Intervention de Michel Vergoz

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 9 juillet 2014 : 1ère réunion
Examen en délégation du rapport sur les niveaux de vie dans les outre-mer

Photo de Michel VergozMichel Vergoz, co-rapporteur :

Si, en termes relatifs dans l'espace et dans le temps, les outre-mer ne paraissent pas si mal lotis, la progression des niveaux de vie semble cependant marquer le pas dans la période la plus récente. Les ressources des ménages ultramarins se caractérisent par de fortes spécificités et les évolutions démographiques et sociétales qui se dessinent appellent une adaptation corrélative des politiques publiques pour éviter de graves dérives.

Tout d'abord, dans leurs environnements régionaux respectifs et, plus globalement, si l'on observe les classements à l'échelle mondiale, les outre-mer français font le plus souvent figure d'eldorados.

Ils apparaissent en premier lieu comme de véritables îlots de prospérité au sein de leurs aires géographiques respectives : quelques exemples suffisent à s'en convaincre.

Dans l'Océan indien, le niveau de richesse par habitant de La Réunion est plus de trois fois supérieur à celui de l'île Maurice, qui est distante d'à peine 250 kilomètres ; celui de Mayotte, le moins riche de nos DOM, est plus de dix fois supérieur à celui des Comores et près de vingt fois supérieur à celui de Madagascar. Or, n'oublions pas que Madagascar dont le territoire est légèrement supérieur à celui de la France est peuplé de plus de vingt millions d'habitants. La Martinique et la Guadeloupe affichent quant à elles le niveau de vie le plus élevé du bassin caribéen, juste après la Barbade. En Amérique du Sud, la Guyane présente également le deuxième niveau de richesse par habitant après le Vénézuela.

Les COM et la Nouvelle-Calédonie offrent un tableau plus contrasté à cet égard, notamment parce que certaines d'entre elles sont voisines de pays qui comptent parmi les plus industrialisés et les plus riches du monde, comme les États-Unis, le Canada et la Nouvelle-Zélande. Pour autant, les territoires français du Pacifique se classent très honorablement par rapport à leurs voisins, notamment par rapport aux petits États insulaires : la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française se classent respectivement en troisième et quatrième position de la zone, tandis que Wallis-et-Futuna, dont le PIB par habitant n'est pas le plus élevé de nos outre-mer, fait figure de voisin riche par rapport au Vanuatu ou aux îles Fidji.

La mesure de la richesse économique ne peut cependant suffire à rendre compte du niveau de vie des territoires ultramarins : comme nous l'avions souligné lors de la conférence organisée en partenariat avec l'Agence française de développement (AFD) le 23 novembre 2012, il faut également prendre en compte l'indice de développement humain (IDH). Celui-ci repose sur l'agrégation de trois composantes - la mesure du revenu par habitant, de l'état de santé et du niveau d'éducation de la population - et permet ainsi de mesurer le développement d'un territoire à la fois dans son aspect économique et dans son aspect social.

De ce point de vue, nos outre-mer se situent également généralement dans le peloton de tête de leur environnement régional respectif, et affichent tous, à l'exception de Mayotte, un IDH comparable à celui des pays à développement humain très élevé ou élevé. Mayotte, qui se classerait dans le groupe des pays à développement humain moyen, se situe tout de même largement devant les Comores ou même devant l'Afrique du Sud.

Malgré ces performances régionales notables, et en dépit du rattrapage économique observé au cours des années 1990, l'écart de niveau de vie entre les outre-mer et l'hexagone demeure important et peine à se résorber, principalement sur le plan économique.

En moyenne en 2010, l'IDH des territoires ultramarins (hors Mayotte) était inférieur de 12 % à celui de l'hexagone, les écarts s'échelonnant de 7 % pour la Guadeloupe à 17 % pour la Polynésie française. Tous les outre-mer présentaient un IDH inférieur à celui du département hexagonal le moins bien classé, le Pas-de-Calais.

Il est à noter que les performances des outre-mer sont meilleures en matière sociale que dans le champ économique - à l'exception cependant de la Nouvelle-Calédonie, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. Cette situation est assez originale, car on observe généralement une corrélation entre le niveau de la composante économique de l'IDH et celui de sa composante sociale.

Une analyse plus fine montre qu'au sein de l'indice de développement social, ce sont les performances en matière de santé plutôt que celles en matière d'éducation qui tirent l'IDH des outre-mer vers le haut : selon l'AFD, l'écart entre l'hexagone et les collectivités ultramarines était de 5 % seulement en matière sanitaire, contre 25 % dans le domaine de l'éducation. Pour autant, certaines évolutions récentes dans le domaine sanitaire délivrent des signaux alarmants : le rapport de la Cour des comptes sur la santé dans les outre-mer publié en juin 2014 met ainsi en évidence une progression de la mortalité infantile entre 2000 et 2012 dans plusieurs territoires ultramarins. Elle atteint jusqu'à 16,1 pour mille naissances en Guyane, contre 3,3 dans l'hexagone ; dans les autres outre-mer, le taux oscille entre 4,1 et 9,8.

Si la progression des taux de réussite au baccalauréat enregistrée dans plusieurs outre-mer au cours des dernières années offre un motif légitime de satisfaction, elle ne doit pas masquer la réalité du retard éducatif qui frappe une partie non négligeable de la jeunesse ultramarine - étant entendu qu'il existe d'importantes disparités entre les territoires. Alors que la part de jeunes de 18 ans en difficulté de lecture s'élève à 10 % en moyenne en 2012 pour l'ensemble de la France, elle atteint jusqu'à près de 50 % en Guyane et 75 % à Mayotte, toutes deux touchées par une non scolarisation massive de leur jeunesse.

Le caractère quelque peu bancal du niveau de développement des outre-mer, au détriment de son aspect économique, est confirmé par la comparaison de leur niveau de richesse par habitant avec celui de l'hexagone. Dans les DOM, il est inférieur de 31 et 37 % pour la Martinique et la Guadeloupe, 38 % pour La Réunion, 51 % pour la Guyane et jusqu'à 79 % pour Mayotte. Tandis que le niveau de richesse par habitant de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la Nouvelle-Calédonie est comparable à celui de l'hexagone, il lui est inférieur de respectivement 43 % et 68 % en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna.

L'écart de richesse entre les outre-mer et l'hexagone apparaît tout aussi clairement selon d'autres indicateurs. L'enquête « Budget des familles » réalisée par l'Insee dans les DOM a montré qu'en 2006, le revenu disponible par unité de consommation des ménages domiens était inférieur de 38 % à celui des ménages hexagonaux. Le niveau de vie médian mahorais ne correspondait même qu'à 16 % de celui de l'hexagone ! D'un point de vue fiscal, la tranche de revenus la plus basse, comprise entre 0 et 9 400 euros, concernait en 2010 un quart des ménages hexagonaux, contre la moitié des ménages domiens et deux-tiers de ceux de Saint-Martin - mais 26 % seulement de ceux de Saint-Barthélemy.

Des progrès importants restent donc à accomplir pour achever la convergence de niveau de vie entre l'hexagone et les outre-mer, entre lesquels subsiste un écart de développement estimé à 20 ans par l'AFD.

Or, la situation est d'autant plus préoccupante qu'après un rattrapage spectaculaire au cours des années 1990, le mouvement de résorption des écarts de niveau de vie entre les outre-mer et l'hexagone a connu un net ralentissement. Entre 1994 et 2010, l'écart du niveau de richesse par habitant observé entre la Guadeloupe et l'hexagone avait par exemple été ramené de 63 % à 37 %. Cependant, le tournant des années 2000, et plus encore la crise économique et financière qui a éclaté en 2008-2009, ont marqué une dommageable inflexion de ce mouvement. Dans les Antilles et en Nouvelle-Calédonie, les écarts de développement se comblent beaucoup plus lentement qu'autrefois. Dans les autres collectivités ultramarines, la tendance au rattrapage observée dans les années 1990 s'est interrompue ; en Polynésie française, on note même un nouvel accroissement des écarts.

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