Intervention de Joëlle Garriaud-Maylam

Réunion du 24 septembre 2014 à 15h00
Engagement des forces armées en irak — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Joëlle Garriaud-MaylamJoëlle Garriaud-Maylam :

Un autre obstacle à l’envoi d’une force d’interposition de l’ONU serait le probable veto russe.

Là encore, comme pour l’Iran, je déplore que, au nom du politiquement correct, l’on s’évertue à écarter les Russes de la table des négociations. Oui, les Russes sont venus à la conférence de Paris. Il n’en demeure pas moins que derrière les photos de famille, à l’issue de réunions portant sur l’Ukraine ou sur l’Irak et la Syrie, le dialogue est très insuffisant.

L’envoi d’une force d’interposition de l’ONU ne répondrait pas qu’à un défi stratégique immédiat, celui de la cessation des hostilités, du désarmement et de l’accès humanitaire aux populations civiles. Il serait aussi indispensable pour la crédibilité de la légalité internationale.

Au lieu de cela, les Américains bombardent de toute façon depuis plus d’un mois, sans mandat international. Et faute d’une résolution du Conseil de sécurité, nous nous cachons derrière l’article 51 de la Charte des Nations unies consacré à la légitime défense, en indiquant répondre à un appel à l’aide du président irakien. Certes ! Cet artifice ne trompe néanmoins personne. C’est du discrédit du régime irakien auprès d’une grande partie de sa population et de son incapacité à gouverner que l’EI a puisé sa force : le président irakien est donc loin d’être un interlocuteur véritablement légitime. D’où l’impérieuse nécessité d’une intervention réellement internationale sous l’égide de l’ONU.

Mépriser la légalité internationale mine insidieusement l’ordre mondial. Un jour viendra où nous le regretterons, j’en ai peur.

Oui, l’ONU doit être réformée pour répondre plus efficacement et plus rapidement aux défis du monde contemporain. Elle offre cependant déjà un cadre dont il est regrettable de ne pas tenir compte. Une mission de l’ONU, la mission d’assistance des Nations unies pour l’Irak, la MANUI, est depuis longtemps en Irak, et une résolution du Conseil de sécurité en date du 30 juillet proroge même son mandat jusqu’au 31 juillet 2015. Elle semble pourtant ne jouer quasiment aucun rôle dans la résolution de la crise. Pourquoi ne pas s’appuyer davantage sur elle, monsieur le ministre ?

Personne ne conteste le bien-fondé d’une intervention face aux exactions commises, dont les responsables répondront, nous le souhaitons, devant la Cour pénale internationale. Il fallait agir, pour protéger les populations, notamment les chrétiens et les autres minorités persécutées, pour assurer la sécurité régionale, alors que des États comme la Jordanie et le Liban sont à leur tour menacés, pour éviter une recrudescence du terrorisme international à l’heure où des centaines de jeunes partent se former au djihad avant de rentrer sur nos territoires, peut-être pour y perpétrer des attaques. Si la cause est juste, les moyens de la servir sont tout aussi essentiels. J’émets donc de réels doutes sur la stratégie déployée.

L’anéantissement de Daech est non pas une fin en soi, mais tout juste un objectif tactique. Ce sont la montée de la violence intercommunautaire et interconfessionnelle au Moyen-Orient ainsi que le risque de propagation mondiale du terrorisme qui doivent être les véritables cibles.

Il faut que nous nous intéressions dès à présent aux scenarii de sorties de crise à l’issue de la campagne militaire – en espérant que celle-ci ne s’éternisera pas –, au-delà de la neutralisation de Daech, afin d’éviter la surenchère guerrière et de construire la paix.

Souvenons-nous de cette phrase de Churchill selon laquelle l’Irak a été créé un dimanche de folie ! Jacques Chirac a toujours soutenu la position selon laquelle si l’on excluait les sunnites du gouvernement irakien, jamais nous n’arriverions à une solution politique. Ses paroles sont toujours d’actualité, et nous nous interrogeons sur la survie de cet État, comme sur son intégrité territoriale.

En Irak, une fois les objectifs atteints, qui contrôlera le vaste territoire d’obédience sunnite libéré des djihadistes ? Retournera-t-il dans le giron irakien ou participera-t-il d’une région kurde autonome ? La forte implication des Kurdes dans le conflit ne fera-t-elle pas pencher la balance en faveur d’une partition de l’Irak ?

En Syrie, cette question de l’occupation des terres « libérées » est encore plus critique : reviendront-elles à Bachar Al-Assad ou aux rebelles ? Étant donné le poids minime des « modérés » parmi eux, seront-ils capables de contribuer à la reconstruction économique et sociale du pays ou irons-nous vers de nouveaux déchirements ?

Quid des chrétiens dans ces deux États ? Comment garantir leur sécurité et le respect de leur foi ? Et, de manière plus globale, comment résoudre le problème palestinien, qui joue évidemment un rôle majeur dans l’envenimement de la situation régionale ?

Il faut aussi que nous soyons conscients des dangers sur le territoire national. Le rapport du mois de juin 2013 de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la surveillance des mouvements djihadistes en France concluait à l’insuffisance des moyens humains, matériels et juridiques mis à la disposition de nos services sur le sol français. Peut-être cela explique-t-il aussi l’échec retentissant de nos services dans l’affaire de la non-interception de membres de la famille Merah…

Par ailleurs, je crois qu’il y a aussi urgence à observer une certaine décence. Il est assez honteux, et certainement dangereux, que certains pérorent à longueur de journée sur nos réseaux sociaux ou dans les médias sur ces problèmes. Nous devons être unis et, surtout, appeler à la vigilance.

En tant que sénatrice des Français de l’étranger et rapporteur à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN sur le terrorisme, je suis particulièrement inquiète des répercussions potentielles d’une telle attitude sur la sécurité de nos ressortissants – deux millions et demi dans le monde –, dont beaucoup sont facilement identifiables dans de nombreux pays du Moyen-Orient ; je pense bien sûr à notre compatriote enlevé en Algérie.

Monsieur le ministre, ces Français nous demandent d’être prudents dans nos paroles et d’essayer de ne pas toujours tout dire. Je comprends l’avidité de certains médias à vouloir organiser des débats, même si certains qualifient ceux-ci, et pas toujours à tort, de séances de café du commerce, mais la sécurité de nos ressortissants est en jeu et l’on ne peut pas laisser tout dire et dire n’importe quoi ! Parfois, le silence est d’or !

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