Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 23 octobre 2014 à 9h00
Débat sur le rôle et la stratégie pour l'union européenne dans la gouvernance mondiale de l'internet

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Si notre régime de protection des données doit être conforté, il faut aussi le moderniser et donc adopter sans délai la proposition de règlement européen en cours de négociation.

Enfin, nous devons promouvoir cette approche européenne à l’international, ce qui implique d’encadrer le transfert de données personnelles vers les États tiers et de renégocier le safe harbor pour s’assurer que les entreprises américaines respectent nos règles. Il faut veiller aussi à tenir cette négociation distincte de celle qui porte sur le traité transatlantique – sujet qui sera débattu cet après-midi même dans notre hémicycle –, car cette question de principe fondamentale ne saurait faire l’objet d’une monnaie d’échange.

L’Union européenne doit également catalyser son industrie numérique autour d’une ambition affichée. Cela veut dire : encourager l’émergence de « champions européens » du numérique ; faciliter l’accès au financement des entreprises européennes ; développer des clusters européens du numérique ; veiller à nos intérêts et à nos valeurs dans les négociations commerciales ; promouvoir le big data comme enjeu industriel européen ; lancer avec l’Allemagne des projets industriels concrets et stratégiques pour notre avenir numérique, à commencer par un cloud européen, sécurisé mais ouvert ; promouvoir les extensions en « .fr » et « .eu », pour plus de sécurité juridique ; ou encore préparer l’internet de demain en renforçant la présence européenne dans les grandes instances internationales de standardisation de l’internet.

Autre point essentiel, l’Union européenne, à commencer par la France, doit promouvoir une appropriation citoyenne de l’internet. Cela passe par une plus grande sensibilisation des citoyens au numérique dès l’école, pour en faire des personnes libres, éclairées et responsables, et par une formation accrue d’un nombre suffisant d’ingénieurs. Cela passe également par un nouvel encadrement légal et un meilleur contrôle politique des activités de renseignement.

La gouvernance des questions numériques doit aussi être mieux structurée en France et en Europe, pour dépasser les cloisonnements administratifs. La mission propose ainsi de créer une commission du numérique au Sénat, composée de membres issus des commissions permanentes.

Enfin, le modèle européen de l’internet doit être promu par une véritable diplomatie numérique, dotée de moyens, qui s’appuie sur une doctrine claire et sur une véritable politique industrielle européenne ambitieuse.

À cet égard, madame la secrétaire d’État, je regrette que le Quai d’Orsay, avant l’été, ait allégé les maigres moyens consacrés à ce dossier. Notre diplomatie doit mettre à profit les instruments existants tels que les politiques européennes de voisinage, la francophonie ou encore la convention 108 du Conseil de l’Europe sur les données personnelles.

En effet, les données sont la ressource de demain et se trouvent au cœur de la stratégie de tous les grands pays qui se projettent comme puissance. Est-ce maintenant le cas de l’Union européenne ?

Dans cette compétition mondiale, le numérique doit devenir une priorité européenne. Nous avons noté que le président Juncker semble en être convaincu. Pour notre part, nous serons extrêmement vigilants sur cette question.

L’internet nous invite à repenser la souveraineté sous une forme dynamique, non pas autour d’un territoire, mais autour de communautés de valeurs. Je souhaite que la France, à travers le Sénat, joue véritablement un rôle moteur dans cette réflexion.

Je regrette d’ailleurs que le gouvernement français, à la différence de l’Allemagne et naturellement du Brésil, ait été silencieux sur l’affaire Snowden, car, ne nous y trompons pas, l’enjeu est bien sûr la protection des grandes libertés – et déjà, sur ce point, il aurait fallu protester énergiquement – mais c’est aussi, surtout, notre souveraineté économique. Sur place, aux États-Unis, notre mission a bien constaté que les Américains en font la priorité numéro un de leur diplomatie.

Mes chers collègues, le moment présent est d’une importance stratégique, vous le savez comme nous, madame la secrétaire d’État, entre le Conseil Télécoms fin novembre et l’activisme de l’ICANN qui prépare sa prochaine indépendance. C’est maintenant que tout se joue.

Aussi, nous vous invitons à vous appuyer sur les travaux du Sénat, qui ont largement défriché le chemin depuis deux ans, qu’il s’agisse des travaux de cette mission commune d’information – à cet égard, je remercie encore une fois tous mes collègues pour les efforts partagés – ou des travaux que j’ai également eu l’honneur de conduire au sein de la commission des affaires européennes, dont je salue le président, qui est aussi membre de la mission d’information, M. Jean Bizet, ici présent. §

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