Intervention de Paul Vergès

Réunion du 1er octobre 2014 à 15h00
Allocution de m. le président d'âge

Photo de Paul VergèsPaul Vergès, président :

Mais déjà, pour nous, élus, le problème est posé : comment faire le choix entre l’action dans l’immédiat et l’action pour l’avenir ? L’action pour faire face à toutes les conséquences économiques, sociales et politiques d’une crise qui dure déjà depuis plus de huit ans et dont on ne voit pas la fin ; l’action pour faire face aux redoutables défis déjà posés pour l’ensemble de la planète. Or voilà trois ans, lors de notre assemblée inaugurale, nous nous trouvions déjà devant le même choix. Depuis lors, les éléments se sont amplifiés, aggravés, dans l’immédiat comme pour l’avenir.

Mes chers collègues, nous avons la chance, si l’on peut s’exprimer ainsi, de vivre un siècle qui apparaîtra dans l’Histoire comme l’un des plus importants de l’humanité.

Tout d’abord, des rendez-vous historiques de notre siècle s’annoncent : pour l’essentiel, nous prévoyons des dates historiques, des changements durables, à l’échelle de la planète.

Permettez-moi de nommer la première force dynamique et durable qui me semble trop souvent sous-estimée, celle de la transition démographique mondiale.

Tous les démographes nous ont annoncé une population mondiale de 7 milliards d’habitants en 2013 et l’ont estimée à 9, 5 milliards en 2050, c'est-à-dire dans une génération. Or 2, 5 milliards d’habitants de plus, en quelques décennies, c’est l’équivalent de toute la population mondiale en 1950. Ces chiffres nous font prendre conscience que nous vivons à un moment crucial de toute l’histoire du genre humain. Alors que toute l’histoire humaine a accumulé un total de 2, 5 milliards d’habitants pour toute la planète, après des centaines de millénaires, des dizaines de milliers de générations, en 1950, ce chiffre a été multiplié par 2, 8 en soixante-trois ans seulement, entre 1950 et 2013, et la progression sera encore de 2, 5 milliards d’ici à 2050, soit cette fois en trente-six ans.

Dans le même temps, ce phénomène exceptionnel dans l’histoire humaine sera accompagné de ce qui a fait l’objet de la conférence de Washington, voilà quelques semaines, et qui sera au centre du rendez-vous mondial, l’année prochaine à Paris : la conférence sur le climat. Là encore, les dates sont évoquées pour le siècle : 2020, 2030, 2050 et 2100.

Je n’insisterai pas plus longtemps sur ce rendez-vous essentiel pour tous les habitants sur toute la Terre. Ce rendez-vous fait partie de l’actualité par toutes les conséquences sur la vie des êtres humains.

Déjà, le réchauffement climatique au cours du siècle a des conséquences dans tous les domaines pour la vie humaine : climat, santé, vie économique, sociale et politique, environnement terrestre, aérien et maritime, et l’adaptation nécessaire à ce nouvel ordre. Rien n’est acquis, tout est à faire. Et l’enjeu est une nouvelle civilisation planétaire !

Nous devons réfléchir à la situation qui se présente à nous. Ces deux forces planétaires et durables agissent en effet dans un contexte particulier qui voit les progrès de la recherche, de la découverte, de l’innovation, de la mise en valeur de ces découvertes se réaliser à un rythme accéléré qui sera la marque de notre siècle, dans tous les domaines de l’activité humaine.

Dans cette vision des nouvelles données à l’échelle mondiale, nous revenons à l’immédiat : que faire dans cette crise de ce qu’on appelle « la mondialisation », c'est-à-dire la mise en application du système économique actuel – le capitalisme – à son stade ultime de développement, la mondialisation ? Dans sa logique, ce système remet en cause l’existant : le marché national ou régional, l’expansion économique, sociale, financière et politique adaptée à ces critères. Cette remise en cause provoque dans le niveau du développement économique, social et politique de tel État ou de telle région des réactions de contestation ou d’alignement.

Il est évident que tous ces phénomènes – démographiques, climatiques, révolutions scientifiques et techniques, mise en place du marché mondial – ont des interactions dont les conséquences sont de plus en plus importantes. Voilà, en ce début d’une nouvelle mandature de notre assemblée, ce qui marquera toute sa durée, et cela quels que soient le domaine de l’action et l’objectif. C’est une liaison logique, obligatoire, même si elle n’est pas toujours évidente.

Permettez-moi de citer brièvement, pour la démonstration, une situation que je pense connaître : celle de l’île de La Réunion. Cette île du sud-ouest de l’océan Indien, autrefois inhabitée, montagneuse, tropicale, de taille modeste, de très grande diversité végétale et animale, est un vrai paradis, un véritable laboratoire. Trois siècles et demi après son peuplement, où en est-on ?

Sur le plan démographique, la population est passée de 240 000 habitants en 1946 à 840 000 en 2014 et atteindra un million dans quinze ans. Dans le même délai, la population de Madagascar, voisine de La Réunion, estimée à 4 millions d’habitants en 1947, s’élevait à plus de 23 millions en 2013 et sera de 55, 5 millions en 2050 – demain en quelque sorte ! Dans une génération, un quart de la population mondiale vivra en Afrique.

Sur le plan de la mondialisation, c’est le pilier canne-sucre, séculaire dans l’île de La Réunion, qui est menacé de disparition.

Sur le plan social, ce sont près de 30 % des Réunionnais qui sont au chômage – à égalité de taux de chômage, cela correspondrait en France à 10 millions de personnes –, dont près de 50 % des jeunes ; 46 % de la population est sous le seuil de pauvreté et 240 000 personnes vivent des minima sociaux. Le Gouvernement a décidé, dès le 1er janvier 1947, au nom du coût de la vie, une surrémunération – elle est aujourd’hui de 53 % de plus qu’en France –, mais pour la seule fonction publique d’État.

Sur le plan du réchauffement climatique, l’île est frappée actuellement par une très grave sécheresse et un déficit en eau dans tous les bassins.

Dans un pays tropical, où des cyclones ont déjà des effets dévastateurs sur l’environnement et la biodiversité, le littoral est en outre menacé à terme par l’élévation du niveau de l’océan. Et c’est là qu’est projeté un grand chantier sur la mer !

Si j’ai cité cet exemple d’une île de l’océan Indien, à 10 000 kilomètres de l’Europe, c’est pour démontrer que, pour une île modeste, les conséquences de l’action des grandes forces durables présentes sur le plan mondial sont capitales. Il en est de même pour tout pays, pour toute région dans le monde.

À l’aube de ce nouveau mandat, j’ai conscience de la responsabilité de chacune et de chacun siégeant sur ces travées, devant la complexité, la difficulté et l’urgence des défis à relever.

Que la question posée soit à l’échelle locale, nationale, européenne ou mondiale, elle est portée dans une perspective globale, donc solidaire, soulignant par là que, pour la première fois, l’humanité a conscience de ce destin commun de toutes les fractions de la population mondiale. C’est en cela que les destins des uns et des autres deviennent de plus en plus liés et solidaires, faisant apparaître notre conviction, et donc notre espérance commune, de voir la fin des luttes du XXIe siècle ouvrir la nouvelle ère à la nouvelle civilisation qui s’annonce.

Permettez-moi de terminer mon propos en évoquant Jean Jaurès, qui déclarait : « Il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent, et une confiance inébranlable pour l’avenir. » Que cette nouvelle ère illustre la volonté de voir enfin se réaliser pour le monde la devise de notre République : « Liberté, Égalité, Fraternité ».

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