Toutefois les régimes fiscaux choisis demeurent très hétérogènes : assimilés aux gains aux jeux en ligne par la Chine et à ce titre taxés à l'impôt sur le revenu, les bitcoins sont imposés comme des biens immobiliers par l'Allemagne et comme des revenus du capital par les États-Unis. L'Allemagne, le Royaume-Uni et d'autres pays ont aussi choisi d'assujettir les monnaies virtuelles à la TVA, mais n'ont pas encore trouvé comment s'y prendre... Le Japon, lui, fait confiance au civisme déclaratif de ses contribuables.
En ce qui concerne la régulation des transactions et des plateformes d'échange, la plupart des pays ont multiplié les avertissements, d'abord sur les risques encourus par les utilisateurs des monnaies virtuelles, et surtout sur les risques de blanchiment et de financement du terrorisme. Toutefois, tous n'en concluent pas que cela justifie une intervention du régulateur, voire du législateur : beaucoup considèrent, à l'instar du Japon, que réguler revient à légitimer, et donc à encourager. Ainsi des pays comme l'Allemagne, Israël ou le Canada se contentent-ils de prévenir les utilisateurs de bitcoins qu'ils agissent « à leurs risques et périls », sans garantie publique d'aucune sorte. Les positions les plus strictes viennent de la Chine et de la Russie, qui interdisent - sauf exception - l'usage des monnaies virtuelles et y attachent une présomption d'utilisation à des fins de blanchiment. La France fait à cet égard preuve d'un libéralisme prudent, en n'interdisant pas les monnaies virtuelles mais en assujettissant les plateformes au statut encadré de prestataire de service de paiement (PSP).
Enfin, en ce qui concerne l'innovation, ce sont sans surprise des pays comme les États-Unis, le Canada et Israël qui se montrent les plus ouverts. Les incubateurs, business angels et autres start-ups s'y multiplient, dans un contexte de bienveillance des autorités publiques. À Chypre, l'université de Nicosie accepte le paiement des frais de scolarité en bitcoins, même si peu d'étudiants ont sauté le pas. La France n'a toutefois pas à rougir en matière d'innovation : nos entreprises spécialisées dans les technologies financières font preuve d'une remarquable créativité, pour les monnaies virtuelles, mais aussi les autres modes alternatifs de paiement (crowdfunding, paiement par smartphone etc.).
Il y a, pour résumer, trois types d'attitudes face au développement des monnaies virtuelles. Les sceptiques, parmi lesquels de nombreux juristes et économistes, qui soulignent à bon droit que le bitcoin n'est pas une véritable monnaie - mais ils oublient la très prometteuse dimension « technique » du système. Les inquiets, dont font partie nos régulateurs, car il est de leur devoir d'anticiper les problèmes et de les prévenir. Et les optimistes, pour lesquels le bitcoin est aux transactions ce que l'email a été au courrier et le web à l'édition. Tâchons de rassurer les uns sans décourager les autres.
Quelles recommandations peut-on, dès lors, formuler ? Les pouvoirs publics doivent mener dans la durée un véritable travail de veille et de réflexion sur les monnaies virtuelles, continuer à informer les utilisateurs sur les risques mais aussi les droits associés, et travailler à l'élaboration d'une régulation adaptée. Il importe surtout de mener ce travail à l'échelle européenne, sans laquelle nulle mesure efficace n'est concevable.
En ce qui concerne la question de la qualification juridique des monnaies virtuelles, nous pourrions proposer de « tester » pour l'instant le recours aux catégories du droit existantes, plutôt que d'inventer une catégorie ad hoc. C'est le pari fait par de nombreux pays, et auquel se tient pour l'instant la France : considérer les bitcoins comme des « biens » par défaut permet l'application du droit commun, notamment en matière de protection des consommateurs, d'escroquerie et de résolution des litiges commerciaux. Je précise que nous parlons ici de la « chose » (les bitcoins), et non pas du « service », lequel est d'ores et déjà considéré comme une prestation de service de paiement (PSP) et régulé à ce titre.
Comme à chaque nouvelle révolution portée par l'économie numérique, il est clair que la France et l'Europe ont une carte à jouer. Pour réussir ensemble, nous devrons accompagner l'innovation tout en l'encadrant pour en éviter les dérives, faire preuve d'ouverture tout autant que de vigilance.