Nous avons enfin constaté que les différences de niveau de vie constatées dans les outre-mer s'inscrivent dans un cadre démographique particulièrement inquiétant pour l'avenir de ces territoires. Plusieurs d'entre eux sont en effet concernés par un phénomène de vieillissement démographique très rapide, qui pourrait renforcer les difficultés de financement de la protection sociale, dans un contexte où le chômage touche massivement les jeunes générations et alors que les solidarités intergénérationnelles, traditionnellement fortes, sont aujourd'hui en net recul.
Ce phénomène de vieillissement doit être nuancé : il n'est pas incompatible avec un certain dynamisme démographique - en 2009, un tiers des domiens avaient moins de 20 ans, contre un quart des hexagonaux - et il se pose en termes très différents d'un territoire ultramarin à l'autre. Pour autant, il frappe globalement par sa très grande rapidité, qui peut ouvrir un risque de « violence démographique » - selon l'expression très frappante utilisée devant nous par M. Claude-Valentin Marie, de l'Ined, lorsque nous l'avions auditionné.
L'enquête « Migrations, famille, vieillissement » conduite à partir de 2009 par l'Ined et l'Insee a ouvert une prise de conscience sur les profondes mutations démographiques en cours dans chacun des DOM. Selon cette étude, les populations des Antilles, qui étaient les plus jeunes de France au début des années 1960, devraient compter parmi les plus vieilles du territoire national en 2040 : 40 % de leurs habitants auront alors plus de 60 ans, et la chute de la natalité engagée aujourd'hui devrait contribuer à renforcer le « creux » déjà observable dans la classe d'âge des jeunes adultes. La Réunion doit, quant à elle, faire face au double défi que constitue la poursuite d'un accroissement soutenu de la population et la forte dynamique du vieillissement démographique, qui touchera de ce fait un nombre très important de personnes. En revanche, les populations guyanaises et mahoraises devraient rester caractérisées par leur jeunesse à l'horizon 2030, en raison de la conjonction d'une natalité très dynamique et d'une immigration importante.
La situation est tout aussi contrastée dans les COM. Tandis que Saint-Martin et Saint-Barthélemy seront confrontées à un vieillissement démographique modéré, la Polynésie française devrait faire face à un vieillissement brutal de sa population à compter de 2017. On observera au cours des prochaines années une diminution de la part des populations jeunes à Saint-Pierre-et-Miquelon comme à Wallis-et-Futuna, tandis que la Nouvelle-Calédonie devra composer avec un vieillissement progressif de sa population à partir de 2025.
Les déséquilibres démographiques induits par ces dynamiques sont porteurs de risques importants qu'il apparaît urgent d'anticiper, notamment s'agissant du financement des prestations sociales et de l'équipement des territoires en établissements d'accueil pour personnes âgées. La question doit être sérieusement étudiée, dans un contexte où les inégalités de santé, très importantes dans les outre-mer, frappent notamment les personnes âgées : selon une enquête de l'Ined, les populations domiennes vieillissent moins longtemps en bonne santé que celles de l'hexagone.
Ces évolutions emportent en outre des conséquences sociales importantes pour les populations ultramarines, en ce qu'elles induisent de profondes transformations des équilibres entre les différentes classes d'âge, alors que les besoins de solidarités deviennent plus importants. L'augmentation de la charge de la protection sociale, et notamment du financement des retraites, sera en effet de plus en plus grande pour la population d'âge actif, alors même que celle-ci tend à se contracter dans plusieurs outre-mer. Le rapport entre le nombre de personnes en âge de travailler et celui des personnes retraitées devrait ainsi connaître une dégradation marquée dès 2030 : en Polynésie française, on devrait compter à cette date, pour une personne âgée de 60 ans ou plus, 2,2 personnes d'âge actif - contre 4,5 en 2007 et 6 en 1988.
Ce mouvement est bien sûr accentué par l'importance du chômage dans les territoires ultramarins. Dans les DOM (hors Mayotte), le chômage touchait en moyenne un quart de la population active au premier trimestre 2014, contre 9,7 % dans l'hexagone. Il frappe particulièrement les jeunes : aux Antilles et à La Réunion, plus de la moitié des 15-24 ans présents sur le marché du travail étaient concernés à la même date. Bien que son évaluation statistique soit très difficile dans ces territoires, on peut également considérer que la situation de l'emploi est très dégradée dans les COM - à l'exception notable de Saint-Barthélemy - avec des taux de chômage s'échelonnant de 11,8 % à Wallis-et-Futuna à 27 % à Saint-Martin, en passant par 22 % pour la Polynésie française et 14 % en Nouvelle-Calédonie. Là encore, le chômage touche particulièrement les classes d'âge les plus jeunes.
Dans ce contexte, les solidarités intergénérationnelles traditionnellement fortes dans les outre-mer, et qui permettent bien souvent de compenser le sous-équipement des territoires, semblent aujourd'hui en recul. Les jeunes générations, qui font face à des difficultés économiques fortes, sont en effet de moins en moins en mesure d'apporter une aide à leurs aînés.
On le voit, les enjeux liés aux dynamiques démographiques dans les outre-mer sont donc très importants. Pour autant, leur prise en compte n'est apparue que très tardivement, en raison notamment des insuffisances de l'appareil statistique que nous évoquions déjà tout à l'heure. C'est là une preuve supplémentaire qu'il est urgent de le renforcer. Afin de pouvoir définir des politiques publiques adaptées en direction de la jeunesse et des personnes âgées, et de préparer ainsi l'avenir en s'appuyant sur les transformations démographiques à l'oeuvre, nous préconisons donc ici encore d'améliorer leur connaissance statistique, notamment par un renforcement de la fréquence des enquêtes, afin que tous les territoires ultramarins puissent disposer d'éléments statistiques comparables à ceux qui existent pour l'hexagone.
Nous vous remercions.