Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, chers collègues, nous voici réunis pour débattre de la participation militaire de la France aux interventions armées en Irak et en Syrie.
Notre débat a lieu six jours après l’annonce présidentielle, cinq jours après le déclenchement des frappes et alors même que ses préparatifs ont débuté, en réalité, au lendemain du sommet de l’OTAN des 4 et 5 septembre derniers, il y a près de vingt jours.
J’en viens au fond. La première raison invoquée pour justifier l’intervention occidentale est la terrible catastrophe humanitaire à laquelle nous assistons.
Les jours que vivent les peuples du Proche-Orient sont effectivement tragiques. Personne ne peut rester indifférent devant ce déferlement de violence et de destruction sur les populations civiles. En plusieurs points de la région, nous avons le devoir de secourir. Mais de quelle manière et avec quelles perspectives ? C’est en ces termes que la question se pose, en vérité.
En trois mois, près de 6 000 Irakiens ont perdu la vie. Depuis janvier 2014, 1 800 000 personnes ont été déplacées, dont 850 000 ont trouvé refuge au Kurdistan irakien, syrien ou turc. Sans l’engagement des forces kurdes, elles n’auraient pas eu la vie sauve.
Au moins 650 000 personnes coincées dans les zones de combat restent à secourir. La menace et le danger s’étendent à la Syrie, où Daech reprend l’offensive contre les villes et villages kurdes dirigés par le parti de l’union démocratique, le PYD.
Depuis des mois, les Kurdes résistent seuls, sans aide internationale, à la fois contre les armées de Bachar Al-Assad et contre ceux qui se nomment « État islamique » et autres groupes djihadistes.
En dépit de l’ouverture de quelques postes frontières, la Turquie multiplie les obstacles à l’arrivée des réfugiés et poursuit le blocage de l’aide humanitaire, singulièrement celle qui est collectée par les municipalités du parti pour la paix et la démocratie, le BDP, de Turquie.
La France elle-même n’est pas à la hauteur de l’aide humanitaire qu’elle peut apporter aux populations en détresse. Elle n’a accueilli que 1 500 réfugiés syriens, contre près de 10 000 pour l’Allemagne et la Suède. S’agissant de l’Irak, moins de 200 ressortissants de ce pays ont été accueillis en deux mois.
C’est dans ce contexte que l’un de nos compatriotes vient de se faire enlever – nous témoignons bien sûr notre solidarité à Hervé-Pierre Gourdel et à ses proches, sans oublier qu’un otage français est toujours aux mains d’AQMI, Al-Qaïda au Maghreb islamique – et que l’État islamique menace de s’en prendre, sur notre territoire, à la population.
Ces menaces sont graves. Elles justifient de veiller plus encore à la sécurité des Français sur notre territoire et à l’étranger. Nous pouvons néanmoins le faire sans céder à la peur, dans le respect de notre droit et des libertés, grâce au dispositif législatif et juridique existant. Nous considérons que de nouvelles lois d’exception, comme celle qui vient d’être votée à l’Assemblée nationale, sont inutiles et dangereuses.
Après dix ans d’un fiasco généralisé de la « guerre au terrorisme » menée sous l’impulsion des États-Unis, nous devons tirer une leçon : tant que la lutte contre les groupes djihadistes ne visera pas les causes de leur implantation, l’objectif ne pourra être atteint.
Des frappes aériennes telles que celles qui sont actuellement engagées sont-elles à même de résoudre de manière définitive le problème posé par la montée en puissance de cette organisation ? Nous ne le croyons pas.
Car d’où sortent ces forces obscures ? Les États-Unis, comme d’autres États dans la région dont nous parlons, ont joué avec le feu : ils s’en sont fait des alliés de circonstance pour servir leurs intérêts. Et ils se trouvent aujourd’hui dépassés par les monstres qu’ils ont contribué à créer.
Ceux qui ont parlé d’un prétendu « choc des civilisations » ont en réalité tout mis en œuvre pour faire grandir la « bête immonde » !
N’avons-nous donc rien retenu des interventions en Afghanistan, en Irak en 2003 – déjà ! –, en Libye ?
La lutte contre le terrorisme a mobilisé 4 000 milliards de dollars depuis ses débuts. Pour quel résultat ? D’un seul foyer de djihadistes, nous sommes passés à quatorze !
Alors, ayons l’honnêteté d’avouer que toutes ces interventions ont été des désastres, qui ont contribué à enfoncer un peu plus les peuples dans l’humiliation et la misère, tout en renforçant les groupes djihadistes.
La question n’est pas d’agir ou de ne pas agir : bien sûr qu’il faut agir ! Elle est plutôt de savoir comment, et avec qui, arrêter la barbarie ?
Il faut s’attaquer aux racines du mal, mettre en cause les États, membres ou alliés de l’OTAN, qui ont soutenu en armes, en matériels et en hommes les groupes djihadistes quand cela les intéressait. Il faut mettre en cause ceux qui continuent d’acheter le pétrole tiré des puits dont l’État islamique a pris le contrôle.
Les frappes aériennes de la France en Irak ont débuté vendredi dernier. Avant-hier, les frappes américaines ont touché la Syrie. Tous les experts le confirment, ces opérations aériennes atteindront très vite leurs limites. Dès lors, quels sont les véritables objectifs de cette guerre ? C’est de cela qu’il faut débattre !
Les États-Unis ont annoncé une opération longue, d’une durée d’au moins trois ans. La France compte-elle s’engager pour la même durée ? Et pour quelles suites ?
Nous le savons, l’OTAN n’a pas de solution politique ; je dirai même que l’OTAN et sa stratégie dominatrice font partie du problème. Alors, quelle est la stratégie de la France ? Quelle solution politique promeut-elle à court et à long terme ? La solution ne passe-t-elle pas, inévitablement, par un dialogue avec toutes les puissances, avec tous les pays de la région ? La France y a-t-elle renoncé en s’alignant derrière l’OTAN ? Quelle est la marge de manœuvre et quel est le poids de notre pays dans les décisions de cette organisation ?
En accompagnant la stratégie de l’OTAN, nous nous exposons et nous n’agissons plus autant qu’il le faudrait sur le plan politique ; nous ne soutenons pas avec toute la détermination nécessaire les forces de progrès de la région.
La tragédie que vit le peuple irakien se situe à la confluence de tous les drames de la région, qui appellent tous une action tendant à y mettre fin.
Je pense, d’abord, aux conséquences des interventions étrangères, notamment américaines, et à l’affrontement croissant entre les sunnites et les chiites, bien appuyé d’ailleurs par certaines puissances régionales, avec lesquelles nous avons parfois des relations étroites.
Je pense également au drame syrien ; face à la répression menée par Bachar Al-Assad, la recherche d’une solution politique pour une transition démocratique a été torpillée au profit de l’engrenage militaire.
Je veux aussi mentionner la question des aspirations nationales, aujourd’hui méprisées, du peuple palestinien. À ce propos, monsieur le ministre de la défense, je souhaite vous poser une question : la France apportera-t-elle un soutien clair et résolu aux nouvelles propositions de règlement politique du conflit que le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas va exposer devant l’Assemblée générale de l’ONU, et dont il a discuté avec le Président de la République il y a quelques jours ?