La première condition, pour remédier à cet état de fait, serait de pouvoir disposer de données fiables et actualisées, qui permettraient d'établir un constat documenté et actualisé à partir duquel élaborer des solutions précises et ciblées. Or, vous venez de l'entendre dans l'état des lieux que vient de dresser Michel Vergoz, il a souvent parlé à l'imparfait, ou alors n'a cité que quelques collectivités ultramarines : ce n'était pas que nous ayons volontairement sélectionné des données anciennes ou que nous n'ayons pas souhaité être exhaustifs dans l'élaboration de notre rapport, mais comme nous l'avons déjà maintes fois relevé, la couverture statistique des outre-mer est très insuffisante.
Les DOM sont ainsi exclus de certaines grandes enquêtes nationales conduites par l'Insee, et qui fournissent pourtant des éléments précieux sur les niveaux de vie des populations : je pense par exemple à l'enquête dite « ERFS » sur les revenus fiscaux et sociaux des ménages, ou encore à l'enquête statistique sur les revenus et les conditions de vie, dite « SRVC ». Dans ces conditions, le niveau de vie des populations d'outre-mer ne peut être évalué qu'à partir des résultats d'une enquête spécifique, l'enquête « Budget des familles »... qui n'est cependant conduite qu'une fois tous les cinq ans et dont les conclusions se font attendre. À l'heure où nous vous présentons ce rapport, nous attendons toujours les résultats de l'enquête menée en 2011, annoncés pour début 2014 et qui devraient être publiés prochainement. Nous n'avons donc pu nous fonder que sur les résultats de l'enquête menée en 2006.
La situation n'est pas meilleure pour les COM. Saint-Pierre-et-Miquelon n'est pas couverte par l'enquête « Budget des familles ». Dans les collectivités du Pacifique, où la conduite des enquêtes statistiques relève de la responsabilité des gouvernements locaux, les différences méthodologiques retenues dans les études ou leur ancienneté limitent la portée des enseignements que l'on peut en tirer.
Le caractère obsolète des données disponibles est particulièrement criant pour certaines collectivités : pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy, une donnée aussi fondamentale que le niveau de richesse par habitant n'a pas été actualisée depuis 1999, soit depuis 15 ans ! En tant que DOM, Mayotte sera désormais couverte par l'enquête « Budget des familles » ; cependant, pour l'élaboration du présent rapport, les éléments dont nous disposions remontaient le plus souvent à l'année 2009, voire à 2005.
Dans ce contexte, nous ne pouvons que préconiser une forte amélioration de l'évaluation statistique des outre-mer, ce qui pourrait passer par deux voies. Il serait tout d'abord pertinent d'élargir le champ d'action de l'Insee en direction des DOM avec la réalisation d'enquêtes plus fréquentes sur les revenus fiscaux et sociaux et sur les revenus et les conditions de vie. Afin d'harmoniser les méthodologies et les calendriers, on pourrait également imaginer un approfondissement du partenariat conclu en 2004 entre les différents instituts statistiques compétents outre-mer dans le cadre du projet « Comptes économiques rapides pour l'outre-mer » (Cerom), qui fonctionne semble-t-il de manière satisfaisante, et un resserrement des liens avec les instituts statistiques relevant de la compétence des collectivités du Pacifique.
Dans la même logique, il apparaît indispensable de développer les travaux des observatoires des prix, des marges et des revenus, et de les faire davantage porter sur la problématique des ressources.
Prévus par la loi d'orientation du 13 décembre 2000, et effectivement mis en place seulement sept ans plus tard dans les DOM et à Saint-Pierre-et-Miquelon, les observatoires ont récemment vu leur indépendance et leurs attributions renforcées. Un décret du 6 juillet 2010 a prévu que leur présidence revenait non plus au préfet, mais à des magistrats des chambres régionales des comptes. La loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique des outre-mer leur a par ailleurs confié de nouvelles fonctions dans le cadre du dispositif du « bouclier qualité-prix ».
Pour autant, les observatoires se sont encore trop peu saisis de la question des ressources des ménages ultramarins, qui est pourtant indissociable du traitement de la question du pouvoir d'achat et de la vie chère en outre-mer. Depuis leur création, leur activité a presque exclusivement porté sur l'analyse et le suivi du niveau et de la formation des prix. Nous avons été informés qu'une enquête sur ce thème était en cours aux Antilles-Guyane, mais les résultats n'en sont malheureusement pas encore disponibles.
Cette lacune s'explique sans doute en partie par les obstacles matériels, juridiques et institutionnels auxquels se heurtent les observatoires et qui brident leurs possibilités d'investigation sur la question des revenus. Nous avons pu constater qu'ils faisaient face à une insuffisance criante de moyens, notamment humains. Par ailleurs, le secret des données fiscales et sociales qui peut leur être opposé, comme ce fut le cas à Saint-Pierre-et-Miquelon où une étude engagée en février 2011 a dû être suspendue, empêche tout travail d'ampleur sur les ressources des ménages. Enfin, la coordination de leur action apparaît encore insuffisante, malgré les réels progrès observés au cours des deux dernières années. Nous avons ainsi été informés qu'une réunion annuelle réunissant l'ensemble des présidents d'observatoires, en présence des préfets et de membres d'autres administrations intéressés comme la DGCCRF, s'était tenue au ministère des outre-mer au cours des deux dernières années. Il semble cependant nécessaire d'aller plus loin pour répondre à la demande des présidents des observatoires, qui réclament dans leur ensemble une coordination plus institutionnalisée.
Il s'agit d'éviter que les observatoires, qui pourraient constituer un outil très intéressant au service de la lutte contre la « vie chère », ne deviennent de simples vitrines ou coquilles vides. Nous avons identifié trois directions pour leur permettre de se saisir véritablement des prérogatives qui leur ont été confiées. En premier lieu, il est indispensable que soit dédié à chaque observatoire au moins un emploi de cadre permanent, en assurant la prise en charge des frais de fonctionnement afférents, indépendamment - et j'insiste sur ce point - de leur budget « études ». En second lieu, l'amélioration de la coordination entre les observatoires doit être poursuivie, dans un cadre plus institutionnalisé et de ce fait plus pérenne. Enfin, pour leur permettre de mener à bien leurs investigations dans le domaine des revenus, il pourrait être envisagé de prévoir des dérogations à la confidentialité des données fiscales et sociales. Ces dérogations seraient bien entendu très strictement encadrées pour tenir compte à la fois de la composition des observatoires et du caractère personnel et particulièrement sensible des données concernées.