Voilà un sujet passionnant dont nous avons évidemment intérêt à poursuivre l'exploration ! L'utilité d'une publication en anglais est évidente !
Je pense que ce qui est en jeu ici est l'évolution du métier de banquier. Je discute beaucoup avec mes étudiants et je partage pleinement ce qu'a dit François Marc tout à l'heure : au moment de la création de la carte bleue, c'était quelque chose de terrifiant. Aujourd'hui, les étudiants, qu'ils soient en France, en Angleterre, aux Etats-Unis, au Japon ou en Chine, se montrent très critiques sur le métier de banquier. Les étudiants en gestion, en sciences-économiques ou de Sciences-Po savent très bien ce que sont les régulateurs. La question est de savoir si ce métier doit évoluer.
Je citerai à cette occasion un proverbe que notre collègue Michèle André répète souvent : « ce n'est pas en améliorant la bougie qu'on a créé l'électricité ». De la même façon, je dirais que ce n'est pas en améliorant la banque ou en la régulant que l'on va créer autre chose. Le développement des monnaies virtuelles, avec les tricheries qu'il peut comporter, est un mouvement qu'on ne pourra pas enrayer. Ce sont les banques qui ont créé un certain nombre de difficultés et qui s'opposent partout à la création de nouvelles richesses. Il faut examiner les nouveaux instruments que vous évoquez, car c'est sans doute l'un des sujets dont on parlera le plus dans les cinq à dix ans qui viennent, comme la révolution numérique dans la musique.
Je rappelle que l'on peut déjà, à Berlin ou à Paris, payer des loyers en bitcoins. Mes étudiants m'ont donné des exemples de jeunes personnes habitant dans ces villes et y payant leurs loyers en bitcoins. De même, à Genève, où je me suis rendu récemment, on compte déjà dix distributeurs de bitcoins, et les Suisses comptent en créer d'autres. Bien sûr, cela pose des questions de régulation et de surveillance dont le Parlement aura à traiter, mais ils existent !
Je voudrais également attirer votre attention sur l'arrivée imminente en France et en Europe du système américain Ripple, à savoir un protocole de paiement libre qui permet d'échanger toutes les devises, immédiatement, dans la monnaie de votre choix, par exemple en dollars aux Etats-Unis, ou en euros en Europe. Je souligne aussi que l'ordonnance sur le crowdfunding a été publiée dans une certaine discrétion, sans susciter beaucoup de réactions, le 30 mai dernier. Elle sera applicable le 1er octobre 2014 pour certaines dispositions, et le 1er octobre 2016 pour d'autres. Elle s'attaque véritablement au monopole bancaire. Ce n'est que le début mais cela me paraît un sujet important. Je partage complètement ce qu'ont dit le président et le rapporteur général à propos des aspects positifs de ces innovations - le rapporteur général m'ayant semblé le plus confiant à cet égard. Une autre application, Square, existant déjà aux Etats-Unis et au Japon, arrive en Europe : elle permet non seulement de payer avec son portable, mais aussi de faire part de vos observations ou remarques à celui que vous réglez, qu'il s'agisse d'un commerçant ou d'une entreprise. Vous pouvez par exemple vous plaindre de la durée de livraison de votre achat. Certains ne voient pas l'intérêt de ce type d'application, mais il n'empêche que celle-ci fonctionne et qu'elle permet aux services de marketing concernés de connaître les dispositions et les remarques de la clientèle, en direct, sans passer par des intermédiaires écrits. Je citerai enfin l'arrivée en France, au 1er janvier 2015, de l'Amazon Coin, soit la monnaie virtuelle du géant américain. J'ai été informé de ces sujets dans le cadre d'une conférence au Collège de France. On apprend bien des choses des universitaires, c'est peut-être ma formation qui me fait parler ainsi. Comme disait Clemenceau, « les polytechniciens connaissent tout, sauf le reste ». Je pense que cela peut s'appliquer à d'autres personnes, et que le reste est important...
Je pense donc qu'au lieu de tout arrêter, il nous faudrait réfléchir à la façon dont nous allons développer et réguler ces monnaies virtuelles ainsi que les activités qui en découlent. On pourrait considérer que les monnaies virtuelles n'ont pas d'avenir et qu'il faut arrêter le mouvement, en se contentant de suivre les conseils de la Banque de France, de la Cour des comptes ou de la Caisse des dépôts. Au contraire, si l'on veut que ceux qui ont vingt-cinq ans aujourd'hui soient demain en mesure d'influer sur les évolutions en cours, je pense qu'il faut aider à développer ces monnaies virtuelles, tout en y mettant des règles. Il faut donc que le débat se poursuive.