Intervention de Joëlle Garriaud-Maylam

Réunion du 24 septembre 2014 à 15h00
Engagement des forces armées en irak — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Joëlle Garriaud-MaylamJoëlle Garriaud-Maylam :

Soyons sérieux : la guerre est un acte trop grave pour qu’elle soit instrumentalisée à des fins politiciennes. Considérer comme un succès le fait d’avoir réussi à atteindre quelques cibles, c’est simplifier à outrance la situation au Moyen-Orient. Les méchants seraient clairement identifiés et nous disposerions de tous les moyens bons pour les abattre ? Cela serait un peu trop manichéen et prêterait à sourire si la sécurité mondiale n’était en jeu.

La situation n’est pas celle d’une armée de « fous de Dieu », avançant en ordre de bataille, en terrain découvert, pour conquérir de nouveaux territoires et asservir une population terrorisée. Elle est celle de groupes ultraviolents, mais dispersés, dans des territoires en proie, depuis deux ou trois ans, au chaos, en Irak comme en Syrie, avec des alliances ponctuelles et hétéroclites entre factions et des populations locales contrôlées non par la seule terreur, mais aussi par le rétablissement d’un certain ordre public et d’aides sociales.

Intégrer la complexité de la situation est moins efficace sur le plan de la communication, mais cela change beaucoup de choses. Dès lors, des frappes aériennes sont clairement insuffisantes. Oui, elles peuvent toucher des cibles stratégiques. Mais, à elles seules, elles ne modifieront pas la situation sur le terrain. Surtout, elles ne dessineront pas de perspectives de sortie durable de crise. L’impasse libyenne le prouve.

Si l’objectif de l’intervention est de protéger les populations civiles et de neutraliser la menace que fait peser l’EI sur le Moyen-Orient et le monde, alors le traitement de la question ne saurait être purement militaire. L’urgence est d’organiser un gouvernement irakien légitime, associant toutes les communautés. N’oublions pas que l’EI a puisé dans le ressentiment des populations contre le régime irakien l’essentiel de sa force. Tirons les leçons des précédentes guerres en Irak ou en Afghanistan : l’urgence est au rétablissement d’un gouvernement d’union nationale, associant toutes les communautés, les chiites, bien sûr, qui sont majoritaires dans la population, les sunnites et les autres minorités religieuses, dont les yazidis et les chrétiens.

Bariza Khiari, Roger Karoutchi et moi-même, nous travaillons au lancement d’un groupe d’études sénatorial sur les chrétiens d’Orient, avec pour objectif de réfléchir notamment aux moyens de favoriser la réconciliation et d’inverser la spirale de la violence qui est en train de détruire le tissu de la société irakienne.

Pour atteindre cet objectif, la solution ne peut venir du ciel, même par l’intermédiaire des Rafale… Il faut, hélas, des hommes sur le terrain. La coalition internationale l’a bien compris, et c'est la raison pour laquelle elle a choisi d’armer des rebelles locaux. Certes, une telle décision est moins risquée vis-à-vis de l’opinion publique française ou américaine. Mais, du point de vue géostratégique, n’est-ce pas jouer à la roulette russe et alimenter un monstrueux engrenage ? N’est-il pas insensé de déverser de nouvelles armes, dans le chaos moyen-oriental, à l’intention d’alliés aux profils instables ?

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