Intervention de Bernard Augier

Commission des affaires sociales — Réunion du 23 juillet 2014 : 2ème réunion
Désignation des conseillers prud'hommes — Table ronde des représentants des syndicats de salariés

Bernard Augier, conseiller juridique de la Confédération générale du travail (CGT) :

Lors de la dernière réunion du Conseil supérieur de la prud'homie, j'avais indiqué, sous forme de boutade, que le projet de loi serait très certainement présenté pendant l'été. Je ne m'étais pas trompé ! Il est vrai que le texte sera examiné en séance publique en octobre. Mais il est regrettable d'avoir prévu un tel calendrier s'agissant d'une réforme aussi importante.

Les conseils des prud'hommes occupent une place importante : 19 millions de salariés sont inscrits aux élections prud'homales, 88 % des Français connaissent les conseils des prud'hommes et ceux-ci ont été reconnus par le Conseil constitutionnel comme formant un ordre de juridiction à part entière.

Le système actuel des élections pourrait être amélioré. Le rapport Richard s'était penché sur la question. Nous aurions souhaité qu'à la suite de sa publication fût constitué un groupe de travail chargé de réfléchir à l'amélioration du mode de scrutin. La précipitation avec laquelle nous est aujourd'hui présenté le texte montre qu'au contraire, le Gouvernement n'a pas suffisamment réfléchi aux pistes qui étaient envisagées par le rapport Richard. En voulant remplacer l'élection par la désignation, il a choisi la piste la moins fiable, la moins partagée, et qui présente un risque élevé d'inconstitutionnalité. Or la CGT estime que la légitimité des juges prud'homaux ne peut relever que de l'élection.

Le projet de réforme a été présenté à la fin de l'année 2013. Après avoir été ajourné, vraisemblablement à la suite des questions cribles thématiques organisées au Sénat en janvier dernier, il devrait être examiné en octobre par le Parlement. L'allongement du mandat prud'homal, qui est refusé par une grande majorité d'acteurs, découle de la décision de procéder à la désignation des conseillers. Nous étions disponibles pour envisager toutes les solutions à la condition de rester dans le cadre de l'élection. A partir du moment où le projet de loi envisage la désignation des conseillers prud'hommes, nous ne pouvons qu'y être opposés.

Je reviendrai sur les arguments fréquemment avancés pour justifier le passage à la désignation des conseillers.

Celui relatif aux coûts qu'engendre l'organisation des élections doit être nuancé. Les ministres du travail ont eux-mêmes reconnu qu'il ne pouvait, à lui seul, justifier la suppression des élections. Nous sommes cependant prêts à échanger sur la façon dont ce coût pourrait être diminué.

La forte abstention aux élections prud'homales ne peut, elle non plus, justifier la mise en place d'un système de désignation. Si l'on supprimait toutes les élections qui engendrent une forte abstention, nous risquerions d'aller très loin ! Les organisations syndicales ont d'ailleurs des propositions pour lutter contre l'abstention.

S'agissant du parallèle qui peut être établi avec les élections relatives aux institutions représentatives du personnel, on peut noter que le nombre de votants est sensiblement identique pour les deux types de scrutin : il est en effet de 5,4 millions pour les élections professionnelles, pour un nombre d'inscrits de 12 millions, contre 4,8 millions pour les élections prud'homales, pour un nombre d'inscrits de 19 millions. Il est vrai que l'organisation des élections professionnelles au sein des entreprises facilite la participation des salariés. A l'inverse, le vote aux élections prud'homales s'apparente bien souvent à un parcours du combattant. La CGT serait d'ailleurs favorable à ce que les élections prud'homales puissent être organisées dans les entreprises. Il convient par ailleurs de noter que, selon une étude de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), 40 % des entreprises de plus de onze salariés n'ont pas d'institutions représentatives du personnel. Dans les très petites entreprises, la participation aux élections prud'homales est bien plus élevée que celle aux élections professionnelles - 18 % contre 10 %. Or ce sont les salariés de ces petites entreprises qui représentent la grande majorité des justiciables auprès des conseils des prud'hommes. Ces éléments montrent que les deux types d'élections répondent à des logiques différentes.

En outre, les cinq millions de chômeurs sont oubliés par le projet de loi qui nous est présenté. Or il n'est pas normal de les exclure des élections prud'homales sous prétexte qu'ils y participent peu.

De surcroit, la représentativité des salariés et celle des employeurs ne seront pas mesurées de la même façon. On bâtit donc un système de désignation de juges sur une base qui n'assure pas l'égalité entre représentants des salariés et des employeurs. Cela pose un problème juridique.

J'ajoute que les salariés qui ont voté pour leurs représentants dans les institutions représentatives du personnel ne savent pas que leur vote servira aussi à désigner des conseillers prud'hommes. Or il me paraît indispensable qu'ils sachent à quelle fin sera utilisé leur vote.

Je trouve par ailleurs regrettable que le ministre du travail estime nuisible que continuent à coexister deux scrutins différents dont les résultats puissent varier. Ce jugement ne trouverait certainement pas à s'appliquer s'agissant d'élections politiques... Il me paraît indigne d'avoir une telle considération pour les élections prud'homales.

Le ministre du travail se retranche derrière l'avis du Conseil d'Etat pour affirmer que le projet de réforme est conforme à la Constitution. Pour le moment, nous n'avons pas eu accès à cet avis. Il nous est donc très difficile d'en parler et d'aller dans le sens du ministre. En outre, l'avis du Conseil d'Etat n'engage en aucun cas les décisions qui pourraient être prises par une autre juridiction. Je souhaite souligner que la réforme va empêcher les citoyens qui le souhaiteraient de constituer librement des listes pour se présenter aux élections prud'homales. Le rapport Richard posait déjà cette question de la constitutionnalité. Il s'appuyait pour cela sur une décision du Conseil constitutionnel de 1982 qui se fonde sur le principe du libre accès aux charges publiques des citoyens. Assurer l'accès de tous aux élections prud'homales apparaît légitime à la CGT. Nous ne craignons pas le débat démocratique. Libre ensuite aux salariés de se prononcer. Le ministère du travail s'appuie, quant à lui, sur une décision du Conseil constitutionnel de 2010 relative aux tribunaux des affaires de sécurité sociale (Tass) pour justifier la désignation des conseillers prud'hommes. Mais le parallèle ne tient pas car, au sein des Tass, les représentants du personnel ne sont pas des juges à part entière : les tribunaux sont présidés par un juge professionnel et les représentants des salariés et des employeurs n'y ont qu'un rôle d'assesseur. Interrogé par Mme Isabelle Debré sur le fait que des personnes non syndiquées ne pourraient plus se présenter aux élections prud'homales, Monsieur Rebsamen a répondu que les syndicats pourraient très bien les intégrer dans leurs listes. C'est méconnaître le fonctionnement du syndicalisme ! Un tel argument ne tiendrait pas devant le Conseil constitutionnel.

La CGT est souvent présentée comme l'unique opposant au projet de réforme. Cela est faux. Des syndicats d'avocats, de magistrats ou encore la Fédération syndicale unitaire (FSU) s'opposent au principe de la désignation. Des déclarations communes entre salariés et employeurs ont également été émises en ce sens dans le ressort de certains conseils de prud'hommes. Nous demandons par conséquent au Sénat de ne pas adopter ce projet de loi qui est contraire aux intérêts des salariés.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion