Cette enquête demandée par votre commission en novembre 2012 a été conduite par quatre chambres de la Cour des comptes et quatre chambres régionales : celles d'Île-de-France, d'Auvergne et Rhône-Alpes, de Basse et Haute-Normandie et, enfin, de Nord-Pas de Calais et Picardie. Les nombreux rapporteurs ont rencontré plus de cent vingt personnalités : élus locaux, membres de cabinets ministériels, hauts fonctionnaires notamment de la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR), devenue CGET. Les CPER 2007-2013, objet de cette enquête, souffrent des mêmes faiblesses que leurs prédécesseurs, relevées dans le rapport du Sénat cité par la présidente, comme dans le référé sur la génération précédente de contrats rendu par la Cour en 2006, dont Philippe Séguin était alors premier président. Malgré les progrès réalisés, les faiblesses ont largement subsisté, notamment six d'entre elles.
Tout d'abord, l'absence de stratégie nationale définie en amont de la signature des contrats. Aux termes de la loi du 29 juillet 1982 portant réforme de la planification, non abrogée, les CPER devaient mettre en oeuvre au niveau régional le plan de la nation. Certes, le plan quinquennal, cette « ardente obligation » pour le général de Gaulle, a perdu le rôle majeur qu'il avait joué pendant les trente glorieuses ; mais la loi prévoyait logiquement que les CPER, s'échelonnant sur cinq ou six ans et portant sur plusieurs milliards d'euros, s'inscrivent dans une stratégie définie par l'État, soumise au vote du Parlement. Or aucune génération n'a fait l'objet d'un vote, ni même d'un débat, dans les assemblées. Il n'est pas anodin que les contrats de 2007-2013 aient substitué le mot « projet » au mot « plan » - même si nous pourrions en revenir à ce dernier terme, à partir de 2015. Ils ont été définis par des circulaires du Premier ministre.
Deuxième faiblesse, l'insuffisante préparation de certaines opérations, dépourvues d'études d'impact et dont on ignorait la faisabilité physique ou financière. Conséquence logique, les taux d'exécution sont très inégaux, certaines opérations ne sont jamais engagées.
La multiplication des priorités, conduisant au saupoudrage des crédits, est un autre travers, le troisième. Certes, sur 2007-2013, les transports ainsi que l'université et la recherche ont concentré respectivement 27 % et 24 % des crédits de l'État d'une part, et 38 % et 18 % de ceux des régions, d'autre part ; mais l'autre moitié des crédits était saupoudrée sur une foule de projets concernant l'écologie, l'agriculture, l'urbanisme, les sports, la culture, l'économie, le tourisme, l'emploi ou la formation professionnelle. Comme dans les générations précédentes, des opérations ont été inscrites dans les contrats alors qu'elles auraient été engagées de toute façon par l'État ou ses opérateurs. Le but était bien sûr de partager leur coût avec les acteurs locaux.
Quatrième difficulté, les CPER ont souffert d'un pilotage défaillant de leur exécution, en dépit du dispositif strict prévu par la circulaire de 2007 : pilotage serré grâce à des comités de suivi au niveau régional et national (le Groupe d'études et de suivi des CPER ou GESCPER, au nom prédestiné), grâce aussi au système d'information Presage. Ces deux piliers ont finalement été assez branlants : les groupes de suivi n'ont pas fonctionné et le logiciel a été mis en place avec retard, conduisant de nombreuses régions et administrations centrales à lui préférer leurs propres outils de suivi, avec des données ne coïncidant pas ou devant être saisie deux fois. Ces incohérences ont aggravé les incompréhensions entre l'État et les régions. Conscient de ces faiblesses, le CGET annonce un nouveau dispositif, Synergie, qui nous inquiète car il devrait coûter 55 millions d'euros. Il sera déployé entre 2015 et 2021 : sera-t-il utilisé par l'État et la dizaine de régions concernées ou son arrivée sera-t-elle trop tardive ? Cette réforme suffira-t-elle à répondre au suivi défaillant par Presage ?
Cinquième problème, lié au précédent, on ne peut pas tirer de conséquences des évaluations à mi-parcours puisqu'elles n'ont tout simplement pas lieu. Ainsi, pour l'exécution 2007-2013, une évaluation avait été programmée en 2010, afin de réviser les contrats en supprimant certaines opérations et de redéployer les crédits ainsi libérés. Or l'instance nationale de suivi ne s'est pas réunie depuis novembre 2009 et dans plusieurs régions, les comités n'ont pas fonctionné.
Sixième caractéristique ayant handicapé le fonctionnement des CPER, au cours de la période, l'État a mis en oeuvre de nombreux programmes sectoriels qui recoupaient au moins en partie ceux inscrits dans les CPER : plan campus, plans transports, investissements d'avenir (PIA), plan de relance et grand emprunt, sans compter le programme de développement des routes - celles-ci sont exclues pour la première fois des CPER. Si la crise justifie sans doute la réaction de l'État, cela a incontestablement nui à la visibilité des contrats.
Malgré ces faiblesses, que tous, à l'instar du CGET, reconnaissent, il est remarquable que ni les élus, ni les services de l'État, notamment services déconcentrés, n'aient remis en cause l'utilité du principe des CPER. La Cour s'est toutefois interrogée au début de l'année 2013 : le Gouvernement voulait-il bien reconduire les contrats ? Les hésitations à ce sujet n'ont cessé qu'en juillet 2013, lorsqu'une circulaire du Premier ministre Jean-Marc Ayrault les a relancés, avec hélas un nombre de priorités excessif : une dizaine. La réforme territoriale et la fusion de régions, le changement de Premier ministre, ont bouleversé la situation. À présent cinq priorités seulement sont retenues. Pourtant les régions qui seront fusionnées se demandent comment négocier des contrats qu'elles n'auront pas directement à appliquer. Le 16 juillet 2014, une communication de la ministre du logement et de l'égalité des territoires a indiqué que l'année 2014 serait neutralisée, les nouveaux contrats prenant effet en 2015 - ce qui ne favorisera pas la synchronisation avec la programmation des fonds européens, laquelle commence en 2014. La négociation va commencer, mais il semble difficile qu'elle aboutisse avant la fin de l'année. L'État a l'intention de consacrer aux CPER 9,6 milliards d'euros, au lieu de 12,4 milliards d'euros sur la période précédente.
Les CPER sont un outil prévisionnel utile ménageant des dialogues fructueux, mais ils doivent être rénovés, comme le suggère le cahier des charges qui conclut notre enquête, en respectant huit exigences.
Tout d'abord, les priorités doivent être limitées en nombre, de trois à cinq, et inscrites dans une stratégie nationale définie après coordination avec les régions et organisation d'un débat, voire d'un vote, au Parlement. La loi du 29 juillet 1982 le prévoit comme je l'ai indiqué.
Deuxièment, cette stratégie doit permettre de trancher l'ambiguïté entre les deux objectifs que sont la péréquation et l'attractivité : car comment les poursuivre simultanément sans se condamner au saupoudrage ? Cette ambiguïté des CPER n'a, à ce jour, jamais été levée.
Les CPER devraient, en troisième lieu, ne comporter que des opérations ayant fait l'objet d'études de faisabilité physique et financière, garantissant qu'elles pourront être engagées dans un délai raisonnable. Une consultation du Commissariat général à l'investissement (CGI) serait gage de leur intérêt socio-économique, voire de leur rentabilité - ce qui n'est pas le cas, par exemple, de toutes les opérations de transport ferroviaire réalisées.
Quatrièmement, les autorisations d'engagement (AE) devraient être inscrites dans la loi de programmation des finances publiques de l'État et programmées dans les budgets des régions.
Cinquièmement, les contrats interrégionaux et les contrats territoriaux devraient être conclus uniquement s'ils s'inscrivent dans la stratégie nationale.
Sixième exigence : l'État doit s'efforcer dans les premières années de ne pas adopter seul de plans sectoriels susceptibles de perturber l'exécution des contrats de plan, sans pour autant se priver de réagir rapidement à des crises.
Septième recommandation : le comité national de suivi et les comités régionaux devraient se réunir au moins une fois par an pour dresser un bilan à partir d'un outil partagé et fiable.
Enfin, comme prévu en 2007, une évaluation partagée à mi-parcours s'impose, afin d'ajuster et de réviser la programmation.