Intervention de Stéphane Le Foll

Réunion du 24 juillet 2014 à 9h30
Agriculture alimentation et forêt — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Stéphane Le Foll, ministre :

Ainsi, j’en suis persuadé, nous donnons aujourd’hui à ce texte les moyens de réussir.

Je l’ai dit en concluant nos discussions de la semaine dernière, une loi, ce sont bien sûr des articles, un cadre législatif et normatif. Mais cela doit également être un outil donnant envie d’être utilisé, suscitant un mouvement dans la société et parmi les acteurs concernés au premier chef.

Au cours des débats consacrés aux groupements d’intérêt économique et environnemental, les GIEE, j’ai défendu longuement l’idée selon laquelle il fallait créer des structures assez ouvertes, laisser aux agriculteurs la possibilité de faire leurs choix sur la base de leur projet. J’ai expliqué qu’il ne fallait pas fermer l’éventail des options, lesquelles peuvent être diverses, notamment sur le plan des contractualisations avec les collectivités territoriales.

Telle est ma conviction. Je sais que cette idée a fait débat et que, sur certaines travées, on souhaitait réduire l’étendue de ce dispositif, en lui donnant un cadre à mes yeux trop précis. En effet, la loi est là pour inciter. Elle est réussie lorsque les acteurs concernés s’en saisissent pour créer leur propre dynamique.

Un député, André Chassaigne, a cité à ce propos une formule de René Char qui ne manque pas d’intérêt : « L’inachevé bourdonne d’essentiel. » Le travail législatif doit, de temps à autre, définir un cadre tout en laissant aux acteurs toutes les possibilités, toutes les éventualités, toutes les hypothèses. Ce souci fait, lui aussi, partie du débat politique : il est indispensable de ménager une part d’utopie pour faire avancer les choses. On a eu l’occasion de le rappeler s’agissant des sujets qui nous occupent aujourd’hui.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le présent texte peut être résumé en quatre grands objectifs, qui constituent autant d’axes, de piliers : produire autrement, enseigner autrement, rechercher autrement et développer autrement.

Premièrement, il convient de produire autrement, c’est-à-dire de promouvoir de nouveaux modèles de production. Le Sénat a débattu des enjeux de performance économique et écologique, auxquels il a ajouté, sous l’impulsion de son rapporteur Didier Guillaume, la performance sociale.

Il faut définir une nouvelle combinaison entre l’environnement et l’économie. Il faut mettre un terme à l’opposition de ces deux termes, trop souvent répétée, réduisant les impératifs environnementaux à des contraintes qui entraveraient le développement économique ! C’est tout l’objet, souvent rappelé par Ségolène Royal, de la lutte contre « l’écologie punitive ». A contrario, nous devons construire une écologie dynamique. Je le répète, il faut ouvrir des perspectives tout en s’assurant qu’elles suscitent des dynamiques positives, combinant les dimensions environnementales et économiques, en lien, évidemment, avec la dimension sociale. Cette triple performance du « produire autrement » résume toute la conception de l’agroécologie.

En outre, il faut changer les modèles de production ; il faut lutter contre l’antibiorésistance, et donc contre l’utilisation excessive des antibiotiques ; il faut faire en sorte d’inscrire pleinement les actions menées dans le cadre du plan Écophyto, pour réduire le recours aux produits phytosanitaires. C’est un enjeu essentiel !

On a déjà longuement évoqué des sujets d’actualité comme la protection d’un certain nombre de lieux, notamment les habitations. Toutefois, on ne peut se contenter d’examiner la seule norme, la seule contrainte que l’on va créer. Il faut traiter le fond du problème : nous devons être capables de déterminer des modèles de production limitant, à la base, le recours aux produits phytosanitaires. C’est là le meilleur moyen d’atteindre les objectifs qui sont les nôtres. Ce constat vaut pour les antibiotiques, pour les produits phytosanitaires ou encore pour les azotes – nous avons notamment débattu de l’azote total.

C’est bien en produisant autrement que nous combinerons efficacement les impératifs environnementaux, économiques et sociaux. La restructuration doit être assurée à la base. Je l’ai dit dès ma prise de fonctions en 2012, lors d’un de mes premiers débats en commission, qui avait précisément lieu au Sénat. Il était alors question du plan Écophyto, imposant une réduction de 50 % des produits phytosanitaires d’ici à 2020. Or, à cette époque, à la suite du Grenelle de l’environnement, l’usage de ces produits tendait à augmenter. Pourquoi ? Parce que les modèles de production conçus voilà vingt ou trente ans ont précisément été élaborés sur la base du recours à ces produits ! Si l’on ne modifie pas le fondement même du modèle pour réduire leur usage, on pourra toujours instaurer des contraintes, se satisfaire d’un règlement ou d’un article de loi : la situation ne changera pas pour autant en profondeur !

Voilà pourquoi le « produire autrement », premier pilier du présent texte, constitue à mes yeux un enjeu majeur. Il a d’ailleurs fait l’objet des débats les plus importants.

Deuxièmement, il faut enseigner autrement.

Didier Guillaume l’a rappelé, plusieurs spécialistes de cette question se sont attachés, au sein de la Haute Assemblée, à améliorer les propositions formulées par le Gouvernement au titre des articles 26 et 27. Il s’agit d’assurer la promotion sociale via l’enseignement agricole. §Obtenir un diplôme est un atout majeur pour accéder à un emploi. Ce dispositif d’enseignement est essentiel. Il a été conforté, et cet impératif a été réaffirmé.

En outre, il faut défendre le principe d’acquisition progressive des diplômes. Il faut chercher à emmener l’élève du début jusqu’à la fin de son parcours, en le faisant progresser et non simplement en le jugeant. Voilà un atout, voilà un enjeu, voilà une démarche innovante !

Bien sûr, « enseigner autrement » et « produire autrement » ont partie liée, étant donné la grande question de la réorientation des référentiels en termes d’éducation et d’enseignement pour l’agriculture. Les deux chantiers vont de pair.

Le troisième pilier, « rechercher autrement », très lié aux deux précédents, confère à la loi sa cohérence.

Je n’ai jamais considéré qu’il ne fallait pas rechercher et innover, bien au contraire ! Produire autrement, c'est-à-dire mettre l’accent sur l’agroécologie, est une ambition qui ouvre un champ potentiel énorme à la recherche, qu’il faut soutenir et dynamiser. Cela constitue une nécessité majeure.

Encore faut-il que nous soyons capables d’ouvrir les yeux et de changer notre regard, en définissant de nouveaux principes pour la recherche. Nous devons garder à l’esprit l’idée développée jusqu’ici, qui a mené aux résultats que l’on sait en augmentant de manière très importante la production agricole.

Tel était bien l’objectif des grandes lois d’orientation agricole d’Edgar Pisani. On oublie souvent que la France sortait alors, après la Seconde Guerre mondiale, d’une pénurie qui l’avait parfois contrainte aux tickets de rationnement sur l’alimentation. Nous devions alors importer dans tous les domaines, bien loin d’une autosuffisance dont on peut d’ailleurs discuter de la réalité : importer des protéines végétales pour produire des protéines animales, est-ce vraiment de l’autosuffisance ?

Ces lois d’orientation agricole de 1960 et 1961 ont donné une impulsion et une dynamique. Les modèles qu’elles ont dessinés étaient focalisés sur la grande question de la production.

Aujourd’hui, notre responsabilité est de permettre à l’agriculture d’engager une mutation, comparable à celle qu’elle a connue avec la généralisation de la traction mécanique et la modernisation du matériel agricole, mais également avec l’utilisation de la chimie, pour éliminer les concurrences naturelles existantes afin de permettre la spécialisation des productions. Nous devons aujourd’hui réintroduire ces mécanismes naturels pour les mettre au service de la production.

Il est donc essentiel de nourrir l’ambition de rechercher autrement. La reconnaissance de la recherche agricole française est extrêmement importante pour l’avenir du pays et de son agriculture. Nous préparons un colloque international qui aura lieu le 19 septembre sur ces grandes questions, et mobilisons à cet effet nos instituts de recherche.

Afin de conférer au secteur cette visibilité et de faire la démonstration de la capacité de la France à répondre aux grands enjeux, aux défis auxquels la recherche devra faire face à l’avenir, nous avons créé l’Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France, l’IAVFF. Ainsi pourrons-nous organiser le cadre de référence au sein duquel un grand pays agricole comme le nôtre va préparer, organiser, anticiper et réaliser une importante mutation, en s’appuyant sur une recherche renouvelée.

Produire autrement, enseigner autrement, rechercher autrement ; j’en viens au quatrième pilier, développer autrement.

Le sujet du développement agricole a été très débattu. Il constitue sans doute l’aspect le plus formidable des changements opérés dans l’agriculture après la Seconde Guerre mondiale. Sur la base du syndicalisme agricole, et en particulier de la fameuse JAC, ou Jeunesse agricole catholique, à laquelle il est si souvent fait référence, qui a été un lieu d’élaboration, de motivation et de construction, et avec les grandes orientations fixées par les lois Pisani, on a trouvé un moyen de développer l’agriculture, d’utiliser ce qui en était la potentialité majeure, à savoir les agriculteurs eux-mêmes, et de les fédérer afin d’assurer la diffusion de ce développement.

Nous devons agir de même en relevant le défi du « produire autrement » : créer des modèles et organiser un développement agricole qui permette cette diffusion, cette mobilisation.

Comme je l’ai déjà dit, c’est, j’en suis sûr, dans l’inachevé en construction que va bourdonner l’essentiel de demain, parce que les acteurs s’en saisiront.

Ces structures en construction, ce sont par exemple les groupements d’intérêt économique et environnemental, ou GIEE, et leur pendant forestier – nous n’avons pas oublié la forêt ! –, les GIEEF.

Ce défi est relevé également en matière d’installation. Nous avons tous ici la volonté de renouveler les générations, d’aider les jeunes à retrouver l’envie de construire l’agriculture de demain, de les aider à s’installer. Dans ce domaine, les débats qui ont concerné le foncier prennent sens, avec le renforcement du rôle de préemption des SAFER et du rôle des CDPENAF en ce qui concerne les espaces agricoles et naturels. Les enjeux ont été parfaitement identifiés et ont fait l’objet d’excellents débats. Nous avons fait le choix de l’accès au foncier pour que, demain, notre agriculture soit bien celle des agriculteurs, et pas seulement celle des investisseurs. Cela fait partie des grandes décisions que porte cette loi.

Enfin, il faut évoquer la création du registre de l’agriculture, initiée par un débat à l’Assemblée nationale, qui s’est poursuivi au Sénat. Nous avons été prudents, en avançant pas à pas pour répondre à une demande de la profession. Ce registre constituera à mon sens un atout dans la réalisation de notre projet : la mise en mouvement du secteur et la reconnaissance du statut de l’agriculteur.

Cette loi porte également sur la forêt. La forêt française, une des plus importantes d'Europe, rencontre des difficultés en termes de transformation économique. Ainsi, par exemple, des billes de bois de grande qualité sont exportées partout dans le monde sans être transformées en France. Voilà tout de même un sujet essentiel !

Philippe Leroy connaît parfaitement cette question et a conduit avec doigté le débat sur l’organisation de la forêt en vue de favoriser la coordination et d’éviter le morcellement. Il nous faut mobiliser le bois en vue de sa transformation, tout en préservant la multifonctionnalité de la forêt. Celle-ci doit devenir un atout économique et écologique, deux dimensions dans lesquelles elle dispose de moyens de réussir.

Nous avons ainsi créé, je l’ai rappelé, les GIEEF, mais également le Fonds stratégique de la forêt et du bois. Nous avons décidé de la mise en place d’un certain nombre de règles sur les préemptions et les questions liées aux communes forestières.

L’équilibre sylvo-cynégétique, qui a donné lieu ici à un débat toujours difficile entre chasseurs et sylviculteurs, a été préservé, grâce à l’engagement plein et entier de Jean-Jacques Mirassou et de Philippe Leroy. Nous avons fait avancer ce très important sujet et nous continuerons dans cette voie.

Enfin, une partie de la loi s’attache aux outre-mer, abordant les grands enjeux de leurs agricultures. Nous mettons en place les COSDA, ces fameux comités d’orientation stratégique et de développement agricole, afin de coordonner les objectifs de production agricole dans les outre-mer. Il s’agit de faire en sorte que l’agriculture s’y diversifie pour reconquérir les marchés locaux, et que cette diversification soit parfaitement organisée et structurée. Il fallait mobiliser les collectivités territoriales autour de cet objectif.

Aujourd’hui, deux grandes productions sont absolument nécessaires aux outre-mer : la canne à sucre et la banane. Nous avons l’obligation de permettre la diversification des productions agricoles et donc d’organiser dans chaque territoire la capacité d’orienter, de soutenir et de développer l’agriculture.

Tel est le résumé qui peut être fait de tous nos débats sur ce texte, y compris de ceux qui ont eu lieu en commission mixte paritaire. Des arbitrages ont été faits, et je les soutiens. Tout ce travail, j’en suis persuadé, aura constitué un moment important non seulement pour définir des normes, mais surtout pour ouvrir des potentialités, pour donner des envies d’organisation différente, des envies de créer et de porter des projets. Au fond, c’est cela aussi la loi ! C’est cela aussi l’objectif du débat politique ! C’est cela qui donne un sens à toutes ces heures passées, c’est cela qui leur donnera demain une réalité et, surtout, une capacité à mobiliser.

Pour toutes ces raisons, je suis un ministre satisfait des débats. Je tiens à saluer le travail du rapporteur Didier Guillaume, avec qui mes collaborateurs et moi-même avons passé de nombreuses heures pour préparer ces discussions. Je souhaite également remercier Daniel Raoul, pour la présidence de la commission, l’organisation de ces débats et le fait qu’ils aient pu aller jusqu’à leur terme.

Enfin, je voudrais remercier toutes les sénatrices et tous les sénateurs qui sont intervenus dans ce débat avec la conviction que nous avons la responsabilité de porter haut l’agriculture et la forêt de France. C’est non seulement une question de défense du patrimoine, une question qui nous concerne aujourd’hui, mais aussi et surtout une question capitale pour demain ! §

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