Intervention de Michel Vergoz

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 9 juillet 2014 : 1ère réunion
Examen en délégation du rapport sur les niveaux de vie dans les outre-mer

Photo de Michel VergozMichel Vergoz, co-rapporteur :

Après cet exercice de comparaison, nous nous sommes intéressés dans un second temps aux particularités économiques et démographiques des sociétés ultramarines qui peuvent expliquer, au moins en partie, les écarts de niveau de vie avec l'hexagone.

Nous nous sommes tout d'abord penchés sur les inégalités de revenus dans les territoires ultramarins, qui apparaissent beaucoup plus marquées que dans l'hexagone, avec une forte prévalence des situations de pauvreté.

Dans les DOM, le rapport entre le revenu plancher par unité de consommation des 20 % des ménages les plus riches et le revenu plafond des 20 % les plus modestes est de 3,2, contre 2,2 dans l'hexagone. À La Réunion, l'indice de Gini est évalué à un niveau plus élevé que celui de Paris, qui constitue pourtant le département le plus inégalitaire de l'hexagone. D'une manière générale, et alors que l'on avait noté un mouvement de résorption des inégalités entre 1995 et 2001, l'Insee signale qu'elles tendent aujourd'hui à s'accroître plus rapidement que dans l'hexagone.

Les COM ne sont pas épargnées par cette exacerbation des inégalités. En Nouvelle-Calédonie, le niveau de l'indice de Gini se rapproche davantage de celui observé dans les pays sous-développés qu'à celui mesuré dans l'hexagone. Il a même légèrement augmenté entre 1991 et 2008 et stagne aujourd'hui à un niveau analogue à celui de pays comme le Burundi ou la Thaïlande. La situation de la Polynésie française est comparable de ce point de vue.

Ces inégalités se traduisent par des taux de pauvreté très élevés. Si l'on se fonde sur le seuil de pauvreté constaté au niveau régional, leur valeur s'échelonne de 17 % en Nouvelle-Calédonie et à La Réunion à près de 28 % à Mayotte, contre 13 % dans l'hexagone. La situation est d'autant plus inquiétante qu'elle ne semble pas s'améliorer : entre 2001 et 2006, la proportion de ménages pauvres a augmenté de 3 points à La Réunion et de 4 points aux Antilles, et il est à craindre que la crise financière que nous avons traversée n'ait encore accentué ce phénomène.

Cette prévalence des situations de pauvreté se reflète dans la structure de consommation des ménages ultramarins, qui se caractérise par l'importance des dépenses contraintes. Les produits alimentaires absorbent ainsi une part sensiblement plus importante du budget des ménages ultramarins que des ménages hexagonaux, notamment pour ceux qui se situent au-dessous du seuil de pauvreté : la proportion s'échelonne de 17 % en Guyane et 18 % en Nouvelle Calédonie, en passant par 22 % en Guadeloupe et 25 % en Polynésie française, jusqu'à 39 % à Mayotte - contre 16 % dans l'hexagone. Compte tenu de la cherté des produits alimentaires outre-mer, le poids des dépenses qui leur sont consacrées constitue un facteur essentiel du moindre niveau de vie des populations ultramarines.

Autre conséquence logique de ces inégalités, nous avons par ailleurs noté que la structure des ressources des ménages ultramarins se caractérisait par le poids important des transferts sociaux. La part des prestations sociales y apparaît notablement plus élevée que dans l'hexagone et la dépendance aux minima sociaux y est plus importante. En 2006, ceux-ci représentaient 1 % des ressources des ménages dans l'hexagone, contre 6,4 % en moyenne dans les DOM ; une personne sur trois serait aujourd'hui couverte par les minima sociaux dans les DOM, contre une sur dix dans l'hexagone. En revanche, la part des pensions de retraite dans les revenus ultramarins apparaît moins élevée, notamment en raison de la fréquence des petites retraites dans les outre-mer.

Ces inégalités sont par ailleurs à mettre en rapport avec les spécificités de la structure de l'emploi dans les outre-mer.

Dans les DOM, l'emploi salarié se caractérise par une faible proportion de cadres (de 8,5 % à La Réunion à 11 % en Guyane, contre 17 % dans l'hexagone ; en Polynésie française, cette part s'établit à 7 %). À l'inverse, les professions intermédiaires et les employés représentent une part plus importante de l'emploi domien. Il est à noter que, en raison de leur relative rareté sur les marchés de l'emploi ultramarins, la situation salariale des cadres est plus favorable que celle des autres catégories socioprofessionnelles.

Une deuxième spécificité de l'emploi ultramarin réside dans la prépondérance du secteur tertiaire non marchand, qui recouvre les administrations publiques ainsi que les activités éducatives, sanitaires et sociales. Dans les DOM, il emploie 42 % des salariés, contre 32 % dans l'hexagone. Le secteur public et parapublic y constitue dès lors la principale source de création de richesse : il représentait 26 % du PIB hexagonal en 2009, contre 38 % à La Réunion et 41 % en Guadeloupe.

Il ne faut pas voir là une hypertrophie du secteur public, comme on a trop souvent tendance à le considérer. Rapportés à la population globale sur chaque territoire, les effectifs de la fonction publique n'apparaissent pas beaucoup plus importants dans les DOM que dans l'hexagone : on compte en moyenne 8,8 agents publics pour 100 habitants dans les DOM, contre 7,6 dans l'hexagone. Selon nous, le poids du secteur public dans les économies ultramarines est davantage une conséquence mécanique de l'atrophie du secteur privé, pour les raisons que nous ne connaissons malheureusement que trop bien.

En tout état de cause, il est indéniable que le caractère attractif de l'emploi public dans les outre-mer s'explique en large part par le niveau élevé des rémunérations servies. Le salaire net annuel des fonctionnaires domiens est ainsi supérieur en moyenne de 19 % à celui des fonctionnaires hexagonaux. Cette différence s'explique par les sur-rémunérations dont bénéficient les agents publics en poste dans les outre-mer.

Mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les compléments de rémunération visaient à la fois à prendre en compte l'éloignement par rapport à l'hexagone, à compenser la cherté de la vie outre-mer, ainsi qu'à renforcer les effectifs de cadres ultramarins en accroissant l'attractivité de la fonction publique sur ces territoires. Ce qu'on appelle sur-rémunérations recouvre aujourd'hui une réalité composite, plusieurs dispositifs s'étant ajoutés et superposés au fil du temps au gré de la mise en oeuvre de règles législatives et réglementaires hétéroclites. Sans entrer dans le détail de ces dispositifs, qui sont d'une grande complexité, on peut retenir qu'elles se traduisent d'abord par des majorations de traitement, calculées par application d'un coefficient variable selon la collectivité concernée, et qui peuvent être à plusieurs strates avec des « compléments spéciaux ». En outre, le taux applicable n'est pas uniforme sur un même territoire, comme l'illustre le cas de Réseau Outre-mer 1ère ou de l'IEDOM à La Réunion. Il est à noter que les majorations de traitement ont été étendues à Mayotte, qui constituait jusqu'alors la seule collectivité ultramarine dans laquelle elles n'existaient pas, par un décret du 28 octobre 2013, avec effet rétroactif au 1er janvier 2013 et montée en charge progressive jusqu'en 2017. Il existe également des indemnités spécifiques d'éloignement, de sujétion et d'installation, qui peuvent représenter jusqu'à 23 mois de traitement indiciaire net pour 2 ans de service.

Au total en 2012, le montant des compléments de rémunérations dans l'ensemble des outre-mer s'est élevé à 1,36 milliard d'euros, en progression de 7,5 % par rapport à l'année 2011.

Le bien-fondé de ce dispositif est régulièrement remis en cause dans le débat public. Certaines des justifications qui ont présidé à sa mise en place semblent aujourd'hui historiquement datées ; surtout, le niveau des sur-rémunérations n'apparaît pas proportionné à la réalité des conditions de vie dans les outre-mer. Il apparaît par ailleurs certain que les sur-rémunérations contribuent à accentuer les écarts de revenus et donc les inégalités dans les territoires ultramarins. Selon l'Insee, le salaire net moyen est en effet supérieur de près de 40 % à celui du secteur concurrentiel dans les DOM, alors que ces niveaux sont proches dans l'hexagone ; en Nouvelle-Calédonie, l'écart atteint 57 %. Enfin, ainsi que nous l'a indiqué la DGOM, les compléments de rémunération participent de l'accentuation de la cherté de la vie, par leur incidence à la hausse sur les salaires du privé, à l'exception des salaires des ouvriers, et leur contribution à l'inflation locale.

Les propositions que nous faisons aujourd'hui s'inscrivent dans la ligne de celles qui avaient été avancées en 2009 dans l'excellent rapport d'information de mon collègue Éric Doligé, dans une perspective cependant plus opérationnelle et à partir de préalables clairement posés, à savoir :

- la non remise en cause des acquis : le nouveau dispositif ne devra s'appliquer qu'aux « nouveaux entrants » dans la fonction publique ;

- la définition d'un référentiel stable et régulièrement publié mesurant pour chacun des outre-mer le différentiel de coût de la vie, afin d'adosser à ce référentiel l'ajustement du niveau des sur-rémunérations » ;

- la mise en place d'un mécanisme garantissant la réinjection dans les économies ultramarines des sommes dégagées par l'ajustement des sur-rémunérations.

Il nous paraît en effet important de ramener le montant des sur-rémunérations au véritable différentiel du coût de la vie entre les outre-mer et l'hexagone. Mais j'insiste, et c'est là un point crucial, les sommes ainsi dégagées devront revenir à l'économie des départements et des collectivités d'outre-mer, qui ont notamment de grands besoins d'infrastructures. Ce mécanisme de réinjection dans les économies ultramarines reste à inventer et c'est pourquoi nous demandons au Gouvernement une étude détaillée à ce sujet, sur la base du cahier des charges précédemment défini.

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