Intervention de Hugues Portelli

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 octobre 2014 : 1ère réunion
Application de l'article 68 de la constitution — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Hugues PortelliHugues Portelli, rapporteur :

Le texte que je vais vous présenter constitue la dernière loi organique nécessaire à l'application intégrale des dispositions de notre Constitution. Son origine remonte à l'affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris, dans les années quatre-vingt-dix. Quel juge était compétent pour juger les infractions susceptibles d'avoir été commises par le chef de l'État en dehors de ses fonctions ? Le Conseil constitutionnel a estimé que c'était la Haute Cour de justice, composée à l'époque de 12 sénateurs et de 12 députés - ce qui octroyait au chef de l'État un privilège de juridiction. La Cour de cassation, dans son arrêt Breisacher, a de son côté jugé que, pour les affaires qui n'étaient pas liées à l'exercice de sa fonction, le président de la République était un justiciable ordinaire ; elle a également fabriqué un statut d'inviolabilité du président. Le Conseil constitutionnel ayant répondu à une question qui ne lui était pas posée, sa décision n'avait pas vraiment l'autorité de la chose jugée ; la Cour de cassation avait inventé de toutes pièces l'inviolabilité du président.

Réélu en 2002, M. Chirac confia donc à une commission d'experts le soin de réécrire les articles 67 et 68 de la Constitution. Cette commission, présidée par M. Pierre Avril, rendit ses conclusions en décembre 2002. Au passage, elle élargit les termes du débat et revint sur la « haute trahison », qui n'avait jamais été invoquée depuis les débuts de la Vème République. Reprenant les conclusions rendues par la Cour de cassation en 2001, les experts proposèrent que le président de la République soit inviolable pendant la durée de son mandat, et redevienne ensuite un justiciable ordinaire. Pour les actes accomplis dans le cadre de l'exercice de sa fonction, ils préconisaient de remplacer l'expression de « haute trahison » par celle de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec la poursuite de son mandat ».

Se trouvaient ainsi résolus deux problèmes. D'abord, celui de la nature exacte de la Haute Cour de justice : émanation des assemblées, il s'agissait d'un organe politique qui remplissait une fonction juridictionnelle. Elle pouvait même s'affranchir du code pénal pour infliger une peine ad hoc, ce qui n'était pas compatible avec la convention européenne des droits de l'homme, puisque le président de la République n'avait pas droit à un procès équitable. La suppression de son caractère juridictionnel, reflétée par la nouvelle appellation de « Haute Cour », a résolu ce problème : elle n'a plus à juger mais à prononcer éventuellement une destitution.

Il fallait aussi trouver une solution pour traiter d'éventuels crimes commis par le président de la République pendant la durée de son mandat. L'expression de « manquement à ses devoirs » y pourvut. Le Parlement, réuni en Congrès sous l'appellation de Haute Cour, vérifierait la réalité de ce manquement, et procéderait à sa destitution. Une majorité des deux tiers des membres de chaque assemblée était requise pour réunir la Haute Cour ; puis celle-ci devait se prononcer à la majorité des deux tiers, sans possibilité de délégation et par scrutin public.

Ces propositions ont été reprises dans un projet de loi constitutionnelle relatif aux articles 67 et 68 de la Constitution, qui finit par être adopté par le Parlement réuni en Congrès en février 2007. Soit quatre ans après... Les dispositions relatives à l'article 67 étaient directement applicables. La mise en oeuvre de celles du nouvel article 68 nécessitait une nouvelle loi organique pour fixer la procédure régissant l'adoption de la résolution tendant à la réunion de la Haute Cour dans les deux chambres, sa transmission à la Haute Cour et les conditions dans lesquelles celle-ci statuerait.

Cette loi tardant à arriver, le groupe socialiste a déposé au Sénat en 2009 une proposition de loi organique qui fut, après un renvoi en commission, votée le 15 novembre 2011, quelques mois après que le Gouvernement, sans doute aiguillonné par cette initiative, eut déposé à l'Assemblée nationale un projet de loi organique sur le sujet. La commission des lois de l'Assemblée nationale y a intégré, entre autres grâce à M. Urvoas, plusieurs éléments issus du texte voté par le Sénat. Examiné début 2012 en séance publique, ce texte a recueilli 294 votes favorables, 32 défavorables - essentiellement issus du groupe communiste - et 145 abstentions. Le groupe UMP au Sénat a proposé que nous examinions ce texte dans le cadre de son espace réservé, pour boucler enfin le dossier. Le gouvernement de M. Ayrault a déposé plusieurs projets de loi constitutionnelle, dont un modifiant l'article 67, pour limiter l'inviolabilité du chef de l'État, et l'article 68-1, concernant les membres du Gouvernement, mais il ne s'est pas intéressé aux dispositions de l'article 68 dont nous parlons ici.

Le présent projet de loi organique ne comporte que quelques articles. L'article 68 de la Constitution prévoit des délais très courts : 15 jours après le vote de la première assemblée pour que la seconde se prononce, et un mois ensuite pour que la Haute Cour statue. Si ces délais sont dépassés, la procédure s'arrête. De même si l'une des deux assemblées ne vote pas la proposition de résolution : car il ne s'agit pas d'une procédure législative, il n'y a pas de navette. La procédure étant politique et non juridictionnelle, elle n'est pas susceptible d'être déférée devant la Cour européenne des droits de l'homme. Celle-ci s'est prononcée sur ce point en 2011 à propos de la destitution du président de la République de Lituanie, et a estimé qu'elle n'était pas compétente sur une décision qui n'est pas d'ordre juridictionnel.

L'article 1er porte sur les modalités de dépôt et d'examen de la proposition de résolution. Alors que les résolutions constituent, en principe, l'acte unilatéral d'une assemblée, celle-ci présentera un caractère bicaméral, et devra être votée dans les mêmes termes par les deux chambres. Le Gouvernement avait prévu que la commission des lois de chaque assemblée puisse s'opposer à l'inscription à l'ordre du jour d'une résolution. La commission des lois de l'Assemblée nationale a estimé que ce barrage ne correspondait pas au texte de l'article 68 et, à l'initiative de M. Urvoas, elle l'a supprimé. La proposition de résolution devra être adoptée à la majorité des deux tiers des membres de chaque assemblée, sans possibilité de délégation.

La Haute Cour, comme le Congrès, est présidée par le président de l'Assemblée nationale. Elle se dote d'un bureau mixte, composé d'un nombre égal de membres des Bureaux de l'Assemblée nationale et du Sénat. Elle constitue une commission de six sénateurs et six députés, chargée d'éclairer les travaux de la Haute Cour, en auditionnant, s'il le souhaite, le président de la République, qui peut se faire représenter. Ses auditions doivent se tenir dans un délai de 15 jours suivant l'adoption de la proposition de résolution. La Haute Cour n'a ensuite que 48 heures pour se prononcer, à l'issue d'un débat qui doit être contradictoire, et dans lequel le président de la République a le dernier mot. Une fois adoptée, la décision de la Haute Cour est d'application immédiate. Si le président de la République est destitué, il redevient un citoyen comme les autres et peut faire l'objet de poursuites judiciaires - tout comme il peut se présenter à nouveau aux élections, ce qui revient à demander au peuple de trancher le conflit.

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