Intervention de Pierre Laurent

Réunion du 24 septembre 2014 à 15h00
Engagement des forces armées en irak — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Pierre LaurentPierre Laurent :

Je pense, enfin, à la question des aspirations nationales du peuple kurde, singulièrement réprimées par le régime d’Erdogan, membre de l’OTAN. Notre devoir est de soutenir les forces kurdes du PYD et du PKK, aujourd’hui en première ligne. Allons-nous, monsieur le ministre, laisser le PKK figurer dans la liste des organisations terroristes de l’Union européenne ?

Évidemment, tous ces drames ont pour toile de fond la question du pétrole, l’Irak possédant les quatrièmes réserves mondiales, avec une capacité de production de 12 millions de barils par jour.

L’invasion de l’Irak et son occupation par l’armée américaine pendant huit ans se sont traduites par une quasi-disparition de l’État irakien, par la mise en place de structures politiques et administratives fondées sur des critères religieux et ethniques, facteurs de frustrations et d’humiliations, favorisant les tensions communautaires et empêchant l’émergence d’une vision nationale commune, chacun des acteurs jouant pour ses propres intérêts.

C’est dans ce contexte que les différents groupes djihadistes ont pris leur essor. Les populations sunnites, maltraitées, ont été écartées du pouvoir et du partage des richesses par la politique sectaire d’Al-Maliki, lequel était soutenu tant par les Américains que par les Iraniens.

L’État central a été démantelé, l’armée, privée de cadres et de moyens. Quant à l’économie irakienne, rendue dépendante du seul pétrole, elle est désormais contrainte de tout importer.

Cette fuite en avant a favorisé la corruption, l’enrichissement fulgurant de quelques-uns, le blanchiment de l’argent des trafics et de la corruption, le tout sur fond de privatisations Al, sous les yeux bienveillants du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. §

Cette société s’est peu à peu disloquée, créant un terrain favorable à la montée de la radicalisation.

Mais tous ces facteurs n’expliquent pas à eux seuls l’expansion rapide des groupes djihadistes armés. En effet, ces groupes sont financés et équipés militairement – tout cela ne tombe pas du ciel ! – par des puissances régionales qui, à la faveur d’une proximité idéologique, les utilisent au gré de leurs intérêts : soit contre les Kurdes, telle la Turquie, soit contre l’influence chiite, tels l’Arabie saoudite et le Qatar.

Sans ces soutiens extérieurs, officiels ou non, jamais ces groupes djihadistes n’auraient pu acquérir la puissance qui est aujourd'hui la leur, telle qu’elle menace l’existence même de l’Irak et de la Syrie.

Allons-nous enfin ouvrir le débat sur les liens étroits que la France entretient avec ces puissances régionales, la Turquie, membre de l’OTAN, ou les monarchies du Golfe, ces clients fortunés qui achètent nos armes ? Peut-on encore longtemps fermer les yeux sur ces réalités ?

Mes chers collègues, que faire pour combattre ces groupes djihadistes et leur projet, à savoir la destruction de la démocratie et des droits humains ?

L’Irak mais aussi les troupes kurdes, qu’elles soient irakiennes ou syriennes, doivent recevoir toute l’aide nécessaire pour combattre les groupes armés. Cependant, les frappes aériennes ne sont pas la réponse, elles ne permettront pas de nous attaquer à ce fléau. Chaque jour, elles perdront de leur efficacité et nourriront le ressentiment des populations sunnites qui en sont victimes.

S’attaquer aux racines du mal, c’est aussi en finir avec le cadre dans lequel nous multiplions nos interventions, épousant la prétention d’un petit nombre d’États occidentaux qui s’autoproclament garants de l’ordre international. Il faut cesser de considérer ces régions comme l’arrière-cour de puissances occidentales en recherche de matières premières et de débouchés à leurs produits.

L’un des facteurs communs aux guerres actuelles et aux dangers qui montent est la prétention perpétuée de l’Occident à jouer le gendarme du monde, bien que les pays qui le composent ne représentent plus que 12 % de la population mondiale.

Chaque fois, notre réponse est strictement militaire, alors que ces situations de violence et de destruction sont le résultat de très profonds déséquilibres, auxquels il est urgent de s’attaquer en menant d’autres politiques, fondées sur le développement, la coopération et la solidarité, avec pour objectifs l’éradication de la pauvreté et la sécurité dans tous les domaines : santé, éducation, habitat, emploi et lutte contre les trafics.

Le Moyen-Orient n’est pas condamné à vivre guerre sur guerre ; les solutions politiques et diplomatiques peuvent être efficaces. Contre la radicalisation djihadiste, en effet, les réponses les meilleures sont, je le répète, le développement, la paix, la démocratie et la solidarité.

Il est grand temps de redonner aux Nations unies leur place et leur rôle dans la prévention des conflits, dans leur résolution et dans la mise en œuvre de programmes de développement et de partages des richesses. L’abandon progressif du seul cadre multilatéral, reposant sur le droit international et la souveraineté de toutes les nations de la planète, au profit d’un rôle accru de l’OTAN, sous l’égide des États-Unis, est une des plus grandes erreurs commises depuis la chute du mur de Berlin.

La France doit reconstruire sa vision du monde et cesser de s’accrocher au wagon de l’OTAN. Nous appelons de nos vœux l’organisation, dans cet hémicycle et dans celui de l’Assemblée nationale, d’un débat approfondi sur la politique extérieure de la France. Définie sans la représentation nationale et les citoyens, cette politique est plus « atlantisée » que jamais, à contresens de tout ce que les évolutions du monde nous appellent à penser.

À défaut d’un tel débat, notre politique restera dramatiquement aveugle et la voix de la France perdra sa portée. §

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