont essentiels.
Mais d’autres points du texte ne peuvent recueillir notre assentiment, madame la ministre, au premier rang desquels la réforme du congé parental, rebaptisé prestation partagée d’éducation de l’enfant, dont les nouvelles modalités, à nos yeux, ne sont pas opportunes.
Ce n’est pas un scoop, l’idée d’un meilleur partage de cette période entre les deux parents va dans le bon sens, mais nous ne croyons pas que ce soit en nous immisçant dans la vie privée de nos concitoyens et dans leurs rapports familiaux que nous apporterons une amélioration à la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Sur ce point, madame la ministre, votre projet risque in fine d’accentuer les inégalités familiales entre les hommes et les femmes.
Revenons plutôt sur les causes poussant les femmes à prendre ce congé dans une plus large proportion que les hommes. En réalité, les familles n’ont trop souvent pas le choix, pour deux types de raisons essentiellement.
Des raisons économiques, d’abord. Le salaire des femmes étant le plus faible du couple, les familles ne peuvent pas se priver de la plus haute rémunération. De plus, le coût des places de crèche ou auprès des assistantes maternelles est quasiment inabordable pour certaines familles.
Des raisons d’organisation, ensuite. Ces familles n’ont souvent pas le choix : les places au sein des structures d’accueil de la petite enfance manquent, vous le savez bien, les collectivités territoriales ne pouvant plus assumer la charge de ces besoins de plus en plus importants.
Au reste, nous l’avons répété au cours des deux lectures, ce projet de loi contient aussi des mesures contre-productives. Il risque notamment – ce serait un comble ! – de nuire à l’emploi, en ajoutant une condition supplémentaire à la candidature à une commande publique. Je vous rappelle que, en 2012, 103 000 entreprises étaient concernées par les marchés publics, pour un montant de plus de 75 milliards d’euros.
Dès lors, ne croyez-vous pas, madame la ministre, que nous risquons, en adoptant ces dispositions, de fragiliser la sphère économique et d’aboutir à une situation dans laquelle les entreprises n’auront plus les moyens d’embaucher ni des hommes ni des femmes ? Ceci est d’autant plus vrai que certaines entreprises ne peuvent pas – c’est l’évidence – appliquer une stricte parité, en tout cas certainement pas dans des délais aussi brefs.
En définitive, madame la ministre, bien que pétri de bonnes intentions, ce texte est loin de la loi-cadre attendue. Il est un assemblage – un de plus ! – de dispositions diverses, qui modifie pas moins de huit codes et qui, à nos yeux, ne s’attaque pas suffisamment aux vrais obstacles culturels à la mise en œuvre de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il ne prend notamment pas assez en compte les demandes des associations de parents ou de professionnels.
J’ai donc peur, madame la ministre, que ce projet ne soit qu’un énième texte législatif sur le sujet, sur lequel il nous faudra revenir dans un certain temps, en raison – ce serait bien le pire – de ses effets négatifs sur l’économie, sur les finances publiques, voire sur l’égalité entre les femmes et les hommes.
Avant de conclure, je souhaiterais revenir sur un point qui nous choque profondément ; je veux parler de la suppression de la notion de détresse dans le recours à l’interruption volontaire de grossesse, l’IVG.
Le projet de loi que vous allez voter tout à l’heure ouvre désormais cette possibilité non plus seulement aux femmes enceintes « que leur état place en situation de détresse », mais à toute femme « qui ne veut pas poursuivre une grossesse ». Le législateur renonce ainsi à formuler les raisons pour lesquelles l’interruption volontaire de grossesse peut être pratiquée. Ce faisant, il élargit les possibilités d’accès à l’avortement à d’autres motifs que la détresse de la femme, sans d’ailleurs les énoncer. Toutes les motivations, quelles qu’elles soient, se voient donc conférer une égale valeur légale.
À nos yeux, cette rédaction emporte de graves objections, alors même que sa portée concrète n’est probablement pas majeure, puisqu’aucune instance n’a aujourd’hui le pouvoir de vérifier la réalité de la condition de détresse posée par la loi du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse, dite loi Veil.
Cependant, les principes fondamentaux sur lesquels repose cette loi Veil sont bien remis en cause. Ces principes fondamentaux, notamment le respect de tout être humain dès le commencement de sa vie, justifient que l’avortement demeure aujourd’hui légalement interdit, hors les cas prévus par la loi Veil. Ainsi, en vertu de la loi pénale, lorsqu’un avortement est pratiqué autrement qu’« en cas de nécessité » et autrement que « dans les conditions définies » par la loi, il peut toujours être sanctionné.
La nécessité qui autorise l’atteinte au principe se traduit depuis bientôt quarante ans par une exigence légale : l’invocation de sa « détresse » par la femme qui demande l’interruption volontaire de grossesse. Nous considérons donc que le principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie est bafoué. C’est pourquoi, je vous l’annonce d’ores et déjà, nous saisirons le Conseil constitutionnel sur ce point.