Intervention de Frédéric Van Roekeghem

Commission des affaires sociales — Réunion du 21 octobre 2014 : 1ère réunion
Loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 — Audition de M. Frédéric Van roekeghem directeur général de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés

Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés :

Il n'est envisageable ni pour la Cour des comptes ni pour l'assurance maladie de conserver un régime en déficit de 7 milliards d'euros. Il faudra évidemment que le Parlement s'interroge sur la répartition des ressources entre les organismes bénéficiant des prélèvements obligatoires et sur l'ensemble de l'architecture financière créée par la réforme de 1995 et les suivantes. Mais il s'agit pour l'instant de chercher où se trouvent les excédents et les déficits, et de nous soucier de la lisibilité de notre politique. Nos concitoyens ont-ils le sentiment de bénéficier des contreparties des efforts qui leur sont demandés ?

La situation des déficits n'est pas satisfaisante : le régime général de l'assurance maladie devrait en principe être à l'équilibre. Mais, dans le cadre des contraintes fixées par le Gouvernement - pas de déremboursements, pas de réduction de l'accès aux soins, pas de réduction des effectifs hospitaliers - un Ondam à 2 % est un objectif rigoureux, quoi qu'en dise la Cour des comptes. Il nécessite déjà des mesures de gestion fortes en 2014, et elles ne devront pas se relâcher en 2015. Pourquoi ? La dépense de santé croît en France pour des raisons objectives. La Cnam a fait, dans son rapport annuel, un effort de transparence pour expliquer l'affectation des dépenses. Il serait bon que le débat parlementaire sur l'exécution de la loi de financement soit l'occasion de reprendre cette question ex post : combien de pathologies a-t-on soignées ? Quelle a été l'évolution du coût des traitements ? Quels facteurs épidémiologiques justifient ces dépenses ? Douze millions de personnes en France souffrent de pathologies chroniques entraînant pour chacune une dépense moyenne de 5 000 euros, soit pour l'ensemble une somme équivalente environ à 50 % de nos dépenses. Neuf millions de personnes reçoivent des traitements médicamenteux réguliers se montant à 1 500 euros pour chacune, soit pour l'ensemble à 10 % de nos dépenses. Autrement dit, 60 % de nos dépenses sont affectées à 36 % de la population. La maternité concerne 1,4 million de personnes, soit 6 % de nos dépenses. Les hospitalisations ponctuelles représentent, pour 7,8 millions de personnes, 22 % de nos dépenses. Au total, 90 % des dépenses sont consacrées à 43 % de la population. Les soins courants ne représentent que 10 % du total, avec une dépense moyenne du régime général de 220 euros par personne. L'assurance maladie garantit un risque long (sur la durée de la vie) et dont l'apparition est très concentrée. Il s'accroît actuellement du fait de certains facteurs sous-jacents, comme le vieillissement de la population ou l'émergence de pathologies liées au mode de vie (les dépenses du diabète ont ainsi crû de 3 %).

En dépit de cette tendance, le travail accompli en commun avec le ministère des affaires sociales et de la santé a abouti depuis cinq ans au respect de l'Ondam, voire à une dépense moindre. L'objectif de 2 % fixé pour 2015 ne sera pas facile à respecter, compte tenu des contraintes politiques fixées. Pour faire plus, des décisions difficiles s'imposent. Il reste bien des marges de manoeuvre dans la régulation de la consommation et des prix des médicaments, mais la France a déjà fortement resserré son pilotage (prix et volume) ces dernières années. Les comparaisons internationales en termes de pourcentage de PIB ou de pouvoir d'achat en dollars sont d'ailleurs à relativiser. Nous avions préconisé d'ajuster le coût de certains traitements, ainsi que d'améliorer le mix produit en instaurant une entente préalable, assez administrative, j'en conviens, pour attirer l'attention des médecins sur la prescription de la rosuvastatine, par exemple, qui coûte chaque année très cher. Les autres pays - l'Allemagne, notamment - sont loin d'une telle dépense, parce que les contraintes budgétaires y sont mieux acceptées par les professionnels de santé.

Les plateaux techniques et les établissements de santé pourraient être mieux organisés, mais le sujet est difficile : l'hôpital est parfois le lieu où l'accès aux soins est le plus aisé, et le principal employeur de très nombreuses communes. Reste que les effectifs hospitaliers continuent de croître (à raison de 1 % à 1,3 %), ce qui affecte nécessairement le pilotage de l'Ondam. Faute de décision d'organisation, la mécanique financière instaurée en 1995 s'applique, efficacement du reste : mais on rabote uniformément, sans faire de choix, au risque d'une paupérisation et d'un moindre investissement dans ce qui fera la médecine de demain.

Si nous prenons un virage ambulatoire sans en tirer les conséquences en matière d'organisation hospitalière, nous continuerons à financer des moyens en ayant transféré les charges sur d'autres professionnels - par conséquent, sans tirer le bénéfice de ce transfert. Nous sommes en train d'initier un mouvement consensuel, incitant à ne recourir aux établissements de soin que lorsque cela s'impose. Nous n'avons pas encore réussi à stabiliser les effectifs hospitaliers, mais la démarche a commencé il y a un an seulement.

La Cour des comptes estime avec raison que l'Ondam est trop élevé pour réduire les déficits. Le premier problème auquel nous sommes cependant confrontés est celui d'une croissance atone. Pour le reste, des choix politiques extrêmement forts seraient nécessaires.

L'assurance maladie s'est efforcée de contribuer à l'équilibre d'ensemble du système : nous avons réduits nos effectifs de 16 000 équivalents temps plein sur 85 000 sur la période 2004-2014 et nous venons de prendre un nouvel engagement pour 4 500 emplois de moins, contribuant ainsi au financement de 20 000 postes d'infirmières et de 10 000 postes de kinésithérapeutes. Nous participons activement aux efforts ! Si l'efficience du système de soins est une chose, celle de sa gestion n'est pas une question taboue.

Dans le cadre de nos relations avec les organismes complémentaires, nous avons évoqué le coût de gestion global du système. C'est une réalité française : afin de réduire ce coût, il convient que l'ensemble des régimes s'associent pour atteindre un équilibre.

Quant à la délégation de gestion du tiers payant, le Gouvernement a donné la priorité à l'aide à la complémentaire santé (ACS), autrement dit au tiers payant social. Nous avons proposé de retenir la solution déjà appliquée pour la CMU complémentaire : dans l'appel d'offre prochain, une interface sera demandée afin que le contrat ACS apparaisse à la lecture de la carte Vitale, comme les médecins le demandent depuis longtemps. L'assurance maladie de base assurera alors le tiers payant pour la totalité, sauf pour les assurés souhaitant une intervention directe de leur organisme complémentaire. Nous recouvrerons ensuite la part complémentaire auprès de ces organismes en fonction des normes Noemie. La première étape concerne l'ACS : pour le reste, le schéma n'est pas définitivement arrêté.

Différents dispositifs ont été créés pour soutenir l'installation des praticiens dans les zones sous-denses : des aides conventionnelles d'abord, puis un système de praticiens territoriaux. MG France trouve ces solutions complexes et préfèrerait l'instauration de forfaits modulables en fonction des zones d'installation, système plus simple peut-être mais pas forcément moins coûteux. A vouloir éviter les remous, on donne toujours plus, et l'on prend le risque de cibler moins bien les zones... Les forfaits ne représentent aujourd'hui que 12 % de la rémunération, or il est nécessaire de garantir l'activité de ces praticiens territoriaux dans les premiers temps de leur installation. La proposition de MG France est néanmoins envisageable, sous la condition d'une bonne articulation entre le dispositif mis en oeuvre par le Gouvernement et la négociation conventionnelle.

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