Cette proposition de loi, déposée par Henri Tandonnet et neuf autres de nos collègues, tend à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser les échanges en matière de voies rurales.
Même si nous ne disposons pas d'un recensement exhaustif, il existe des centaines de milliers de kilomètres de chemins ruraux. Bien qu'affectés à l'usage du public, ils ne sont pas classés comme des voies communales et ils appartiennent donc au domaine privé de la commune. De ce fait, ils ne bénéficient pas de l'imprescriptibilité, qui est l'apanage de la domanialité publique et peuvent, après 30 ans de « possession » - ou d'occupation - par un particulier devenir la propriété de celui-ci. Ce texte tend à supprimer cette faculté en rendant imprescriptibles non seulement les chemins ruraux mais aussi l'ensemble des immeubles du domaine privé des collectivités.
En outre, ce texte propose de revenir sur l'impossibilité d'échanger des chemins ruraux en raison de leur affectation à l'usage du public. Pour ce faire, il faut aujourd'hui procéder d'abord à la désaffectation du chemin, ce qui suppose une enquête publique organisée selon les mêmes modalités qu'une enquête d'expropriation pour cause d'utilité publique, puis procéder à l'aliénation du chemin et au rachat d'une autre parcelle en remplacement. Cette solution complexe est évidemment critiquée.
Notre collègue Tandonnet a été confronté à de nombreuses reprises - du fait de son expérience professionnelle d'avoué à la Cour que d'élu local - aux contentieux abondants générés par l'appropriation par des particuliers, via la prescription acquisitive, d'éléments importants du domaine privé des collectivités tels que chemins ruraux, jardins, voire anciens moulins, presbytères ou granges, hypothéquant des possibilités d'aménagement futur par les collectivités. Il a constaté que les cas d'expropriation de chemins ruraux passant au milieu des champs, qui finissent pas échoir à celui qui les cultive, sont plus fréquents qu'on ne l'imagine, du moins dans des secteurs où il n'y a pas eu de grands remembrements et où les parcelles - bâties ou non bâties - sont nombreuses. Ces cas sont rares dans la plaine champenoise ou picarde, mais bien plus fréquents dans le sud-ouest.
Notre collègue voulait proposer aux exploitants concernés ou aux propriétaires tentés de clôturer un chemin rural traversant leurs propriétés, d'échanger des parcelles pour déplacer les chemins en bordures des champs ou des propriétés afin d'en maintenir la continuité, ce qui est impossible aujourd'hui. C'est pourquoi il a déposé cette proposition de loi. L'article 1er propose de rendre imprescriptibles les immeubles du domaine privé des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et de leurs groupements par l'ajout d'un article L. 1311-1-1 nouveau au code général des collectivités territoriales (CGCT). L'article 2 prévoit une insertion similaire à l'article 2227 du code civil. L'article 3, enfin, facilite l'échange entre un terrain sur lequel est situé un chemin rural et un terrain appartenant à une personne privée.
Cette proposition de loi, dont je comprends l'intérêt, pose néanmoins quelques problèmes. Si le patrimoine des collectivités est couvert par une imprescriptibilité générale, la mesure ne risque-t-elle pas d'être contreproductive et d'aboutir à une mauvaise gestion du patrimoine communal ? Ne faudrait-il pas mieux inciter les collectivités à procéder périodiquement à l'inventaire de leur patrimoine afin de décider, s'il y a lieu, de conserver ou d'aliéner tel ou tel de ses éléments ? La législation relative à la protection du patrimoine n'apporterait-elle pas dans certains cas de meilleures garanties de préservation que le seul maintien dans le domaine privé de la collectivité ?
En toute état de cause, décider aussi rapidement, puisque j'ai été nommé rapporteur hier, et sans pouvoir mener plus avant une revue de tous les types d'immeubles concernés et des conséquences pratiques que provoquerait leur imprescriptibilité générale, me paraît pour le moins précipité. C'est pourquoi il serait plus judicieux de se cantonner à la question des chemins ruraux pour lesquels le problème de la prescription acquisitive se pose le plus fréquemment et soulève aujourd'hui d'autant plus de problèmes qu'un nombre croissant de collectivités cherche à les reconstituer et à les aménager pour des questions de tourisme et de mise en valeur du patrimoine naturel.
J'ai donc examiné la possibilité d'un basculement des chemins ruraux dans le domaine public des collectivités, ce qui serait assez simple à prévoir pour le législateur et emporterait l'imprescriptibilité de ces chemins tout en permettant des échanges conformément aux prescriptions du code général de la propriété des personnes publiques. Mais cela aurait aussi pour conséquence une obligation d'entretien de ces chemins par la commune, ce qui risque de ne pas les enthousiasmer. Je vous propose donc une formule médiane tendant à rapprocher le régime des chemins ruraux de celui du domaine public sans les y faire entrer, en les rendant imprescriptibles et en facilitant l'échange des chemins ruraux pour garantir leurs continuité. Si l'affectation au public des chemins ruraux justifie un régime dérogatoire d'aliénation - désaffectation préalable et enquête publique - cela peut aussi légitimer l'imprescriptibilité. Pour ce qui est des échanges, il est aujourd'hui possible de concilier échange et protection de l'intérêt général puisqu'on peut échanger des propriétés du domaine public avec des biens appartenant à des personnes privées ou relevant du domaine privé d'une personne publique sans même devoir les désaffecter au préalable.